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peut-être de châtiment, il ajouta qu'il n'entendait pas parler de moi qu'il croyait dans la bonne foi, mais de mes directeurs qui m'avaient si mal instruite.

DIRECT. Mon étonnement, ma chère fille, est que vous le soyez au point d'avoir su lui résister sur cet article fort délicat, et où il vous a dit ce qu'il y a de passable selon les principes de la Sorbonne.

PÉNIT. Je vous souhaitais aussi de tout mon cœur à cette conférence.

DIRECT. Je lui aurais expliqué notre doctrine sur les actions divines, qu'ils ne connaissent point, faute d'être initiés dans les mystères du simple regard et de l'union essentielle, d'où nos actions qui ne sont plus nos actions, mais uniquement celles de Dieu, tirent leur divinité, comme je vous l'expliquai dernièrement par occasion, et dont je vous donnerai quelque jour une connaissance plus parfaite.

PÉNIT. Vous me ferez, mon père, un extrême plaisir : mais il faut achever de vous rendre compte de la suite de cet entretien. Il ajouta que ce n'était pas là tout ce qu'il avait à me dire sur ce sujet, et qu'il voulait me pousser à bout, sans me laisser même de quoi répondre. Il s'enquit de moi, si la différence que je mettais entre les actions divines et les vertueuses, accompagnées de la grâce, ne consistait pas en ce que les premières étaient de Dieu seul, qui agissait pour et dans la créature; et que dans les autres au contraire, la grâce de Jésus-Christ concourrait seulement avec l'action de la créature, qui en faisait l'impureté et l'imperfection. J'en demeurai d'accord, admirant en moi-même combien il était instruit de nos dogmes. Il faut donc, dit-il, pour exempter du péché de propriété, ces actions vertueuses, et les élever à la qualité de divines, que la grâce seule agisse sur la créature, qui demeure passive, qui fait, comme vous dites, cessation de propre action, qui laisse faire Dieu tout seul (1). Vous l'entendez à cette heure. J'entends, répondit-il, que vous voulez que la créature ne corresponde, ne concourre, ne coopère en rien à la grâce qui agit en elle (2) :

(1) L'âme coopère avec Dieu, en recevant volontairement et sans résistance les effets de Dieu en elle. Malaval, Pratique facile.

L'âme est appelée passive lorsqu'elle reçoit quelque chose en soi, de telle sorte qu'elle ne contribue en rien à la production, mais seulement à la réception. Dans les choses de Dieu, l'âme peut être considérée passive en deux manières; l'une quant au principe, l'autre quant à l'action. L'âme est passive au regard de la grâce qui la fait agir, comme un principe non acquis, mais infus; elle est aussi passive au regard de la foi, parce que la foi est une lumière infuse et non produite par l'opération. Ibid.

(2) Les actions faites par un principe divin, sont des actions divines; au lieu La Bruyère, 23

que

c'est ce que je vous dis. J'entends donc, ma sœur, et comprends très-clairement que vous êtes hérétique. Vous en fieriez-vous au concile de Trente? Puis en s'interrompant lui-même : Pour moi j'admire comment de certaines gens gâtés par leurs adulateurs et par leurs sectaires, se croyant plus fins ou plus profonds que le reste des fidèles, dédaignant par un fond d'orgueil de penser comme eux, et comme on a toujours pensé dans le christianisme, ne parviennent enfin par tous les raffinemens de leur esprit, et par une affectation de découverte et de nouveauté, qu'à imaginer une vieille erreur déjà condamnée par toute l'Église, qu'à devenir Calvinistes ou Luthériens, frappés d'anathême dans le concile de Trente : et passant dans son cabinet qui est proche de la salle où nous mangeons, il en revint avec cette traduction du concile. « Si quelqu'un dit (vous voilà, ma sœur), si quelqu'un » dit le libre arbitre de l'homme mû et attiré de Dieu, ne » doit point prêter son consentement, ni coopérer avec Dieu, qui l'excite et qui l'appelle pour obtenir la grâce de sa justification, mais qu'il doit demeurer comme quelque chose » d'inanimé (voilà le corps mort), sans nulle action, et dans un » état purement passif; qu'il soit anathême. » Ce canon fut fait contre les Luthériens, qui soutenaient que toute coopération était mauvaise, et qu'il fallait s'en abstenir; et contre les Calvinistes qui trouvaient de l'impureté et de la propriété dans les actions les plus saintes, à cause du concours nécessaire de la volonté. Choisissez, ma sœur, de l'un ou de l'autre dogme, ou plutôt l'un et l'autre vous appartiennent: Et en effet, poursui vit-il, quand on croit une fois avec l'Église, qu'il y a un péché originel, soit que Dieu ait regardé tous les hommes dans Adam que les actions de la créature, quelque bonnes qu'elles paraissent, sont des actions humaines, ou tout au plus vertueuses, lorsqu'elles sont faites avec la grâce. Moyen court, pag. 21.

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L'homme est réparé, non en agissant, mais en souffrant l'action de celui qui le veut réparer. Ibid.

Une âme ne se doit mouvoir, que quand l'esprit de Dieu la remue. Ibid. Il suffit que l'homme ait un consentement passif à sa propre destruction, afin qu'il ait une entière et pleine liberté. Ibid.

Il suffit que l'homme concourre passivement à toutes les opérations actives de Dieu. Ibid.

Dieu ne se communique à l'homme, qu'autant que sa capacité passive est grande, noble et étendue. Ibid.

L'homme ne peut être uni à Dieu sans la passiveté. Ibid.

Il reste à résoudre une difficulté ignorée des siècles passés, savoir s'il y aura une contemplation acquise, comme une infuse, et la différence entre l'une et l'autre. La Combe, Analyse de l'Oraison mentale.

La passive se fait par des actes très-simples infus, qui ne dépendent pas du libre arbitre à laquelle les puissances de l'âme concourent. L'âme, sans qu'elle le sache et y pense, se trouve enlevée vers Dieu. Ibid.

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leur père, et qu'il lui ait plu d'imputer à tous son péché, comme il leur aurait imputé sa justice, soit que le venin de sa désobéissance coule par la voie de la chair, ou par quelque autre voie mystérieuse dans toutes les générations qui sortent de lui; quand on est persuadé que le baptême est le remède spécifique que Dieu applique à cette maladie contagieuse; que le péché de ce premier homme est réellement, actuellement et formellement effacé par les eaux salutaires ; quand on sait néanmoins par sa propre expérience qu'il ne laisse pas de rester de cette blessure une certaine faiblesse qu'on appelle concupiscence, qui sans être un péché, nous rend plus faciles à faire le mal qu'à pratiquer le bien quand on admet ensuite la venue de Jésus-Christ, sa mission, sa grâce; de quel usage, de quel secours, je vous prie, peuvent-ils être à l'homme, s'ils ne fortifient sa foiblesse? Si le trouvant incliné au vice, ils ne le redressent, et ne le plient à la vertu? S'ils ne le rendent fort et persévérant dans les voies de la justice? Mais quand il est vrai qu'il y a eu de ces hommes faibles et fragiles, qui prenant le dessus de la concupiscence, ont tenu ferme contre toutes les tentations, ont résisté à leur naturel et à leur complexion, ont fait de continuels efforts pour vaincre leurs passions, et ont terminé une vie sainte par une mort plus sainte; où aller chercher la source de ces merveilles plus loin que la grâce qui justifie? que leur fallait-il davantage? dites, imaginez? Le dépouillement de la propriété, la vue distincte et indistincte de Dieu présent en tous lieux; des motions extraordinaires, sans fin, sans relâche; des voix de Dieu articulées à la fin de chaque oraison de simple regard? Ouvrez les yeux, ma chère sœur; consultez votre raison; souvenez-vous seulement de votre catéchisme; que vous faut-il davantage? Je vais vous l'apprendre notre consentement à la grâce, notre concours avec la grâce, c'est nous que Dieu récompense, c'est donc nous qui devons agir: notre coopération à la grâce qui est encore une autre grâce, mais qui suppose et qui aide l'action, le mouvement, et la détermination de notre volonté.

Il disait, mon père, toutes ces choses d'un ton fort passionné, mais qui ne m'irritait en aucune manière : Mon frère le docteur est le meilleur homme du monde, et qui m'a rendu auprès de ma belle-mère et de mon mari, tous les bons offices dont il s'est pu aviser. Je sais qu'il est catholique de bonne foi; il passe d'ailleurs, comme vous savez, pour fort savant sur la religion, qu'il sait accommoder à la portée de ceux à qui il en parle. Tout cela, je l'avoue, me donnait une grande attention pour tout ce qu'il me disait; je n'en perdais pas une seule parole, et ayant, Dieu merci, de la mémoire.

DIRECT. Oh prodigieuse!

PÉNIT. Avec ce que j'avais envie de yous rendre un fidèle compte de tout l'entretien, pour avoir sur cela des éclaircissemens avec vous, qui me pussent affermir dans notre doctrine, il ne faut pas s'étonner qu'il ne me soit presque rien échappé ; jusque-là, mon cher père, qu'il m'en reste des scrupules, et bien de petites peines sur la plupart des choses qui m'ont été dites : mémoire me les pourra fournir sans je ne sais, mon père, si ma

un nouveau recueillement qui m'en rappelle l'idée.

DIRECT. C'est bien dit, madame, remettons le reste à demain, s'il vous plaît, à la même heure qu'aujourd'hui; car il n'y a rien à perdre d'une conversation aussi curieuse.

PÉNIT. A demain, puisque vous le voulez ainsi, et je serai exacte au rendez-vous.

DIALOGUE IV.

Vie et actions d'un Saint opposées aux maximes et aux pratiques des Quiétistes. Qu'il n'attend point des motions et des inspirations extraordinaires pour faire le bien. Examen de conscience devient un péché de propriété selon les Quiétistes. Célébration des fêtes, prières, assistance à la messe. Réception des sacremens et autres pratiques de piété commandées par l'Eglise, indifférentes ou nuisibles selon les mêmes principes.

font

que

des

DIRECTEUR. J'ai renvoyé le comte de *** et madame la marquise de *** et madame la présidente de *** pour vous tenir ma parole. Je vous avoue que je souffre beaucoup dans leurs fades conversations : ce sont des gens ennuyeux qui ne questions grossières et embarrassées : Si je leur propose quelques unes de nos maximes, ils me répondent avec un froid et une insipidité qui marque le peu de progrès qu'ils font dans nos mystères. Croiriez-vous que la présidente depuis un an, ne peut comprendre l'évacuation de l'esprit d'Adam? cependant on veut dans le monde qu'elle ait de l'esprit.

PÉNITENTE. De l'esprit ! ce sont des gens qui jugent bien légèrement, et qui ne la voient guères : Pour moi, je vous avoue qu'en trois différentes visites, elle m'a paru fort bornée. Convenez d'ailleurs, mon père, qu'elle n'a ni vivacité ni mémoire.

DIRECT. Il vous est fort aisé, ma fille, de trouver qu'on manque de mémoire, vous qui en êtes un prodige : il faut vous l'avouer; j'ai repassé toute la nuit avec admiration le récit fidèle que vous me fîtes hier de la longue et docte conversation de monsieur votre beau-frère.

PÉNIT. Il est vrai, mon père, que j'ai la mémoire assez heu

reuse; je n'en ai jamais tant senti le besoin, que dans ce quime reste à vous dire de tout notre entretien.

DIRECT. Je serai ravi d'en apprendre la suite.

PÉNIT. La suite est, qu'après y avoir un peu pensé, j'ai dit à mon beau-frère, que quelque homme saint qu'il voulût choisir à sa fantaisie, il n'aurait pu être tel sans le dépouillement de toute propriété, c'est-à-dire, de propre action, et sans motion divine qu'il aurait sentie en soi en conséquence de l'oraison de simple regard, et qui l'aurait réglé dans toute sa conduite. Il me dit sur cela que j'avançais cette proposition en l'air et sans preuve, et ajouta qu'il m'allait convaincre que les mouvemens extraordinaires n'étaient pas plus nécessaires à un homme né dans le christianisme, qu'à moi une motion divine pour me faire rendre mon pain-bénit en un mot, qu'il ferait vivre et mourir son saint, sans qu'on pût avec le moindre fondement, relever aucune circonstance de sa vie où il eût besoin des conditions que je proposais, ni de dépouillement de propre action, ni de ce que j'appelais contemplation acquise, ni de motion divine, et continua de cette manière : Je suppose seulement que mon 'saint est baptisé ; je n'appréhende pas, dit-il, que vous me souteniez d'abord qu'il eût besoin quelques heures après sa naissance, de simple regard et de motion divine, pour se préparer à recevoir ce sacrement; peut-être me direz-vous que le simple regard a été nécessaire à ses parrains et marraines, avant qu'ils aient répondu pour lui de sa foi au prêtre et à l'Église ? cet enfant, dis-je, à peine a l'usage de raison, qu'il entend parler de Dieu, d'Église, de Religion. Dans l'âge de l'adolescence, et ensuite dans sa jeunesse, il apprend de ses parens et de ses maîtres, les cérémonies, les mystères, les maximes de cette religion; il sait ce que Dieu ordonne et ce qu'il défend, ce qu'il lui plaît, et ce qu'il lui déplaît; bientôt il sent, il goûte les preuves de cette religion; l'y voilà confirmé par la lecture de I'Évangile qu'il trouve dans une Église qui porte en soi les caractères de vérité et de sainteté, par la doctrine unanime de tous les fidèles, par la tradition : il est plein de la connaissance de ses devoirs; il est prévenu qu'il faut éviter le péché ; il sait où est le péché et où il n'est pas ; il connaît la grâce, son efficacité; il n'ignore pas qu'elle lui est nécessaire pour fuir le péché et pratiquer la vertu; qu'il faut vouloir cette grâce, la désirer, la demander, y acquiescer, y coopérer. Prenez garde, lui dis-je, mon frère, que pour la coopération, vous la supposez, et elle est en question entre nous.

Je la suppose, me répondit-il, comme la doctrine de l'Église universelle déclarée dans le concile de Trente, au canon 4 de

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