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Tout de même!

Et au pouvoir de son Église?

Après, lui dis-je.

Emané de Jésus-Christ?

Je le crois.

Vous croyez donc, poursuivit-il, que les fêtes que nous trouvons établies dans l'Église pour célébrer chacun des mystères de la religion, sont bien et religieusement instituées, autorisées même par le Saint-Esprit, qui gouverne l'Église depuis l'ascen

sion de Jésus-Christ?

Je l'ai appris ainsi.

Où voit-on dans les jours qu'on appelle des fêtes solennelles, réciter de certaines leçons, de certains psaumes et de certaines homélies, dire de certaines messes, faire de certaines cérémonies, s'appliquer à certaines prières et certaines méditations sur tel et tel mystère?

Dans l'Église, mon frère.

Qui l'a ordonné ainsi?
L'Église, lui dis-je.

Prenez garde, ma sœur, gouvernée par Jésus-Christ, inspirée par le Saint-Esprit. Et continuant son discours : Celui donc qui dans ces jours récite un tel psaume, s'applique à une telle messe, médite un tel mystère, ne fait-il pas ce que le Saint-Esprit lui dicte par l'organe de l'Église qui a ses usages, ses lois, sa tradition; et s'il suit le mouvement du Saint-Esprit, s'il se laisse aller à la pratique de toute l'Église, où il a reçu le baptême, et dont il fait partie : Hé, ma sœur, pouvez-vous dire qu'il suit sa propre détermination? Qu'il agisse par propriété et par activité? Que ce soient là des actions vivantes, des actions d'Adam, des péchés qu'il faille confesser? Quand s'est-on jamais confessé de pareils péchés? Quelles sortes de pénitences, à votre avis, lui pourrait-on imposer selon l'esprit de cette même Église, des jeûnes? des psaumes? des prières, des méditations sur les mystères? ses propres péchés pour pénitences qu'il faudra expier jusqu'à l'infini, par pénitences qui sont d'autres péchés : de sorte que cela se perpétuant jusqu'à la fin de sa vie, vous faites mourir mon saint dans l'impénitence finale.

Il y a un bon remède à cela, mon frère.

Hé, quel peut-il êtré ?

Le simple regard.

Le simple regard, ma sœur? vous me faites souvenir des charlatans qui n'ont jamais manqué d'un remède à tous maux, et qui ne guérit d'aucun en particulier.

Ah! mon frère, repris-je, si vous saviez, si vous pouviez

expérimenter une fois, ce que c'est qu'une âme fervente, élevée par la contemplation acquise jusqu'à la vue confuse et indistincte de l'essence de Dieu, si vous compreniez le plaisir de cette âme dans les renoncemens à sa propre action, dans les plongemens qu'elle fait dans l'océan de la volonté divine, quelle paix, quel repos, quelles nuits resplendissantes pour cette âme, de ne plus voir en elle qu'un dénuement parfait de toute opération, pour ne plus souffrir que l'action de Dieu! Combien alors la distinction des jours lui paraît frivole et mal entendue! combien les fêtes les plus solennelles lui sont peu de chose! quelle insipidité elle trouverait dans le récit des psaumes, quelle inutilité dans les prédications et pour ceux qui les font, et pour ceux qui les écoutent; quelle froideur même souvent, et quelle indifférence pour une messe de paroisse, quelle sécheresse pour elle de méditer sur la justice de Dieu, ou sur ses miséricordes; ah! frère, Dieu présent partout, Dieu présent en tous lieux (1).

mon

Vous vous emportez, ma sœur, mais je vais m'emporter à mon tour, et ma patience est enfin poussée à bout par tout ce que je viens d'entendre, et en élevant sa voix : Quoi pendant que toute l'Église de Jésus-Christ verse des larmes de tendresse sur la naissance d'un enfant qui est Dieu, et qui se manifeste aux hommes pour leur salut dans le temps, et de la manière qu'il a été prédit et annoncé, ou pendant qu'elle est transportée d'une joie sainte sur une résurrection qu'elle regarde comme le fondement inébranlable de sa foi, de son espérance et de sa sanctification, qu'elle s'assemble dans les temples pour y faire retentir au loin les louanges de Dieu, les mêmes louanges qui ont été autrefois dictées à son prophète par le Saint-Esprit, pour y solenniser des messes publiques, pour y ouvrir les tribunaux de la pénitence, où l'on trouve la rémission de ses péchés; pour dresser des tables des sacrés mystères, où sont admis tous les fidèles; le concours du peuple y est universel, le son des cloches qui s'est fait entendre pendant la nuit, a réveillé la piété des chrétiens, leur a annoncé la grande solennité, et les y a invités. Tous perdent le sommeil, courent aux églises, y adorent Dieu

y

(1) Cet acte, je suis ici, Seigneur, dans le dessein de ne vouloir que vous, peut être bon les premiers jours, lesquels étant passés, vous vous contenterez de la pure foi de Dieu présent, et de la simple intention que vous avez de vous abandonner à lui, sans en faire aucuns nouveaux actes. Malaval, Pratique facile.

Présence de Dieu sous une idée abstraite, consiste à regarder Dieu seul en lui-même, ce qui comprend tout. Ibid.

Quand nous regardons Dieu seul en lui-même, en concevant sa simple presence, nous l'envisageons alors avec toutes ses perfections. C'est pour lors qu'on voit Dieu tel qu'il est en lui-même, et non pas tel qu'il est représenté par nos idées. Ibid.

dans ses mystères; vous seuls par singularité, ou par un faux sentiment de la sublimité de votre état, dédaignant la maison du seigneur et ceux qui la fréquentent en ces saints jours, vous présumez que c'est agir par l'esprit de Dieu, et par des vues surnaturelles, que de vous renfermer dans un coin de vos maisons, et là sans y penser, ou à un Dieu fait chair, ou à un Dieu ressuscité (1), de vous borner seulement à ne penser à rien, ou tout au plus à Dieu présent en tous lieux ; vous estimez au contraire que ceux qui suivent l'esprit de Dieu et de son Église, en s'unissant aux cérémonies et aux prières de sa liturgie, accommodées à la célébrité du jour, n'agissent que par un principe corrompu, ne font que des actions vivantes, ou (selon votre père) mortes en effet pour le salut et pour votre justification. Cela est si ridicule et si absurde, ma sœur, je ne vous le dissimule point, que tout autre que moi sans y répondre, hausserait les épaules, et s'en moquerait.

Je ne sais, mon frère, lui répliquai-je, si vous m'avez écouté, quand j'ai dit que les voies extraordinaires n'étaient que pour les parfaits.

Vous vous moquez, me dit-il, je sais que vos docteurs en font des leçons aux enfans, aux valets, aux artisans; mais j'empêcherai bien que vous ne gâtiez mes domestiques, et si j'en suis le maître, mon filleul aussi, qu'on m'a dit que vous vouliez à huit ans au plus, jeter dans la vue confuse et indistincte de Dieu; je crois avec cela que c'est l'âge où il saura mieux s'en tirer qu'en nul autre temps de sa vie.

Mon fils, lui dis-je, n'est pas encore assez parfait pour cela, quoi, lui connaître Dieu confusément et indistinctement ?

Je vous entends, ma sœur, quand vous le jugerez assez parfait; ce sera alors qu'il faudra songer à le tirer de la déférence qu'il doit aux usages de l'Église, et à le dégoûter des pratiques chré

(1) Lorsque le Seigneur conduit l'âme à la contemplation, l'esprit devient incapable de méditer la Passion de Jésus-Christ; parce que la méditation n'étant autre chose que l'action de chercher Dieu, dès que l'âme l'a trouvé une fois, elle s'accoutume à ne le chercher que par le moyen de la volonté, et ne veut plus s'embarrasser de l'entendement. Molinos, Intród. à la Guide Spirii. sect. 3, n. 24.

Après que nous avons médité tant d'années sur l'humanité du Sauveur du monde, il faut enfin apprendre à nous reposer en Dieu, à qui elle nous conduit. Malaval, Pratique facile.

Ceux qui sont arrivés par la grâce à la pure contemplation, où il n'y a plus de méditation, ni d'actes raisonnés, de souvenir de Jésus-Christ, à l'état de pure foi, conçoivent Jésus-Christ Homme-Dieu d'une seule vue d'esprit sans pensée quelconque qui soit distincte, si ce n'est que le Saint-Esprit nous applique quelquefois aux considérations sur la sainte humanité par la volonté divine, et non par la nôtre, qui n'agit plus, ni par notre choix. Malaval Pratique facile.

tiennes ainsi la négligence sur ses devoirs, sera une induction de la perfection de son état, et il pourrait même par vos soins monter à un tel degré, que votre directeur les dispenserait pour toujours d'aller à confesse et de communier.

DIRECT. C'est selon, deviez-vous lui dire; car ma fille, si l'on sentait en sa conscience que l'on fût dans de telles dispositions à l'égard de ces sacremens, qu'on ne pût les désirer, s'y préparer et les recevoir sans propriété et activité, et qu'on fût ainsi exposé à participer aux mystères de Dieu sans motion divine; je tiens, et tous nos docteurs avec moi, qu'il n'y a point de circonstances tirées du jour, du précepte, de la bienséance, ou de la nécessité, qui puissent obliger une âme fidèle à commettre un péché en usant de la confession et de la communion, et qu'elle fait mieux de s'en abstenir. Mais vous aurez, madame, le loisir et l'occasion peut-être d'épuiser cette importante matière. Achevons l'entretien avec votre docteur.

PÉNIT. Un des messieurs de Sorbonne se fit annoncer, comme il en était où je vous ai dit.

DIRECT. Hé bien?

PÉNIT. Il ne voulut pas poursuivre en présence de son ami, et je crois par des égards pour moi; je le voulais encore moins que lui; car comme il est né éloquent et beau parleur, il rend les choses qu'il dit assez plausibles et capables de faire impression. Je voudrais, mon père, vous le faire connaître, vous lui répondriez beaucoup mieux que moi, et je vous avouerai qu'avant que de nous séparer, je lui proposai le plus honnêtement que je pus, de vous venir voir et de vous aboucher ensemble quelque part.

Un plaisant mot de ma belle-mère là-dessus. Vous ne sauriez mieux faire, ma fille, que de les faire trouver ensemble. Voulezvous que ce soit ici? J'aurais le plaisir de voir mon fils l'abbé vous rendre tous deux chrétiens, vous et votre directeur.

DIRECT. Nous parlerons, madame, de cette entrevue la pre

mière fois.

PÉNIT. J'y consens, mon père, aussi-bien je crains que le récit de cette conversation ne nous ait mené trop loin, et qu'il ne vous ait peut-être un peu ennuyé.

DIRECT. Point du tout, madame, mais puisque vous le voulez ainsi, je vous laisse partir, pourvu que vous vous engagiez à ne me rien cacher à l'avenir de telles aventures.

Les maximes des Quiétistes détournent de la confession et de la péni`tence. L'abandon parfait qu'ils enseignent, jette dans l'indifférence pour le salut, pour les bonnes œuvres, pour les biens spirituels, pour les vices et les vertus : Il fait consentir l'âme à l'extinction de la charité et de la foi, à aimer l'état du péché, le désespoir et la damnation. Affreuses conséquences de cette indifférence absolue : Qu'elle renverse les premiers principes du christianisme : Qu'elle est directement opposée à toutes les demandes que l'on fait dans l'oraison dominicale.

DIRECT.

IRECT. Mon Dieu, madame, j'appréhende bien que vous ne vous soyez un peu ennuyée dans ce mauvais poste, et que le froid que vous avez souffert en m'attendant, n'ait causé cet abattement, et cette pâleur que je vous vois. Où sont donc ces yeux vifs et rians, ces belles couleurs qui relevaient votre teint? Je ne suis pas au moins édifié de cet air languissant que vous nous apportez; vous étiez si vive, et dans une si parfaite santé la dernière fois. Donnez-moi vos deux mains que je vous fasse jurer que vous prendrez plus de soin de vous à l'avenir. Que vous est-il donc arrivé, ma chère dame, depuis huit jours que nous ne nous sommes pas vus? Est-ce toujours ce mari, est-ce moi? votre belle-mère, ou monsieur son. fils le docteur? Vous plaindriezvous de moi? Car vous êtes triste, et point du tout dans votre naturel. Serait-ce notre doctrine qui vous inquiéterait? Est-ce que nos pratiques surpassent vos forces? Cela serait bien extraordinaire; car pour une âme qui éprouve des peines, des langueurs, et des sécheresses dans nos exercices, il y en a mille que Dieu conduit par le repos, par la douceur, et j'oserais dire, par une divine nonchalance. Y a-t-il rien de plus agréable à une jeune femme, d'une complexion délicate, que de demeurer passive toute sa vie, et d'avoir même scrupule de faire pour Dieu et pour le paradis, la moindre action qui puisse l'émouvoir le moins du monde, que de ne se plus tourmenter ni du passé ni de l'avenir, et pour le présent, prendre le temps comme il vient (1), sans

(1) L'abandon est ce qu'il y a de conséquence dans toute la vie, et c'est la clef de l'intérieur. Qui sait bien s'abandonner, sera bientôt parfait.... Pour la pratique, elle doit être de perdre sans cesse toute volonté propre dans la volonté de Dieu, de renoncer à toutes inclinations particulières, quelque bonnes qu'elles paraissent, sitôt qu'on les sent naître, pour se mettre dans l'indifférence, et ne vouloir que ce que Dieu a voulu dès son éternité; être indifférent à toutes choses, soit pour le corps, soit pour l'âme, pour les biens temporels et éternels, laisser le passé dans l'oubli, l'avenir à la Providence, et donner le présent à Dieu; nous contenter du moment actuel, qui nous apporte avec soi l'ordre éternel de Dieu sur nous, et qui nous est une déclaration autant infaillible de la volonté de Dieu, comme elle est commune et inévitable pour, tous. Moyen court.

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