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Roscius (6) entre sur la scène de bonne grâce; oui, Lélie (7); et j'ajoute encore qu'il a les jambes bien tournées, qu'il joue bien, et de longs rôles; et pour déclamer parfaitement il ne lui manque, comme on le dit, que de parler avec la bouche; mais est-il le seul qui ait de l'agrément dans ce qu'il fait ; et ce qu'il fait, est-ce la chose la plus noble et la plus honnête que l'on puisse faire? Roscius d'ailleurs ne peut être à vous, il est à une autre ; et quand cela ne serait pas ainsi, il est retenu: Claudie (8) attend pour l'avoir qu'il se soit dégoûté de Messaline (9). Prenez Bathylle (10), Lélie : où trouverez-vous, je ne dis pas dans l'ordre des chevaliers que vous dédaignez, mais même parmi les farceurs un jeune homme qui s'élève si haut en dansant et qui fasse mieux la cabriole? Voudriez-vous le sauteur Cobus (11) qui, jetant ses pieds en avant tourne une fois en l'air avant que de tomber à terre? ignorez-vous qu'il n'est plus jeune ? Pour Bathylle, dites-vous, la presse y est trop grande; et il refuse plus de femmes qu'il n'en agrée. Mais vous avez Dracon (12) le joueur de flûte': nul autre de son métier n'enfle plus décemment ses joues en soufflant dans le hautbois ou le flageolet; car c'est une chose infinie que le nombre des instrumens qu'il fait parler; plaisant d'ailleurs, il fait rire jusqu'aux enfans et aux femmelettes : qui mange et qui boit mieux que Dracon en un seul repas? il enivre toute une compagnie, et il se rend le dernier. Vous scupirez, Lélie; est-ce que Dracon aurait fait un choix, ou que malheureusement on vous aurait prévenue? Se serait-il enfin engagé à Césonie (13) qui l'a tant couru, qui lui a sacrifié une grande foule d'amans, je dirai même toute la fleur des Romains; à Césonie qui est d'une famille patricienne, qui est si jeune, si belle et si sérieuse? Je vous plains, Lélie, si vous avez pris par contagion ce nouveau goût qu'ont tant de femmes Romaines pour ce qu'on appelle des hommes publics et exposés par leur condition à la vue des autres. Que ferez-vous, lorsque le meilleur en ce genre vous est enlevé? Il reste encore Bronte le questionnaire; le peuple ne parle que de sa force et de son adresse; c'est un jeune homme qui a les épaules larges et la taille ramassée, un nègre d'ailleurs, un homme noir.

Pour les femmes du monde, un jardinier est un jardinier, et un maçon est un maçon pour quelques autres plus retirées, un maçon est un homme, un jardinier est un homme. Tout est ⚫tentation à qui la craint.

Quelques femmes (14) donnent aux couvens et à leurs amans; galantes et bienfaitrices, elles ont jusque dans l'enceinte de l'autel des tribunes et des oratoires où elles lisent des billets Le bourreau.

tendres, et où personne ne voit qu'elles ne prient point Dieu. Qu'est-ce qu'une femme (15) que l'on dirige? est-ce une femme plus complaisante pour son mari, plus douce pour ses domestiques, plus appliquée à sa famille et à ses affaires, plus ardente et plus sincère pour ses amis, qui soit moins esclave de son humeur, moins attachée à ses intérêts, qui aime moins les commodités de la vie ; je ne dis pas qui fasse des largesses à ses enfans qui sont déjà riches; mais qui, opulente elle-même et accablée du superflu, leur fournisse le nécessaire, et leur rende au moins la justice qu'elle leur doit ; qui soit plus exempte d'amour de soi-même et d'éloignement pour les autres; qui soit plus libre de tous attachemens humains? Non, dites-vous, n'est rien de toutes ces choses. J'insiste, et je vous demandé qu'est-ce donc qu'une femme que l'on dirige? Je vous entends, c'est une femme qui a un directeur.

ce

Si le confesseur et le directeur ne conviennent point sur une règle de conduite, qui sera le tiers qu'une femme prendra pour sur-arbitre?

Le capital pour une femme n'est pas d'avoir un directeur, mais de vivre si uniment qu'elle s'en puisse passer.

Si une femme pouvait dire à son confesseur avec ses autres faiblesses, celle qu'elle a pour son directeur, et le temps qu'elle perd dans son entretien, peut-être lui serait-il donné pour pénitence d'y renoncer.

Je voudrais qu'il me fût permis de crier de toute ma force à ces hommes saints qui ont été autrefois blessés des femmes: fuyez les femmes, ne les dirigez point; laissez à d'autres le soin de leur salut.

C'est trop contre un mari d'être coquette et dévote : une femme devrait opter.

J'ai différé à le dire, et j'en ai souffert; mais enfin il m'échappe, et j'espère même que ma franchise sera utile à celles qui, n'ayant pas assez d'un confesseur pour leur conduite, n'usent d'aucun discernement dans le choix de leurs directeurs. Je ne sors pas d'admiration et d'étonnement à la vue de certains personnages que je ne nomme point. J'ouvre de fort grands yeux sur eux je les contemple: ils parlent, je prête l'oreille je m'informe, on me dit des faits, je les recueille; et je ne comprends pas comment des gens en qui je crois voir toutes choses diamétralement opposées au bon esprit, au sens droit, à l'expérience des affaires du monde, à la connaissance de l'homme, à la science de la religion et des mœurs, présument que Dieu doive renouveler en nos jours la merveille de l'apostolat, et faire un miracle en leurs personnes, en les rendant capables, tout simples et

petits esprits qu'ils sont, du ministère des âmes, celui de tous le plus délicat et le plus sublime : et si au contraire ils se croient nés pour un emploi si relevé, si difficile, accordé à si peu de personnes, et qu'ils se persuadent de ne faire en cela qu'exercer leurs talens naturels et suivre une vocation ordinaire, je le comprends encore moins.

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Je vois bien que le goût qu'il y a à devenir le dépositaire du secret des familles, à se rendre nécessaire pour les réconciliations, à procurer des commissions ou à placer des domestiques, à trouver toutes les portes ouvertes dans les maisons des grands, à manger souvent à de bonnes tables, à se promener en carrosse dans une grande ville, et à faire de délicieuses retraites à la campagne, à voir plusieurs personnes de nom et de distinction s'intéresser à sa vie et à sa santé, et à ménager pour les autres et pour soi-même tous les intérêts humains: je vois bien, encore une fois, que cela seul a fait imaginer le spécieux et irrépréhensible prétexte du soin des âmes, et semé dans le monde cette pépinière intarissable de directeurs.

La dévotion vient (16) à quelques uns, et surtout aux femmes, comme une passion, ou comme le faible d'un certain âge, ou comme une mode qu'il faut suivre. Elles comptaient autrefois une semaine par les jours de jeu, de spectacle, de concert, de mascarade, ou d'un joli sermon. Elles allaient le lundi perdre leur argent chez Ismène, le mardi leur temps chez Climène, et le mercredi leur réputation chez Célimène: elles savaient dès la veille toute la joie qu'elles devaient avoir le jour d'après et le lendemain elles jouissaient tout à la fois du plaisir présent et de celui qui ne leur pouvait manquer: elles auraient souhaité de les pouvoir rassembler tous en un seul jour. C'était alors leur unique inquiétude et tout le sujet de leurs distractions et si elles se trouvaient quelquefois à l'opéra, elles y regrettaient la comédie. Autre temps, autres mœurs : elles outrent l'austérité et la retraite, elles n'ouvrent plus les yeux qui leur sont donnés pour voir, elles ne mettent plus leurs sens à aucun usage; et, chose incroyable! elles parlent peu elles pensent encore et assez bien d'elles-mêmes, comme assez mal des autres. II chez elles une émulation de vertu et de réforme, qui y a tient quelque chose de la jalousie. Elles ne haïssent pas de primer dans ce nouveau genre de vie, comme elles faisaient dans celui qu'elles viennent de quitter par politique ou par dégoût. Elles se perdaient gaiement par la galanterie, par la bonne chère, et par l'oisivité; et elles se perdent tristement par la présomption et par l'envie.

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Si j'épouse, Hermas, une femme ayare, elle ne me ruinera

point si une joueuse, elle pourra s'enrichir : si une savante, elle saura m'instruire: si une prude, elle ne sera point emportée si une emportée, elle exercera ma patience : si une coquette, elle voudra me plaire : si une galante, elle le sera peutêtre jusqu'à m'aimer: si une dévote (17), répondez, Hermas que dois-je attendre de celle qui veut tromper Dieu, et qui se trompe elle-même ?

Une femme est aisée à gouverner pourvu que ce soit un homme qui s'en donne la peine. Un seul même en gouverne plusieurs : il cultive leur esprit et leur mémoire, fixe et détermine leur religion; il entreprend même de régler leur cœur. Elles n'approuvent et ne désapprouvent, ne louent et ne condamnent qu'après avoir consulté ses yeux et son visage. Il est le dépositaire de leurs joies et de leurs chagrins, de leurs désirs, de leurs jalousies, de leurs haines et de leurs amours : il les fait rompre avec leurs galans il les brouille et les réconcilie avec leurs maris ; et il profite des interrègnes. Il prend soin de leurs affaires, sollicite leurs procès, et voit leurs juges: il leur donne son médecin, son marchand, ses ouvriers : il s'ingère de les loger, de les meubler, et il ordonne de leur équipage. On le voit avec elles dans leurs carrosses, dans les rues d'une ville et aux promenades, ainsi que dans leur banc à un sermon, et dans leur .loge à la comédie. Il fait avec elles les mêmes visites, il les accompagne au bain, aux eaux, dans les voyages : il a le plus commode appartement chez elles à la campagne. Il vieillit sans déchoir de son autorité: un peu d'esprit et beaucoup de temps à perdre lui suffit pour la conserver. Les enfans, les héritiers, la bru, la nièce, les domestiques, tout en dépend. Il a commencé par se faire estimer : il finit par se faire craindre. Cet ami si ancien, si nécessaire, meurt sans qu'on le pleure ; et dix femmes dont il était le tyran héritent, par sa mort, de la liberté.

Quelques femmes (18) ont voulu cacher leur conduite sous les dehors de la modestie; et tout ce que chacune a pu gagner par une continuelle affectation, et qui ne s'est jamais démentie, a été de faire dire de soi on l'aurait prise pour une vestale.

C'est dans les femmes une violente preuve d'une réputation bien nette et bien établie, qu'elle ne soit pas même effleurée par la familiarité de quelques unes qui ne leur ressemblent point; et qu'avec toute la pente qu'on a aux malignes explications, on ait recours à une toute autre raison de ce commerce, qu'à celle de la convenance des mœurs.

Un comique outre sur la scène ses personnages: un poëte charge ses descriptions: un peintre qui fait d'après nature,

force et exagère une passion, un contraste, des attitudes; et celui qui copie, s'il ne mesure au compas les grandeurs et les proportions, grossit ses figures, donne à toutes les pièces qui entrent dans l'ordonnance de son tableau plus de volume que n'en ont celles de l'original de même la pruderie est une imitation de la sagesse.

Il y a une fausse modestie qui est vanité; une fausse gloire qui est légèreté; une fausse grandeur qui est petitesse; une fausse vertu qui est hypocrisie; une fausse sagesse qui est pru

derie.

Une femme prude paie de maintien et de paroles; une femme sage paie de conduite. Celle-là suit son humeur et sa complexion, celle-ci sa raison et son cœur. L'une est sérieuse et austère, l'autre est dans les diverses rencontres précisément ce qu'il faut qu'elle soit. La première cache des faibles sous de plausibles dehors; la seconde couvre un riche fonds sous un air libre et naturel. La pruderie contraint l'esprit, ne cache ni l'âge ni la laideur, souvent elle les suppose. La sagesse au contraire pallie les défauts du corps, anoblit l'esprit, ne rend la jeunesse que plus piquante, et la beauté que plus périlleuse.

Pourquoi s'en prendre aux hommes de ce que les femmes ne sont pas savantes? par quelles lois, par quels édits, par quels rescrits leur á-t-on défendu d'ouvrir les yeux et de lire, de retenir ce qu'elles ont lu, et d'en rendre compte ou dans leur, conversation ou par leurs ouvrages? Ne se sont-elles pas au contraire établies elles-mêmes dans cet usage de ne rien savoir, ou par la faiblesse de leur complexion, ou par la paresse de leur esprit, ou par le soin de leur beauté, ou par une certaine légèreté qui les empêche de suivre une longue étude, ou par le talent et le génie qu'elles ont seulement pour les ouvrages de la main, ou par les distractions que donnent les détails d'un domestique, ou par un éloignement naturel des choses pénibles et sérieuses, ou par une curiosité toute différente de celle qui contente l'esprit, ou par un tout autre goût que celui d'exercer leur mémoire? Mais à quelque cause que les hommes puissent devoir cette ignorance des femmes, ils sont heureux que les femmes, qui les dominent d'ailleurs par tant d'endroits, aient sur eux cet avantage de moins.

On regarde une femme savante comme on fait une belle arme elle est ciselée artistement, d'une polissure admirable et d'un travail fort recherché ; c'est une pièce de cabinet, que l'on montre aux curieux, qui n'est pas d'usage, qui ne sert ni à la guerre, ni à la chase, non plus qu'un cheval de manége quoique le mieux instruit du monde.

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