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les brûlots de l'île d'Aix, le traité de Berlin lui-même avaient épuisé notre flotte nationale. Le nombre des bâtiments était insuffisant, et, pour former les équipages, on manquait d'hommes expérimentés. Le département de la marine, malgré la meilleure volonté, mit huit mois à armer l'Arethuse.

Le 25 novembre, elle appareillait enfin, et, sous toutes voiles, accompagnée du Rubis, elle s'éloignait.

Aussitôt commence pour les équipages des deux navires, cette vie de corsaires que nous avons lue dans maint récit et dans mainte monographie, et que, à quelque heure de notre vingtième année, nous avons peut-être souhaitée.

L'Aréthuse est à quelques encablures, que les signaux de la côte annoncent unc escadre anglaise devant Rochefort, trois vaisseaux et deux frégates devant Quibéron. Et, huit jours plus tard, deux prises sont faites, un brick et une goélette. Les prises continueront jusqu'au 17 avril 1813: à la fin de décembre, un brick espagnol, le Saint-Joseph; un trois-mâts portugais, la Delfina; le 6 janvier 1813, un trois-mâts anglais, la Sainte-Trinité; le 21, un navire de 400 tonneaux, la Ferra; le 26, une goélette anglaise, le James; le 30, un côtre anglais; le 27 mars, un brick américain, le Succès; le 16 avril, un bâtiment portugais ; le 17, un croiseur anglais, le Gascon, et une goélette américaine.

Il y eut donc de bons jours dans cette première campagne, ceux où l'on se partageait la riche cargaison des bâtiments capturés. Le Dr Charyau a noté ce qui lui revenait de la Delfina:

«Dans ma part des toiles, j'ai eu 13 pièces de 20 aunes à peu près. J'ai reçu ensuite 4 paquets de fil très blanc, 4 paquets de soie en fil, 2 aunes de soie noire et 3 bouteilles de liqueur..

D'autres fois, il y avait mieux. Au lendemain de la prise de la Ferra, 12,600 francs étaient distribués sur l'Aréthuse et sur le Rubis.

Ces coutumes, tant soit peu barbares, furent en usage jusqu'à la déclaration de Paris (16 avril 1856).

L'amiral E. Jurien de la Gravière affirme que ce serait » une grande erreur de croire que de pareilles déprédations, » exercées en haute mer, aguerrissent les équipages. Rien ne >> peut avoir sur leur moral une plus fâcheuse influence. » Tout corsaire devient à la longue et dans une certaine » mesure, un pirate. Or, rien ne se bat moins bien qu'un » forban. Un tel reproche n'est pas à faire aux équipages de l'Arethuse. Une seule fois, le capitaine de vaisseau Bouvet qui la commandait dut infliger une punition sévère à un matelot. A bord, tout le monde fit son devoir, noblement et gaiement.

Depuis le départ jusqu'au 13 janvier, la mer a été mauvaise. Six pouces d'eau courent en une seule nuit dans le faux pont, et le Dr Charyau, dont le matelas est mouillé depuis huit jours, est obligé d'y allumer du feu pour préserver la santé des hommes. La même semaine, il se dégage de la cale des gaz sulfurés et ammoniacaux qui noircissent les épaulettes et broderies de l'état-major. Une épidémie de maux de gorge (phlegmasie muqueuse) se déclare; la gale même apparaît. Qu'importe! Que le temps soit beau et, le soir, on dansera et on chantera jusqu'à 10 heures.

Et ces marins qui chantent et dansent seront des héros à l'occasion.

Le 4 février 1813, la frégate a touché sur un banc de corail; le gouvernail a été démonté et ses ferrures mâles ont été brisées. On en refait d'autres. Mais, pour les placer, les premières, restées dans les ferrures femelles, doivent être retirées. Il faut plonger: les requins entourent le bâtiment.

Le plongeur réussira-t-il ? ne sacrifiera-t-il point inutilement sa vie? Un canonnier s'est offert, et bravement, accomplit l'œuvre de salut pour tous.

Mais voici le fait glorieux de la campagne.

Le 6 février, à 11 heures du matin, une voile paraît dans le sud-ouest, venant vent-arrière sur l'Arethuse. C'est un vaisseau de guerre. Eh bien! tant mieux. Le soir, à 5 heures, l'état-major prend un canon pour table et l'on toast joyeusement à l'Empereur, au commandant, au nouveau Rubis, car la frégate aperçue remplacera l'ancien qui a coulé, la veille, dans l'après-midi.

Mais on avait affaire à l'Amélia, une frégate portant 60

canons.

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On lui fait la chasse un jour entier, et c'est seulement le lendemain soir que s'engage un combat qui durera quatre heures. Le courage fut égal de part et d'autre. « Les deux frégates se touchaient et les chargeurs français et anglais » s'arrachaient des mains leurs refouloirs. Il y eut, parmi les blessés, des hommes qui avaient reçu des coups de ⚫ sabre en combattant dans les porte-haubans. » Nous eûmes 90 blessés et 19 morts; l'ennemi eut 52 tués et 98 blessés. Le combat fut donc plutôt un carnage et un carnage inutile, car, à la faveur de la nuit, l'Amélia put s'échapper. De mauvaises heures attendent désormais l'Arethuse. Les vivres frais manqueront; l'état sanitaire empirera et la vaillante frégate, qu'un miracle empêche seul de couler, mouillait enfin, le 19 avril 1813, à 3 heures du soir, en rade de Saint-Malo.

La première campagne a duré 146 jours; la seconde durera trois mois (mars-mai 1814).

Sous le commandement du capitaine de vaisseau Le Bozec, l'Arethuse forme division avec une autre frégate VIllyrienne, à laquelle se joint un brick de guerre,

l'Alcyon. La division va croiser sur les côtes d'Espagne. Dans cette croisière, dix bâtiments ennemis sont capturés. C'étaient de riches prises et qui avaient donné, rien qu'en monnaie, près de 400,000 francs. Mais le commandant devait rentrer en France, et le 24 mai 1814, l'Aréthuse et l'Illyrienne seules, car l'Alcyon était tombé au pouvoir d'un vaisseau anglais, mouillaient dans la rade de Port-Louis, près de Lorient.

Ce jour-là, le Dr Charyau écrivit sur ses notes : « Nous » fimes les derniers flotter le pavillon tricolore. » On sent un certain orgueil et un certain regret dans cette ligne. Ce regret et cet orgueil étaient communs à tous les officiers de la marine impériale qui n'étaient pas avec le régime nouveau, le régime commencé avec Louis XVIII, le 3 mai 1814. Entre eux et les Bourbons, a dit l'un des grands marins » de notre temps, ce fut jusqu'au dernier jour l'alliance d'Andromaque et de Pyrrhus. »

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Les campagnes de l'Arethuse sont terminées pour le Dr Félix Charyau. Dans la narration qu'il en a laissée, « on » retrouve beaucoup d'observations et une bonne humeur qui fait le fond de son esprit. Il y fait preuve aussi d'un » caractère solide et courageux. » Ainsi s'exprime M. Le Beau on ne pouvait s'exprimer mieux.

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Joyeuse humeur, courage, bonté, générosité, telles sont bien, en effet, les qualités du chirurgien-major de l'Aréthuse.

Il y avait deux mois que le jeune docteur était en mer quand il accompagne son commandant dans une visite au Rubis. Une lame prend le canot que montent les deux hommes, par tribord et une autre par babord, et celle-ci embarque. Par un étrange hasard, ils ne furent pas noyés, et le Dr Charyau écrit simplement le soir: « Nous fûmes » quittes pour être mouillés. »

A la fin de la première campagne, il conclut comme mέcontent: Ainsi se termine une croisière de 146 jours assez » malheureuse. » Et ici, M. Le Beau s'arrête et, à bon droit, proteste. Il a raison de ne pas admettre que soit appelée • malheureuse, une campagne d'où l'on revient chargé des lauriers du 7 février 1813, et qui ne se termine qu'au » moment où il n'y a plus de vivres et où le bâtiment coule » bas! »>

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Rentré à Nantes, le 31 octobre 1813, le docteur Charyau épouse le 7 octobre la fille de son vieil ami le médecin en chef des hôpitaux de Nantes Mile Carolie Darbefeuille, et, le 23, il va rejoindre son poste. Il conte cela lui-même, en quelques mots très sobres et comme la chose du monde la plus naturelle. Je me suis rappelé alors ces lignes de l'amiral E. Jurien de la Gravière, parlant de son mariage avec « la ⚫ femme dont son cœur avait fait choix »: « Le jour même où je contractais cette union, nous n'attendions que l'heure de la marée favorable pour appareiller. »

Et M. Le Beau lui-même, devant ces seuls quinze jours donnés par le Dr Charyau à la famille, se contente de dire: « C'est le sentiment du devoir », et ne s'étonne pas.

Prenez garde, Monsieur et cher Collègue, votre modestie pourrait bien avoir à souffrir de l'hommage que vous venez de rendre au père de M. Eugène Charyau.

Ceux qui liront le journal du chirurgien-major de l'Aréthuse, ne seront point faciles à persuader qu'entre le jeune docteur qui a tracé ces notes rapides et l'écrivain compétent qui les a commentées et livrées au public, il n'y a pas cette parenté qui existe entre tous les nobles esprits, tous les grands cœurs et toutes les âmes vaillantes.

EMILE OGER.

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