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Wagner n'a garde de suivre ces errements. Pour lui, le poème doit aller de pair avec la musique et se confondre avec elle. Toutes ces romances, ces cavatines, ces ariettes dont sont faits nos vieux opéras, ne servent qu'à retarder l'action, à mettre en relief la virtuosité d'un artiste: on doit les supprimer, comme autant d'invraisemblances, comme autant de concessions au mauvais goût du public.

Cette recherche du vrai est l'idée mère du wagnérisme et c'est d'elle que découlent toutes les réformes du Maître. Elle explique, tout d'abord, l'importance accordée à l'orchestre. L'orchestre ne doit plus seulement accompagner les voix. Il a un bien autre rôle il s'unit intimement au drame dont il exprime toutes les phases; il entoure l'action d'une sorte de réseau symphonique riche en couleurs, admirablement varié; il synthétise en lui les états d'âme des personnages, leurs pensées, leurs désirs, voire même leurs gestes ou leurs attitudes. C'est comme un commentaire vivant du poème.

Ici apparaît le rôle du leitmotiv, cette phrase en général assez courte, qui souligne l'entrée d'un héros ou, plus souvent, en traduit les sentiments intimes. Les voix se taisent; seul l'orchestre fait entendre son incomparable chant, et quelques notes, soupirées par les violoncelles ou par les hautbois, suffisent à peindre une situation, à décrire un paysage, à traduire une pensée. Toutefois, il faut s'entendre. Jamais Wagner, quoi qu'on en dise, n'a eu la prétention de faire exprimer à une phrase harmonique un sens déterminé : la musique, en effet, est impuissante à rendre les états d'âme. trop subtils, les phénomènes psychiques trop intimes. Non, ce que veut Wagner, c'est que le retour d'une même phrase, dans une même circonstance ou à l'occasion d'un même fait, frappe l'oreille et associe pour toujours cette phrase à cette circonstance ou à ce fait.

Prenons deux exemples empruntés à la tétralogie: le thème de la malédiction d'Albérich et celui de la douleur impuissante de Wotan. Le motif de la malédiction est tiré du récit d'Aĺbérich à la quatrième scène de l'Or du Rhin : il exprime tous les malheurs qui s'attachent à l'anneau, et le suivent en quelques mains qu'il passe. Eh bien! ce motif, nous le retrouvons dans les trois journées: il souligne la mort de Fasolt, l'arrivée de Siegfried à la cour de Gunther, sa mort et celle de Brünnhild; enfin, il éclate à la fin du Crépuscule des Dieux, comme pour résumer le drame tout entier. De même pour le motif de la douleur impuissante toutes les fois que Wotan est placé entre ses obligations divines et son amour paternel, nous l'entendons à l'orchestre. C'est, tout d'abord, dans la Walkyrie, quand Fricka lui ordonne de punir ses enfants et quand il reproche à Brünnhild sa désobéissance; puis, dans Siegfried, la même phrase souligne, au troisième acte, le dialogue du dieu et d'Erda; dans le Crépuscule, enfin, elle forme la trame de l'admirable scène entre Waltraute et Brünnhild. Pour peu que l'on soit familiarisé avec le drame wagnérien, les leitmotive, si nombreux qu'ils soient, sont clairs et reconnais sables, car ils développent toujours, avec une fidélité inouïe, les mêmes sentiments, les mêmes pensées, les mêmes situations. Ils se transforment à l'infini; mais, sous leurs innombrables variations, ils restent faciles à dégager, faciles à saisir.

C'est encore à cette recherche de la vérité dramatique que nous devons, chez Wagner, l'absence presque complète des chœurs et des ensembles. Le chœur, dans l'opéra de Meyerbeer, sert à rendre les impressions de la foule : l'orchestre le remplace avec avantage; ses timbres divers, ses sonorités éclatantes, sont infiniment plus expressifs, plus puissants.

On reproche assez communément à Wagner la rareté de

la mélodie. Rien n'est plus faux, surtout si l'on prend Tristan ou la Walkyrie comme points de comparaison. Loin de bannir la mélodie, Wagner la pose, pour ainsi dire, en principe: il demande qu'elle soit continae, qu'elle ne s'arrête jamais, et que, confiée à la voix ou aux instruments, elle plonge l'âme dans une extase ininterrompue. Et puis, ces récits que certains mélomanes épris des vieilles formules, critiquent si vivement, ne renferment-ils pas, cux aussi, d'incomparables beautés? Il est telle phrase, noyée dans une longue page, à l'aspect imposant et sincère, pour laquelle nous donnerions bien des romances de Meyerbeer, de Gounod ou de Massenet.

Une alliance étroite entre le poème et la composition musicale, entre l'harmonie et la mélodie, telle est la caractéristique de Richard Wagner. Jusqu'à lui, relégué au second plan, l'orchestre servait, le plus souvent, à accompagner le chant et à guider la voix. Wagner l'a intimement mêlé au drame, dont il forme le commentaire vivant et pittoresque. Plus de ces morceaux détachés qui arrêtent l'action et distraient le spectateur : une mélodie ininterrompue, un dialogue rapide et alerte, des péripéties qui se succèdent, des flots de poésie s'ajoutant à des flots d'harmonie — voilà ce que nous trouvons chez Richard Wagner, voilà ce qui fait de lui un novateur. Poète à l'imagination riche et brillante, jamais il ne voulut confier à un librettiste le soin d'exprimer et souvent de dénaturer sa pensée. Il écrivit lui-même les livrets de ses drames, et dans ces œuvres incomparables, on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, du poète ou du compositeur. Victor Hugo doublé de Beethoven, voilà ce que fut Richard Wagner.

POÉSIES

PAR Mme ADINE RIOM.

A LOUIS JEHENNE.

Le temple est plein de fleurs: des fleurs, partout des fleurs. C'est un printemps fauché des rayons et des pleurs.

Un glas sonne, et pourtant c'est une apothéose.

Il est mort à vingt ans, pour la France, à Formose.

Héros, fils d'un héros, il voit sa mère en deuil
Se pencher lentement vers son jeune cercueil.
Mère, qui le berças dans ta jeunesse en fête,
Laisse pleurer ton cœur, mais relève la tête.

Tu nous gardes des fils pour l'heure des grands jours.
Nous ne subirons pas des défaites, toujours,
Taisez-vous, chants des morts, c'est une apothéose.

-

Il est mort à vingt ans, pour la France, à Formose.

La mère à l'œil rougi qui vient d'étinceler,

Se voile et sort du temple. On n'ose lui parler.
Mais la foule s'incline et s'ouvre devant elle.

C'est la patrie en deuil, c'est la fleur d'immortelle.

Qu'importe ! Si, là-bas, ton fils est sans tombeau !
Le ciel s'ouvre à celui qui défend son drapeau.
Le drapeau, c'est la foi, le serment, l'espérance,
Les aieux, le foyer; le drapeau, c'est la France!
Et quand le soldat meurt, loin du pays et seul,
Il a tout quand il prend le drapeau pour linceul.
- Ne sonnez plus, ô glas; c'est une apothéose.
Il est mort à vingt ans, pour la France, à Formose.

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