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sont devenus plus pressants; nous n'avons plus le temps d'attendre quelquefois une vie entière - la fortune ou l'aisance. Nous voulons, en très peu de temps, recueillir le nécessaire, même le superflu, et de nouvelles mœurs se sont peu à peu introduites dans le monde des affaires. M. Gustave Caillé était un négociant de la vieille école ; c'est par un travail long et opiniâtre, par une noble persévérance, qu'il amassa toute sa fortune et put se créer la haute situation qu'il occupait dans notre ville.

Esprit cultivé et instruit, notre collègue ne se laissa pourtant jamais absorber par les exigences matérielles de sa profession. Dès le collège, il se faisait remarquer par un goût très vif pour la littérature et les beaux-arts: ce goût ne l'abandonna jamais. Il aimait toutes les sociétés, dont le but est d'élever l'esprit et d'étendre le cercle des relations journalières. Je ne sais guère d'association savante qui ne l'ait compté parmi ses membres il se plaisait à leurs travaux, et, volontiers, y prenait part. Il fut l'un des premiers fondateurs de la Société des Bibliophiles Bretons, dont son fils est, aujourd'hui, secrétaire général. Très assidu aux séances de cette Société, il y fit même de piquantes communications. Rien de ce qui intéressait notre région ne lui était étranger: c'est ainsi qu'il publia, il y a quelques années, une pièce de vers, absolument inédite, de la princesse de Salm, avec de curieuses annotations au crayon rouge et, en marge, le bon à tirer. A une autre séance, il présenta une gravure coloriée, sortie des presses de Charpentier, et représentant un monument funéraire élevé au cimetière de Miséricorde, puis, un peu plus tard, une traduction française du poème héroïque de don Ercilla, l'Araucana: cette traduction, aujourd'hui introuvable, avait été dédiée par son auteur, Gélibert de Meilhiac, à l'amiral Halgan, oncle par alliance de M. Caillé.

Membre de la Société de géographie, M. Caillé y mérita, en 1886, deux médailles pour l'exposition d'un plan à la main de 1766, attribué à Ceineray, et relatif aux projets d'embellissements de la ville.

Enfin, Messieurs, il n'est pas jusqu'à la Société d'horticulture qui ne lui accorda une de ses plus belles distinctions. Vous connaissez tous ce superbe parc de Procé dont son fils a, tant de fois, retracé, dans ses vers, les sites pittoresques et les délicieux ravins. Ce parc, M. Caillé l'a créé de toutes pièces. C'était, il y a une trentaine d'années, un coin perdu, une immense forêt de ronces et de genêts: il faut en parcourir aujourd'hui les allées admirablement ratissées, les accidents de terrains si bien ménagés, les bocages et les parterres, pour apprécier l'œuvre immense que notre collègue sut entreprendre et mener à bonne fin. Le parc de Procé est une merveille d'horticulture, un tour de force que seul pouvait accomplir un homme de goût, un artiste.

Ajouterai-je enfin, Messieurs, que M. Caillé était un des plus anciens membres de la Croix-Rouge, et, qu'un des premiers, il s'affilia à la Société des Femmes de France. Vous trouverez là la marque d'un esprit large et tolérant, qui s'élève au-dessus des rivalités mesquines, pour ne considérer que le bien en lui-même. La charité ne doit pas être exclusive officielle ou privée, elle domine les partis, ou plutôt, elle rallie autour d'elle, dans une œuvre commune, toutes les bonnes volontés et tous les efforts.

M. Gustave Caillé fut un homme de devoir, et nous ressentons vivement sa perte. Je serai, Messieurs, votre interprète à tous, en adressant à notre excellent collègue, M. Dominique Caillé, l'assurance de notre douloureuse sympathie et de nos sincères regrets.

NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR M. POIRIER

PAR M. J. GAHIER.

MESSIEURS,

Pour la seconde fois, depuis le commencement de ma présidence, je me vois dans la douloureuse obligation de vous lire une notice nécrologique. Il y a deux mois, c'était M. Gustave Caillé qui, à peine entré dans notre Société, nous était enlevé par une maladie aussi cruelle que rapide.

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Aujourd'hui, c'est à un de nos plus anciens collègues à un de ceux qui nous étaient le plus attachés que je dois adresser ces quelques mots d'adieu. M. Poirier était un des vétérans de notre Société Académique tous nous le connaissions; tous nous avions pu apprécier sa science et son amour du travail; jusqu'à ces derniers temps, il assistait encore à nos séances, et notre salle de lecture n'avait pas d'hôte plus assidu et plus fidèle. Quelques semaines avant sa mort, brisé par l'âge et la maladie, il s'était fait conduire parmi nous; il avait voulu revoir, encore une fois, cette bibliothèque dont il connaissait toutes les richesses, ces revues qu'il aimait tant à feuilleter; il était resté quelques instants au milieu de nous, s'intéressant à tous les détails de notre vie intérieure, s'informant de chacun de nous et discutant, avec une entière lucidité d'esprit, les intéressantes questions scientifiques où se plaisait son intelligence vive et éclairée. Ce fut une de ses dernières sorties: ses forces dimi

nuèrent de plus en plus; sa constitution, pourtant si robuste, s'affaiblit peu à peu sous le coup des souffrances et de l'âge et, dans les derniers jours du mois de mars dernier, il s'éteignit lentement, sans agonie.

Peu de carrières ont été mieux remplies que celle de notre collègue; on peut dire de lui, sans être taxé d'exagération, qu'il ne trouva le repos que dans la tombe; car sa vie tout entière a été consacrée au travail, et son activité n'avait d'égales que sa haute intelligence et la variété de ses connaissances. Ingénieur de talent, M. Poirier ne se laissa jamais absorber par l'étude exclusive des mathématiques et des sciences c'était un esprit lettré, curieux de toutes les manifestations littéraires et artistiques, un chercheur infatigable, pour qui l'archéologie n'avait pas de secret, et qui savait dégager des découvertes modernes la profonde philosophie qu'elles contiennent et que bien peu, il faut l'avouer, savent y rencontrer. Très affable envers les jeunes, il aimait à encourager leurs débuts, à les guider de ses sages conseils et de sa vieille expérience je n'oublierai jamais l'extrême bienveillance qu'il me témoigna quand, tout jeune dans votre Société, j'y occupais les fonctions de secrétaire adjoint et de secrétaire général.

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Il y avait cependant un terrain sur lequel il fallait se garder d'entraîner M. Poirier c'était l'archéologie. Un peu entier dans ses idées, il ne souffrait guère la contradiction, et je me souviens l'avoir entendu discuter pendant de longues heures sur Grannona ou sur la Grande Brière, sans que m'en accuse bien humblement la lumière me parût jaillir de ces dissertations savantes et documentées. L'archéologie est comme la politique c'est la science qui nous divise le plus; ajouterai-je qu'elle lui ressemble encore par ce côté fuyant, insaisissable, hypothétique, qui, aux yeux d'un profane comme moi, semble en être la caractéristique ?

Par ses études spéciales, M. Poirier était merveilleusement préparé à tenir sa partie dans les discussions archéologiques et scientifiques. Né à Nantes le 19 juillet 1816, il fit de brillantes études au Lycée de Nantes. Il passa son baccalauréat ès-lettres à la Faculté de Rennes et, de 1836 à 1838, suivit, à Paris, les cours de la Sorbonne et du Collège de France. En 1838, il obtint son diplôme de bachelier èssciences mathématiques et entra, en qualité d'externe, à l'Ecole supérieure des Mines, d'où il sortit, en 1840, avec le titre d'ingénieur des mines. En 1840, comme aujourd'hui du reste, il n'était point aisé pour un jeune homme de se créer une situation muni de ses deux diplômes, M. Poirier eut l'heureuse fortune de trouver immédiatement un champ ouvert à son activité et à ses riches connaissances. Il fut attaché à plusieurs exploitations de mines, dans la Vendée d'abord, puis dans la Mayenne il s'y fit remarquer par son savoir, par la sûreté de ses conseils, par la justesse de ses observations. De 1846 à 1859, il occupa, aux houillères de Saint-Louis (Deux-Sèvres), les délicates fonctions d'ingénieurdirecteur associé. Puis, il quitta la France et alla surveiller, en Espagne et en Suisse, d'importants chantiers de métallurgie et de houilles. Partout, notre collègue faisait admirer son ardeur au travail, l'étendue de ses connaissances scientifiques, son habileté à dresser les plans ou à utiliser les gisements.

A partir de 1870, M. Poirier, qu'avaient fatigué cette existence active et ces voyages précipités, n'accepta plus de mission; il consacra ses loisirs à des travaux variés que notre Société est fière d'avoir imprimés dans ses Annales. Faut-il, Messieurs, vous rappeler le titre de ces remarquables études ? elles décèlent, chez notre collègue, de rares qualités de style, jointes à une érudition profonde, à une netteté d'expressions peu communes dans ces sortes d'ouvrages.

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