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Si la science et la sagesse se trouvent unies en un même sujet, je ne m'informe plus du sexe, j'admire et si vous me dites qu'une femme sage ne songe guère à être savante, ou qu'une femme savante n'est guère sage, vous avez déjà oublié ce que vous venez de lire, que les femmes ne sont détournées des sciences que par de certains défauts; concluez donc vousmême que moins elles auraient de ces défauts : plus elles seraient sages; et qu'ainsi une femme sage n'en serait que plus propre à devenir savante; ou qu'une femme savante n'étant telle que parce qu'elle aurait pu vaincre beaucoup de défauts, n'en est que plus sage.

La neutralité entre des femmes qui nous sont également amies, quoiqu'elles aient rompu pour des intérêts où nous n'avons nulle part, est un point difficile: il faut choisir souvent entre elles, ou les perdre toutes deux.

Il y a telle femme (19) qui aime mieux son argent que ses amis, et ses amans que son argent.

l'amour pour les de telles femmes leur sexe que les

Il est étonnant de voir dans le cœur de certaines femmes quelque chose de plus vif et de plus fort que hommes, je veux dire l'ambition et le jeu rendent les hommes chastes, elles n'ont de habits.

Les femmes sont extrêmes : elles sont meilleures ou pires que les hommes.

La plupart des femmes n'ont guère de principes, elles se conduisent par le cœur et dépendent pour leurs mœurs de ceux

qu'elles aiment.

Les femmes vont plus loin en amour que la plupart des hommes; mais les hommes l'emportent sur elles en amitié. Les hommes sont cause que les femmes ne s'aiment point.

Il y a du péril à contrefaire. Lise déjà vieille veut rendre une jeune femme ridicule, et elle-même devient difforme, elle me fait peur. Elle use, pour l'imiter, de grimaces et de contorsions la voilà aussi laide qu'il faut pour embellir celle dont elle se moque.

On veut à la ville que bien des idiots et des idiotes aient de l'esprit. On veut à la cour que bien des gens manquent d'esprit qui en ont beaucoup ; et entre les personnes de ce dernier genre une belle femme ne se sauve qu'à peine avec d'autres femmes.

Un homme est plus fidèle au secret d'autrui qu'au sien propre : une femme, au contraire, garde mieux son secret que celui d'autrui.

Il n'y a point dans le cœur d'une jeune personne un si violent amour, auquel l'intérêt ou l'ambition n'ajoute quelque chose.

Il y a un temps où les filles les plus riches doivent prendre parti. Elles n'en laissent guère échapper les premières occasions sans se préparer un long repentir. Il semble que la réputation des biens diminue en elles avec celle de leur beauté. Tout favorise au contraire une jeune personne, jusques à l'opinion des hommes, qui aiment à lui accorder tous les avantages qui peuvent la rendre plus souhaitable.

Combien de filles (20) à qui une grande beauté n'a jamais servi qu'à leur faire espérer une grande fortune!

Les belles filles sont sujettes à venger ceux de leurs amans qu'elles ont maltraités, ou par de laids, ou par de vieux, ou par d'indignes maris.

La plupart des femmes jugent du mérite et de la bonne mine d'un homme par l'impression qu'il fait sur elles ; et n'accord presque ni l'un ni l'autre à celui pour qui elles ne sentent rien.

Un homme qui serait en peine de connaître s'il change, s'il commence à vieillir, peut consulter les yeux d'une jeune femme qu'il aborde, et le ton dont elle lui parle : il apprendra ce qu'il craint de savoir. Rude école !

Une femme qui n'a jamais les yeux que sur une même personne, ou qui les en détourne toujours, fait penser d'elle la même chose.

Il coûte peu aux femmes de dire ce qu'elles ne sentent point: il coûte encore moins aux hommes de dire ce qu'ils sentent.

Il arrive quelquefois qu'une femme cache à un homme toute la passion qu'elle sent pour lui, pendant que de son côté il feint elle toute celle qu'il ne sent pas.

pour

L'on suppose un homme indifférent, mais qui voudrait persuader à une femme une passion qu'il ne sent pas ; et l'on demande s'il ne lui serait pas plus aisé d'en imposer à celle dont il est aimé, qu'à celle qui ne l'aime point.

Un homme peut tromper une femme par un feint attachement, pourvu qu'il n'en ait pas ailleurs un véritable.

Un homme éclate contre une femme qui ne l'aime plus, et se console: une femme fait moins de bruit quand elle est quittée, et demeure long-temps inconsolable.

Les femmes guérissent de leur paresse par la vanité ou par

l'amour.

La paresse au contraire, dans les femmes vives, est le présage de l'amour.

Il est fort sûr qu'une femme qui écrit avec emportement est emportée ; il est moins clair qu'elle soit touchée. Il semble qu'une passion vive et tendre est morne et silencieuse; et que le plus pressant intérêt d'une femme qui n'est plus libre, et celui qui

l'agite davantage, est moins de persuader qu'elle aime, que de

s'assurer si elle est aimée.

Glycere (21) n'aime pas les femmes, elle hait leur commerce et leurs visites, se fait celer pour elles, et souvent pour ses amis, dont le nombre est petit, à qui elle est sévère, qu'elle resserre dans leur ordre, sans leur permettre rien de ce qui passe l'amitié: elle est distraite avec eux, leur répond par des monosyllabes, et semble chercher à s'en défaire. Elle est solitaire et farouche dans sa maison; sa porte est mieux gardée, et sa chambre plus inaccessible que celles de Monthoron et d'Hémery. Une seule Corinne y est attendue, y est reçue, et à toutes les heures : on l'embrasse à plusieurs reprises, on croit l'aimer, on lui parle à l'oreille dans un cabinet où elles sont seules; on a soi-même plus de deux oreilles pour l'écouter; on se plaint à elle de tout autre que d'elle, on lui dit toutes choses et on ne lui apprend rien, elle a la confiance de tous les deux. L'on voit Glycère en partie carrée au bal, au théâtre, dans les jardins publics, sur le chemin de Venouze où l'on mange les premiers fruits; quelquefois seule en litière sur la route du grand faubourg où elle a un verger délicieux, ou à la porte de Canidie ** qui a de si beaux secrets, qui promet aux jeunes femmes de secondes noces, qui en dit le temps et les circonstances. Elle paraît ordinairement avec une coiffure plate et négligée, en simple déshabillé, sans corps et avec des mules: elle est belle en cet équipage, il ne lui manque que de la fraîcheur. On remarque néanmoins sur elle une riche attache qu'elle dérobe avec soin aux yeux de son mari : elle le flatte, elle le caresse, elle invente tous les jours pour lui de nouveaux noms, elle n'a pas d'autre lit que celui de ce cher époux, et elle ne veut pas découcher. Le matin elle se partage entre sa toilette et quelques billets qu'il faut écrire. Un affranchi vient lui parler en secret, c'est Parmenon, qui est favori, qu'elle soutient contre l'antipathie du maître et la jalousie des domestiques. Qui à la vérité fait mieux connaître des intentions et rapporte mieux une réponse que Parmenon? Qui parle moins de ce qu'il faut tairè? Qui sait ouvrir une porte secrète avec moins de bruit? Qui conduit plus adroitement par le petit escalier? Qui fait mieux sortir par où l'on est entré?

Je ne comprends pas (22) comment un mari qui s'abandonne à son humeur et à sa complexion, qui ne cache aucun de ses défauts, et se montre au contraire par ses mauvais endroits, qui est avare, qui est trop négligé dans son ajustement, brusque dans ses réponses, incivil, froid et taciturne, peut espérer de

* Vincennes.

** La Voisin, empoisonneuse, qui a été pendue et brûlée.

défendre le cœur d'une jeune femme contre les entreprises de son galant qui emploie la parure et la magnificence, la complaisance, les soins, l'empressement, les dons, la flatterie.

Un mari n'a guère un rival qui ne soit de sa main et comme un présent qu'il a autrefois fait à sa femme. Il le loue devant elle de ses belles dents et de sa belle tête : il agrée ses soins, il reçoit ses visites; et après ce qui lui vient de son crû, rien ne lui paraît de meilleur goût que le gibier et les truffes que cet ami lui envoie. Il donne à souper et il dit aux convives goûtez bien cela, il est de Léandre, et il ne me coûte qu'un grand-merci. Il y a telle femme (23) qui anéantit ou qui enterre son mari, au point qu'il n'en est fait dans le monde aucune mention : vit-il encore, ne vit-il plus? on en doute. Il ne sert dans sa famille qu'à montrer l'exemple d'un silence timide et d'une parfaite soumission. Il ne lui est dû ni douaire ni conventions; mais à cela près, et qu'il n'accouche pas, il est la femme et elle le mari. Ils passent les mois entiers dans une même maison sans le moindre danger de se rencontrer ; il est vrai seulement qu'ils sont voisins. Monsieur paie le rôtisseur et le cuisinier, et c'est toujours chez madame qu'on a soupé. Ils n'ont souvent rien de commun, lit, ni la table, pas même le nom : ils vivent à la romaine ou à la grecque, chacun a le sien ; et ce n'est qu'avec le temps et après qu'on est initié au jargon d'une ville, qu'on sait enfin que M. B.... est publiquement, depuis vingt années, le mari de madame L....

ni le

Telle autre femme à qui le désordre manque pour mortifier son mari, y revient par sa noblesse et ses alliances, par la riche dot qu'elle a apportée, par les charmes de sa beauté, par son mérite, par ce que quelques uns appellent vertu.

Il y a peu de femmes si parfaites, qu'elles empêchent un mari de se repentir, du moins une fois le jour, d'avoir une femme, ou de trouver heureux celui qui n'en a point.

Les douleurs muettes et stupides sont hors d'usage: on pleure, on récite, on répète, on est si touchée de la mort de son mari, qu'on n'en oublie pas la moindre circonstance.

Ne pourrait-on pas découvrir l'art de se faire aimer de sa femme?

Une femme insensible est celle qui n'a pas encore vu celui qu'elle doit aimer.

Il y avait à Smyrne une très-belle fille qu'on appellait Émire, et qui était moins connue dans toute la ville par sa beauté que par la sévérité de ses mœurs, et surtout par l'indifference qu'elle conservait pour tous les hommes, qu'elle voyait, disaitelle, sans aucun péril, et sans d'autres dispositions que celles où

elle se trouvait pour ses amies ou pour ses frères. Elle ne croyait pas la moinde partie de toutes les folies qu'on disait que l'amour avait fait faire dans tous les temps; et celles qu'elle avait vues elle-même, elle ne les pouvait comprendre : elle ne connaissait que l'amitié. Une jeune et charmante personne à qui elle devait cette expérience, la lui avait rendue si douce, qu'elle ne pensait qu'à la faire durer, et n'imaginait pas par quel autre sentiment elle pourrait jamais se refroidir sur celui de l'estime et de la confiance dont elle était si contente. Elle ne parlait que d'Euphrosine, c'était le nom de cette fidèle amie; et tout Smyrne ne parlait que d'elle et d'Euphrosine : leur amitié passait en proverbe. Emire avait deux frères qui étaient jeunes, d'une excellente beauté, et dont toutes les femmes de la ville étaient éprises: il est vrai qu'elle les aima toujours comme une sœur aime ses frères. Il y eut un prêtre de Jupiter qui avait accès dans la maison de son père, à qui elle plut, qui osa le lui déclarer, et ne s'attira que du mépris. Un vieillard qui, se confiant en sa naissance et en ses grands biens, avait eu la même audace, eut aussi la même aventure. Elle triomphait cependant; et c'était jusqu'alors au milieu de ses frères, d'un prêtre et d'un vieillard qu'elle se disait insensible. Il sembla que le ciel voulût l'exposer à de plus fortes épreuves, qui ne servirent néanmoins qu'à la rendre plus vaine, et qu'à l'affermir dans la réputation d'une fille que l'amour ne pouvait toucher. De trois amans que ses charmes lui acquirent successivement, et dont elle ne craignit pas de voir toute la passion, le premier dans un transport amoureux se perça le sein à ses pieds; le second, plein de désespoir de n'être pas écouté, alla se faire tuer à la guerre de Crète ; et le troisième mourut de langueur et d'insomnie. Celui qui les devait venger n'avait pas encore paru. Ce vieillard qui avait été si malheureux dans ses amours s'en était guéri par des réflexions sur son âge et sur le caractère de la personne à qui il voulait plaire : il désira de continuer de la voir, et elle le souffrit. Il lui amena un jour son fils qui était jeune, d'une physionomie agréable, et qui avait une taille fort noble. Elle le vit avec intérêt; et comme il se tut beaucoup en la présence de son père, elle trouva qu'il n'avait pas assez d'esprit, et désira qu'il en eût eu davantage. Il la vit seul, parla assez, et avec esprit ; mais comme il la regarda peu, et qu'il parla encore moins d'elle et de sa beauté, elle fut surprise et comme indignée qu'un homme si bien fait et si spirituel ne fût pas galant. Elle s'entretint de lui avec son amie qui voulut le voir. Il n'eut des yeux que pour Euphrosine, il lui dit qu'elle était belle; et Emire si indifférente, devenue jalouse, comprit que Ctésiphon était persuadé de ce qu'il disait,

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