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et les modes n'ont pas de mystères, très habiles à composer une cantate ou une sonate bién écrite, mais que, hélas ! l'inspiration n'a jamais touchés de son aile.

Auprès de ces fantoches solennels et pédants, qui s'appellent Beckmesser, Kother ou Vogegesang, surgit, sans crier gare, un jeune homme, un chevalier, Walter de Stolzing. Oh! celui-là, il n'a jamais fréquenté l'école; les bonnes règles lui sont inconnues; il sait à peine ce que sont les tons et les modes; il a demandé à la nature, au soleil couchant, au rossignol, aux mille voix de la forêt, le secret de leurs amoureuses mélodies; il a grandi, tout seul, cherchant dans son âme de poète ce que ni les livres, ni l'étude ne peuvent donner le souffle divin, l'enthousiasme, le génie. Le malheureux se présente au concours de chant, et c'est Beckmesser, le critique niais et méchant, qui préside le Jury. Eva, la délicieuse fille de l'orfèvre Pogner est promise au vainqueur, et Walter l'aime éperdûment. Il entonne son morceau de concours; mais cette page n'est pas jugée assez classique, et le pauvre chanteur tomberait sous les sifflets, si le cordonnier Hans Sachs - l'homme du peuple à l'esprit droit et sain - ne le couvrait de sa protection. Poète inspiré en même temps qu'artisan laborieux, Hans Sachs connaît les hommes; il a l'esprit juste et le cœur large. Il gémit à la pensée qu'Eva va devenir la femme. du bideux Beckmesser; il aide Walter de ses conseils et, grâce à une innocente ruse, le beau chevalier sort vainqueur du tournoi poétique.

Il y a, dans les Maîtres Chanteurs, deux parties bien distinctes l'une, sorte de plaidoyer pro domo. dont le comique un peu plantureux, les plaisanterics un peu lourdes. blessent quelquefois notre esprit français, fait surtout d'ironie et de sous-entendus malicieux; l'autre, la partie sentimentale, qu'il faut admirer sans réserve, car jamais Wagner n'a

atteint à une telle puissance de mélodie, jamais il n'a trouvé d'inspirations plus fraîches et plus gracieuses. La rencontre à l'église, la songerie de Hans Sachs, le duo du cordonnier et d'Eva, la romance et l'air de concours de Walter, la sérénade bouffe de Beckmesser, la marche des corporations, le chœur qui précède le concours et qui ramène, dans le chant, l'hymne déjà entendu au prélude; le finale enfin du 3e acte, tout cela est éternellement jeune et ne peut manquer de plaire en France, s'il est vrai, comme on l'assure, que les Maîtres Chanteurs doivent être représentés, l'an prochain, à l'Académie nationale de musique.

Des Maitres Chanteurs à Parsifal, la transition est brusque. C'est avec une sorte de recueillement religieux qu'il faut ouvrir cette incomparable partition. Wagner qui, dans Tristan, avait exprimé l'amour terrestre dans ce qu'il a de plus violent et de plus maladif, s'élève ici aux plus sereines régions de l'amour divin Devant cette œuvre inouïe, parfaite, inconcevable, comme dit très justement M. Catulle Mendès, effort extrême du génie humain, ou plutôt œuvre divine, l'admiration ne sait comment s'exprimer elle bégaye et se tait. »

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Wagner, qui avait déjà emprunté à la légende du Saint Graal le livret de Lohengrin, rêve, vers la fin de sa vie, d'un drame religieux, tout imprégné des mystères du catholicisme, où revivrait, en quelque sorte humanisées, les touchantes figures de l'Evangile : ce drame, c'est Parsifal. Le prélude nous transporte sur les hauteurs de Monisalvat, dans le temple, où furent recueillis la lance qui perça Jésus et le vase qui reçut son sang. La garde du temple est confiée aux chevaliers du Graal; c'est là qu'ils demeurent, immobilisés dans une éternelle extase, puisant la foi et le courage dans le pain sacré qu'à certains jours leur distribue leur roi, qui es. aussi leur prêtre. Quelquefois, cependant, ils quittent

le radieux palais, pour aller défendre, sur la terre, l'innocence ou la vertu; mais ils reviennent bien vite prendre place au banquet divin et célébrer, dans un hymne ininterrompu, les sublimes mystères du Saint Graal.

Ce sont ces mystères que nous expose le prélude. Un thème s'élève, sans accompagnement, solennel et grave, qui contient en germe tous les motifs religieux du drame: le thème de l'Eucharistie que reprendra, tout à l'heure, le chœur des chevaliers. Dès les premières mesures, on est entraîné loin des vulgarités terrestres, vers un au delà mystérieux et troublant. Les violoncelles reprennent la phrase sacrée, à laquelle s'ajoutent bientôt le thème de la lanceet celui de la douleur. On assiste à la pieuse cérémonie : les chevaliers du Graal entourent l'autel, ils s'avancent et plongent tour à tour leurs lèvres dans le calice divin. Tout à coup, au milieu du recueillement, éclate le motif du Graal qui, confié tout d'abord aux cuivres, est ensuite repris par les hautbois et les flûtes. Puis un hymne grandiose s'échappe de l'orchestre que secoue un indescriptible frisson. Le sacrifice est consommé ; le Christ s'est fait homme. Soudain, une lamentation poignante monte à nouveau de l'orchestre : les cuivres sanglotent, les violons gémissent, les hautbois pleurent. C'est que les souffrances de la Passion viennent de renaître dans le cœur du Christ: parmi les chevaliers du Graal, il y a un traître, Amfortas, le roi pécheur et sacrilège. L'orchestre redit la plainte du Sauveur, son immolation, son agonie, et le prélude se termine, comme il a commencé, par le thème de l'Eucharistie: après le péché, l'expiation; après l'homme coupable, le Dieu innocent qui se sacrifie et meurt pour lui.

Le rideau s'ouvre, et le drame commence. Le roi du Graal Amfortas, a violé son vou de chasteté, et c'en est fait de lui, c'en est fait du Saint Graal, si un simple, un pur, ne vient

le racheter et régner, à sa place, sur les hauteurs de Montsalvat. Parsifal sera ce sauveur. Rien ne l'a préparé jusqu'ici à cette œuvre de rédemption; son enfance s'est écoulée, vagabonde et sauvage, au milieu des ravins et des forêts; chasseur intrépide, il a tué le cygne sacré qui conduit, sur la terre, les chevaliers du Graal. Il s'approche, insouciant et naïf, ignorant de sa destinée. Klingsor, le magicien, l'ennemi d'Amfortas dont il brigue la succession, veut le détourner de sa route: il fait surgir un jardin enchanté que peuplent des femmes qui sont en même temps des fleurs; le héros s'amuse de leurs coquetteries, et il passe outre. Un autre danger l'attend: c'est Kundry, l'éternelle séductrice, l'esprit du mal, la sorcière, que Klingsor tient en son pouvoir et qui, inconsciente de ses actes, s'est vouée au péché, faute d'un guide qui l'ait retenue et dirigée dans le sentier du bien. Parsifal va succomber, quand, tout à coup, son esprit s'illumine il comprend sa mission, il se sent emporté vers le Montsalvat. Il s'échappe des bras de Kundry, fait le signe de la croix, et le jardin enchanté s'effondre, tandis que la séductrice, touchée de la grâce, tombe inanimée à ses genoux. Alors commence, pour Parsifal, l'œuvre de rédemption. Le temple est illuminé, les chevaliers sont debout dans l'attente du sauveur, les hymnes saintes éclatent sous la coupole. Parsifal apparaît, suivi de Kundry qu'il vient de baptiser: il s'avance vers Amfortas : « Sois pardonné, lui dit-il. Tes douleurs ont été bénies; le PurSimple aujourd'hui prend ta place. » Il monte à l'autel, touche le Graal et se met en prière. Soudain, le calice s'illumine; les assistants se prosternent, la colombe plane au haut de la voûte et l'orchestre, dans une éblouissante symphonie, redit le mystère de l'Eucharistie, le pardon du pécheur, l'œuvre sublime de rédemption et d'amour.

Parsifal échappe à l'analyse et, seuls, peuvent l'apprécier,

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comme il le mérite, ceux qui l'ont vu représenter à Bayreuth. C'est, je ne crains pas de le dire, le chef-d'œuvre des chefs-d'œuvre. Jamais la musique religieuse n'a dépassé de telles hauteurs; jamais génie humain - si ce n'est peut-être Beethoven ou Bach n'a conçu de plus grandioses inspirations, de plus séraphiques envolées. Tout est également beau dans Parsifal, et il parait impossible d'en signaler plus particulièrement telle page ou d'en recommander tel morceau. Nous n'approuvons donc qu'à demi les sociétés de concert qui coupent, pour ainsi dire, Parsifal, à l'usage de leurs abonnés l'œuvre forme un tel ensemble, qu'il est difficile d'en détacher la moindre pierre sans nuire à l'édifice tout entier. Sans doute, le prélude, la scène religieuse, le chœur des filles-fleurs, l'enchantement du vendredi saint et le baptême de Kundry, peuvent, à la rigueur, faire l'objet d'une audition et, cette année, MM. Colonne et Lamoureux l'ont tenté avec succès; mais ces fragments, si bien interprétés qu'on les suppose, ne peuvent donner qu'une faible idée d'un drame où la mise en scène et le jeu des acteurs s'ajoutent si puissamment aux richesses harmoniques et au charme divin de la mélodie.

Laissons, pendant quelque temps encore, Parsifal à Bayreuth. C'est seulement quand notre éducation musicale se sera complétée par l'étude plus libre et plus sincère du drame allemand, que nous pourrons apprécier, en France, une œuvre aussi mystique, aussi différente, il faut bien l'avouer, des opéras que nous applaudissons aujourd'hui.

Est-ce à dire que la tétralogie soit, dans son ensemble, plus accessible au public français ? On peut en juger par le récit des prodigieuses aventures de Wotan, de Brünnhild et de Siegfried.

Depuis le commencement des siècles, un trésor est enfoui dans les profondeurs du Rhin les trois ondines, Flosshild,

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