Page images
PDF
EPUB

Le corps de Henry de Bourgneuf fut ramené à Rennes pour y être inhumé.

M. Saulnier nous a reproduit la relation complète de ses obsèques où prirent la parole les présidents Loaïsel et Bonnier. Ce sont, comme le fait remarquer M. Saulnier, de singulières oraisons funèbres, très intéressantes en ce qu'elles sont un modèle du genre de l'époque. On peut se demander, avec M. Saulnier, si les orateurs ont toujours compris ce qu'ils voulaient dire. En les lisant on serait tenté de crier, comme Perrin Dandin: « Avocats, passez au déluge. » Car les orateurs ne craignent pas, à propos de la mort de Henry de Bourgneuf, de remonter à la plus haute antiquité, de citer Sénèque, saint Ambroise, saint Paul, etc. Cependant au milieu de tout ce galimatias que l'on me pardonne cette expression on trouve certaines pensées élevées qui, si elles étaient dégagées de ridicules fleurs de rhétorique, seraient bien placées dans cet éloge d'un grand et bon citoyen.

[ocr errors]
[ocr errors]

Henry de Bourgneuf laissa de nombreuses dettes. Sa veuve et ses créanciers eurent à subir de longs procès. Dans cette situation, il fallut bien procéder à un inventaire très complet du mobilier. Cet inventaire, M. Saulnier a eu la bonne fortune de pouvoir se le procurer. Il l'a reproduit en entier et c'est une des parties les plus intéressantes de la brochure. Il nous fait en effet connaître quel était le genre d'ameublement d'un haut et puissant seigneur. Il indique aussi quels étaient les goûts de son propriétaire. Cet inventaire prouve que la maison était tenue sur un grand pied. Les nombreux objets de piété qu'on y remarque, les tableaux qui y sont relatés indiquent les idées religieuses et le sens artistique du Premier Président.

Que sont devenus tous ces objets? Livrés sans doute aux fripiers de l'époque, il serait bien difficile d'en retrouver un

seul, et cependant combien, après les siècles écoulés, seraient précieux quelques meubles ayant appartenu à Henry de Bourgneuf. C'est que, dans notre pays, et surtout à notre époque, on n'a plus le culte du souvenir. Si, dans chaque province, il n'existait pas quelques hommes dévoués aux choses du passé, bientôt tout disparaîtrait sans laisser de trace. Ne voyons-nous pas chaque jour tomber sous la pioche des démolisscurs, véritables vandales, les monuments les plus curieux. Sans ces dévoués pionniers de l'histoire et de l'archéologie, nous ne saurions rien du passé, rien des ancêtres, rien du pays. Au nom de la Bretagne, mon pays d'adoption depuis plus de vingt ans, remercions donc M. Saulnier de toutes les études auxquelles il veut bien se livrer. Offrons-le surtout pour modèle à la jeunesse, à ceux qui ont devant eux l'avenir. Disons aux jeunes gens: Au lieu de vous poser en railleurs du passé, en contempteurs du présent, en un mot en fin de siècle, prenez pour exemple vos devanciers. Songez un peu moins aux folies du jour. Fréquentez plus souvent les bibliothèques et les archives que les cafés ou les brasseries et croyez, jeunes hommes, que dans ces études vous rencontrerez plus de plaisirs que dans les délassements malsains auxquels se livre un trop grand nombre d'entre vous.

M. Saulnier partage son temps et ses loisirs entre les exigences de sa noble carrière et les études littéraires. Si l'on pouvait dire que le bonheur existe ici-bas, si chacun n'avait ses épreuves à subir, M. Saulnier, j'en suis certain, serait parfaitement heureux et je crois pouvoir affirmer que si, comme tout homme, il a ses heures de désespérance, les lettres et le travail lui aident puissamment à les adoucir.

RICHARD WAGNER

SA VIE, SON ŒUVRE, SA RÉFORME MUSICALE

PAR M. J. GAHIER.

-

C'était le 15 mars 1861. Tout Paris s'était donné rendezvous dans l'immense salle de l'Opéra. Un public léger, frivole celui-là même qui devait, quelques années plus tard, s'amuser aux irrévérencieuses opérettes d'Offenbach et aux travestis d'Hortense Schneider - était venu entendre les premiers balbutiements de ce qu'on appelait alors la musique de l'avenir. Foule bouleuse, disparate, faite de boulevardiers en rupture de Jockey-Club, d'étrangers en quête de sensations nouvelles, de curieux enfin, qu'attiraient, sur l'affiche de l'Opéra, le nom d'un compositeur, Richard Wagner, ou l'attrait d'une œuvre, Tannhauser.

L'orchestre entonne, de sa voix solennelle et grave, un chant religieux, un hymne de prière et de foi, auxquels succèdent bientôt les voluptueux motifs du Vénusberg. L'auditoire commence à murmurer. Musique d'église, se répètent les uns aux autres ces spectateurs qui, hier encore, applaudissaient, sur cette même scène, un ballet d'Offenbach, le Papillon. Que nous veut cet étranger, avec son symbolisme nuageux et ses légendes naïves? La France est-elle si pauvre

de compositeurs qu'il lui faille faire appel à un musicien allemand,, méconnu de son pays, trainant à travers le monde. un bagage douteux d'opéras inintelligibles?

Le rideau se lève. Au lieu du traditionnel ballet aux valses faciles, aux quadrilles enlevants, d'étranges accords viennent troubler, par leurs hardiesses harmoniques, les oreilles des vieux habitués. Décidément, cet étranger est un fou de vouloir rompre avec les formules consacrées et imposer au monde musical des procédés nouveaux. Les sifflets commencent à grincer; les femmes se cachent derrière les éventails pour rire tout à leur aise, et les hommes, moins discrets, s'abandonnent aux effusions d'une joie bruyante. L'œuvre se poursuit au milieu du tumulte et des cris; le chalumeau du jeune pâtre et la chanson de dame Holda semblent puérils; on sourit à l'entrée du landgrave et de sa meute; on s'amuse à la scène du concours, et l'admirable récit du pèlerinage à Rome ne parvient même pas à soulever l'enthousiasme d'une salle malveillante et injuste.

Tannhauser était tombé d'une chute profonde; la musique de l'avenir paraissait à jamais condamnée et Wagner semblait n'avoir plus rien à espérer du public français. Et cependant, aujourd'hui, le wagnérisme triomphe; les concerts du dimanche ont vulgarisé l'œuvre du Maître ; des auditions multiples et variées ont permis à ceux qu'intéresse l'évolution musicale de suivre, pas à pas, l'éclosion et le développement de ce prodigieux génie. Tannhauser, que sifflaient en 1861 les défenseurs des vieilles formules, est au répertoire de plusieurs de nos théâtres et, d'ici quelques années, la Walkyrie alternera sur l'affiche avec les Huguenots, Faust et le Prophète. Bien plus, une école s'est formée qui, s'assimilant les procédés wagnériens, les a, pour ainsi dire, accommodés au goût français : Sigurd et Salammbo; Esclarmonde et Werther; le Rêve et l'Al

taque du Moulin; le Chant de la Cloche et Wallestein sont nés de l'idée wagnérienne, et ces œuvres que nous admirons n'auraient vraisemblablement jamais vu le jour, si nos compositeurs n'avaient puisé dans la tétralogie, dans Parsifal ou dans Tristan, une esthétique nouvelle, une pureté de style inconnue jusqu'au Maitre de Bayreuth.

Raconter très brièvement la vie du grand novateur que fut Richard Wagner; analyser son œuvre, en insistant sur la tétralogie; dire ce qui constitue la réforme wagnérienne, ce qui différencie, en un mot, le drame wagnérien de l'opéra italien ou français, tel est le but que nous nous proposons. Nous apporterons dans cette étude le plus d'impartialité possible. Aujourd'hui, bien des gens assimilent le wagnérisme à une sorte de maladie mentale et se figurent que ceux qui en sont atteints doivent forcément oublier toute réserve, tout bon sens. Peut-être se souvient-on d'un fin portrait dessiné il y a quelques années, par l'aimable ironiste, Albert Millaud il représentait le pèlerin de Bayreuth dédaignant Tannhauser pour ne se complaire qu'à Tristan, 'appelant sa femme Yseult et sa maîtresse Brünnhild, le leitmotiv sur les lèvres, et le cygne le cygne de Parsifal sur les boutons de ses chemises; fantasque et pédant, exclusif et injuste, vous écrasant sous le poids des in-folios allemands qu'il sait à peine déchiffrer bref, un wagnérien comme il en existe peut-être, mais auquel, certes, nous ne voudrions pas ressembler. Ne soyons pas les adorateurs d'un seul dieu sous prétexte de wagnérisme, ne foulons pas aux pieds ces glorieux compositeurs qui s'appellent Gluck, Méhul, Weber, Bach, Beethoven, Berlioz et Gounod. Le domaine de l'Art est assez vaste pour que nous puissions comprendre dans la même admiration la Walkyrie et Faust; les Maîtres Chanteurs et Carmen ; Parsifal et les Troyens.

« PreviousContinue »