Il montait comme une prière, Qu'il faisait bon sous les étoiles RACCOMMODEMENT LEVER DE RIDEAU EN UN ACTE PAR M. JULIEN TYRION JEANNE. Je suis convaincue que Lucien viendra me retrouver ici. Il m'a suivie des yeux pendant toute la soirée et je suis certaine que sans la peur du ridicule il aurait essayé de me parler. C'est égal, cela m'a rendue toute drôle de le revoir, depuis bientôt deux ans que nous sommes divorcés. Il a pâli, ses cheveux ont un peu grisonné. Je ne sais si c'est parce que je ne l'ai pas vu depuis longtemps, mais il me semble qu'il a changé à son avantage. Et puis, quel air triste! Ah ma foi, tant pis, je ne regrette rien et si c'était à refaire je recommencerais. Je suis libre, après tout, j'ai 22 ans, une fortune raisonnable, il n'y a pas de quoi se désespérer, et si je voulais écouter Me Blanchot, cet avoué qui depuis si longtemps me fait la cour..... Mais je le déteste cet homme. Il est d'un commun! aussi, malgré tous les efforts qu'il fait pour me plaire, il ne réussit qu'à m'exaspérer. J'entends son pas, c'est lui, c'est Lucien. Prenons une attitude tout à fait tranquille. C'est étonnant comme mon cœur bat. LUCIEN. Madame, je vous demande bien pardon de vous troubler ainsi dans votre rêverie, je cherchais la solitude pour me reposer un instant. Je... je me retire. JEANNE. Mais demeurez donc, Monsieur, vous ne me dérangez en rien. Vous êtes donc des amis de Mme Vandelle? Je ne vous avais pas aperçu au bal et j'étais loin de m'attendre à vous rencontrer. LUCIEN. Croyez bien, Madame, que si j'avais pensé vous revoir à cette soirée, j'aurais pris soin d'éviter un rapprochement qui vous est peut-être pénible. Pénible! Pourquoi ? JEANNE. LUCIEN. Encore une fois, madame, excusez-moi; je ne sais vraiment où j'ai l'esprit. La fatigue sans doute. JEANNE. En effet, vous paraissez souffrant. LUCIEN. Ma foi oui. Je puis bien vous le dire sans honte, depuis que nous sommes séparés. Oh! je ne veux pas parler du passé, rassurez-vous. Depuis quelques années, disais-je, j'ai repris ma vie de garçon: bals, soupers, courses, que saisje? je n'ai plus un instant à moi et je vous assure que je suis un peu las, JEANNE. Vraiment Ce que vous devez vous amuser. Enormément ! LUCIEN.. JEANNE. N'avez-vous pas remporté un prix aux dernières courses d'Auteuil ? Qui, avec Corail! LUCIEN. JEANNE. Corail! cet alezan qui avait une si jolie tête et que vous me permettiez de monter quelquefois, car il était très doux! LUCIEN. Qui, madame, Corail. Je l'aime beaucoup ce cheval! JEANNE. Ah mon Dien vous l'aimez tant que cela! Pourquoi donc ? LUCIEN. Parce que c'est une bonne bête d'abord, et puis aussi parce qu'il me rappelle quelques instants heureux. C'était votre préféré, si je m'en souviens bien? JEANNE. C'est possible. Ce temps est si loin déjà ! LUCIEN. Oh! je m'en souviens parfaitement, moi. Je n'ai pas oublié ces belles promenades que nous faisions ensemble à l'automne, chevauchant l'un à côté de l'autre dans les bois, sous les feuilles rouillées où s'égarait parfois un gai rayon de soleil. Bien souvent nous revenions au pas de nos montures, laissant flotter les rênes. Quelquefois, penché sur ma selle, je vous soutenais de mon bras entourant votre taille ; c'étaient des soirées délicieuses. JEANNE. Comme les années vous changent un homme! Seriez-vous devenu poète par hasard? LUCIEN. Allons, Jeanne! Pourquoi railler? JEANNE. Dieu m'en garde, mais vous ne m'aviez pas habituée à Eh oui, deux ans. Mais vous sortiez du Sacré-Cœur, vous ne connaissiez rien du monde et comme j'avais, moi, un peu vécu, je vous ai tout de suite effarouchée. Votre cœur, qui peut être ne demandait qu'à s'épanouir, s'est bien vite refermé; j'aurai probablement été brutal, maladroit, que sais-je? défaut d'éducation d'un côté comme de l'autre. Vous étiez une petite sainte, j'étais ce qu'on appelle un viveur. J'avais vingt-cinq ans, vous en aviez à peine dix-huit, et mes petits défauts vous paraissaient des crimes. Votre pudeur |