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DIRECT. C'est encore trop, ma chère fille.
PÉNIT. Il est si naturel d'y penser un peu.

DIRECT. Ce n'est pas une excuse au contraire; car ceci est tout surnaturel et tout extraordinaire.

Mais étiez-vous dans ce vaste néant, ce total néant que je vous ai recommandé comme la base de l'oraison de simple présence, et qui mène droit au repos central?

PÉNIT. Oui, mon père, j'étais comme une femme tout-à-fait perdue et anéantie.

DIRECT. Comme un corps mort?

PÉNIT. Et enterré (1), ainsi que je me l'imaginais. Je n'étais plus sur la terre, je n'étais plus (2). Je me suis aussi appliquée, mon père, ces paroles du psalmiste que vous m'avez apprises: J'ai été comme une bête, comme une jument devant vos yeux; et aussi cet autre endroit comme un cheval et un mulet qui sont privés d'entendement; enfin je tâchais à devenir comme une statue ou comme une souche.

DIRECT. Vos intentions sont droites; il manque là une certaine stupidité, une évacuation de l'esprit d'Adam jusqu'à un certain point (3); on le voit bien : cependant voilà des efforts, des actes réfléchis pendant l'oraison; des péchés, ma chère fille, des péchés, ou peu s'en faut. Vous êtes morte, dites-vous, et comme enterrée, cela est bien; mais vous ne deviez pas être en état de connaître que vous étiez telle, et de pouvoir jamais m'en rendre un si bon compte (4).

(1) Une âme qui s'abandonne sans réserve et sans prendre garde à elle, à la sainte et spirituelle inaction, peut dire avec saint Augustin: Que mon âme se taise, et ne veuille rien faire ni penser quoi que ce soit; qu'elle s'oublie ellemême et se submerge dans la foi obscure, puisqu'elle sera d'autant plus en sûreté, qu'elle sera plongée plus avant dans le néant et comme perdue. Molinos, Guide spirituelle.

Cela ne se peut faire que par la mort de nous-mêmes et de notre propre action, afin que l'action de Dieu soit substituée à sa place. Moyen court.

La fidélité de l'âme dans cet état, consiste à se laiser ensevelir, enterrer écraser, marcher, sans se remuer non plus qu'un mort. Livre des Torrens. (2) Qui réveillera l'âme de son sommeil doux et paisible? si elle est endormie dans le néant : d'où David tomba sans le savoir dans le parfait anéantissement. Ad nihilum redactus sum et nescivi. Molinos, Guide spirit., 1. 3, ch. 20,

11. 201.

(3) Il faut donc donner lieu à cette vie (du Verbe) de s'écouler en nous, ce qui ne se peut faire que par l'évacuation et la perte de la vie d'Adam. Moyen court,, page 89.

(4) Dans le temps de la contemplation passive, on ne doit point prendre garde à ce que Dieu opère en nous; car ce serait mettre un obstacle aux opérations divines. Molinos, Guide spirit., liv. 3, ch. 14, n. 136.

Une personne qui n'a aucun sentiment de ce qu'elle fait, et à qui au contraire il semble qu'elle ne fait rien, ne pouvant voir ce qu'elle fait, s'humilie

Dans le fort de la contemplation, ne vous êtes-vous point sentie un peu touchée de la crainte des jugemens de Dieu? Je vous fais, ma fille, cette demande, parce que je vous connais la conscience tendre et sujette à s'ébranler par les scrupules, et que je me souviens que vous me jetâtes, je ne sais à quel propos, ce passage qui dit, que le commencement de la sagesse est la crainte de Dieu.

PÉNIT. Cela est vrai, mais il me souvient aussi que vous ine répondîtes que cette leçon était bonne à faire à des enfans, ou tout au plus à un commençant; qu'il était permis de craindre Dieu une fois en sa vie lorsqu'on ne faisait qu'entrer dans les voies mystiques et extraordinaires, mais qu'il n'y avait rien ensuite de plus fatal à la perfection, que de réitérer cet acte de crainte de Dieu. D'ailleurs, comment aurais-je pu me laisser aller à la crainte de Dieu, si je n'ai pas songé le moins du monde à le considérer comme juste?

DIRECT. Comme miséricordieux, ma fille?

PÉNIT. Sur cela, mon père, je vous dirai que j'ai fait les derniers efforts ponr ne point recevoir dans mon esprit l'idée de la miséricorde divine, et pour mettre en sa place celle de la seule présence de Dieu.

DIRECT. Hé bien?

PÉNIT. Voulez-vous que je vous dise la vérité?

DIRECT. C'est ce que je demande.

PÉNIT. Je n'y ai réussi qu'à force de ne penser ni à l'un ni à l'autre, ni à chose qui fût au monde. Je tombai dans une espèce de défaillance au milieu de mon oraison, lassée d'avoir été deux heures de suite à faire mes efforts pour ne penser à rien, et je demeurai en cet état dans une inaction, comme il me semblait, et dans une stupidité parfaite (1).

à plein et confesse qu'elle n'est propre à quoi que ce soit, et que ce qu'elle a de bon vient de Dieu. Falconi, Lettre à une Fille spirituelle.

Une âme spirituelle ne doit point s'amuser à réfléchir sur ce qu'elle opère, ni à penser si elle met en pratique ou non les vertus. Ibid.

L'âme spirituelle dans l'oraison doit garder un profond silence et s'abandonner toute à Dieu, comme si elle ne pensait plus à soi, parce qu'une personne qui prie, doit s'oublier et tout ce qu'elle fait, et que la parfaite oraison est celle où celui qui prie ne se souvient pas qu'il est actuellement en prière. Ibid. Quand l'âme agit par dépendance de la grâce, elle agit sans qu'elle s'en aperçoive, et n'est point oisive. Moyen court.

(1) Quand une âme entre dans l'oraison elle doit se remettre entre les mains de Dieu avec une parfaite résignation, faire un acte de foi, croire qu'elle est en la présence de Dieu, demeurer dans cette sainte inaction, pleine de tranquillité et de silence, et tâcher de continuer par la foi et par l'amour, tout le jour, toute l'année, et même durant toute la vie ce premier acte de contemplation. Molinos, Guid. spirit. liv. 1, chap. 13, n. 85.

Oraison mort volontaire de toutes les actions, de toutes les affections, de

DIRECT. Sans qu'aucunes images vous passassent par l'esprit (1), auriez-vous été assez heureuse pour cela?

PÉNIT. Je me ressouvins, malgré moi, d'un tableau de sainte
Thérèse que j'avais vu autrefois aux petites Carmelites.
DIRECT. O Iconoclastes que vous aviez raison!

PÉNIT. Quel grand mot dites-vous là, mon père?
DIRECT. Poursuivez, ma fille.

PÉNIT. Elle jetait de sa bouche un rouleau de papier où étaient écrits ces mots : Misericordias Domini in æternum cantabo, qu'on m'a dit signifier en français : Je chanterai dans toute l'éternité les miséricordes du Seigneur ce verset pendant quelque temps, ne pouvant sortir de ma pensée, je le récitais comme du fond du cœur sans rien articuler, et sans remuer les lèvres.

DIRECT. Mais vous délectiez-vous à cette idée? y consentiez-vous? PÉNIT. Je crains que cela ne me soit arrivé; car j'ai appris, il y a long-temps, que cette grande sainte avait souvent ces paroleslà dans la bouche, et que c'était pour cette raison qu'on la peignait de la manière que je vous ai dite ainsi je demeurai un instant à goûter ce pieux mouvement de sainte Thérèse, et à trouver de l'onction dans cette vive espérance qu'elle a de chanter dans tous les siècles les miséricordes de Dieu à son égard.

DIRECT. Voilà qui va mal, ma chère fille, vous le voyez bien vous-même. Il n'y a point là de simplicité d'acte, point de cessation de propre action; rien au contraire que multiplicité, que propriété et qu'activité, qu'espérance de salut, que confiance aux miséricordes de Dieu (2). Ah! que l'image de sa présence en tous lieux est infiniment élevée au-dessus de telles idées! tous les raisonnemens, de tous les actes de la mémoire, de tout ce qui n'est point Dieu, et qui conduit à Dieu. Malaval, Pratique facile.

(1) Ce n'est rien de Dieu que tout ce que l'on se figure; la vive foi de sa présence suffit, afin de ne se former nulle image de lui. Moyen court.

(2) Quand on est avancé dans la voie spirituelle, il faut se défaire peu à peu des mouvemens sensibles des actes redoublés, et de la réflexion volontaire dans l'oraison, parce qu'en se débarrassant de toutes ces choses, on monte au plus sublime état de l'esprit. Falconi, Lettre à une Fille spirituelle.

Les saints, après qu'ils sont parvenus à l'acte continuel de foi, d'abandon et d'amour, ne se permettent ni soupirs, ni oraisons jaculatoires, ni quoi que ce soit de sensible. Ibid.

Les signes de l'oraison de contemplation active, sont le recueillement de l'âme dans son intérieur, le silence, la quiétude, la simplification du cœur, le regard tranquille des choses de Dieu, la vive foi en Dieu présent, l'omission de sa recherche, la rareté des affections, le mépris de soi, etc. La Combe, Analyse de l'Oraison mentale.

Quand votre âme concevrait des pensées et des affections propres à vous élever à Dieu, vous ne les devez recevoir que comme une simple disposition pour vous recueillir en Dieu, et non comme une matière pour vous occuper : C'est-à-dire qu'aussitôt qu'il vous vient une pensée ou une affection, vous devez

qu'il est vrai qu'il n'est pas donné à tous de renoncer à sa propre opération, et d'entrer dans le bienheureux dépouillement de toute connaissance positive!

Ce sont des regards, ma fille, que vous avez eus, mais des regards obliques, circulaires; il les faut simples, droits, fixes, pour avoir l'expérience de Dieu; ils ont souvent manqué à votre sainte Thérèse. Ne nous faisons point, je vous prie, un capital de la croire dans nos principes, encore moins de la choisir pour notre modèle ; il s'en faut beaucoup que toutes ses heures se soient passées dans l'état sublime de la contemplation acquise; les plus pénétrans d'entre nous ne reconnaissent point le simple regard dans sa manière d'oraison. Sa vie est un continuel usage de confessions et de communions: on voit dans cette Espagnole une soif démesurée de croix, de tribulations, de mortifications; presque point de suavité, de sommeil spirituel et de quiétude. Elle se plaisait à entendre prêcher : elle faisait des lectures spirituelles, se répandait en affections et en aspirations, se servait de prières vocales, ne parlait que d'amour de Dieu, que de crainte de sa justice; enfin, elle étourdissait tout le monde de l'amour du prochain.

On assure à la vérité qu'elle est parvenue à des états extraordinaires; mais comment pensez-vous? sans les désirer, sans les chercher, sans pouvoir se les procurer, sans être maîtresse de ne les pas éprouver, ou de les faire finir.

Encore, puisqu'il faut tout dire, ces choses lui sont arrivées rarement, et elle les a cachées avec tout le soin imaginable.

Avait-elle, comme nous, une méthode infaillible, et comme une mécanique sûre pour cheminer droit et sans broncher dans cette vie intérieure? aurait-elle pu donner, comme je fais par la grâce de Dieu (1), des règles invariables pour porter tout d'un coup les personnes de l'un et de l'autre sexe, un enfant, un valet,

la laisser sans vous y arrêter, afin de vous affermir en Dieu seul, sans avoir recours, ni à l'entendement, ni à la mémoire, ni à la volonté, comme si vous n'aviez point ces puissances. Malaval, Pratique facile.

La contemplation consiste à aimer Dieu sous une idée universelle de tout ce qu'il est, et de tout ce qui le rend aimable. Ibid.

Dans sa réponse il soutient que c'est la différence de la contemplation d'avec la méditation.

Sitôt que quelque pensée de piété, comme celle que Dieu a créé le ciel et la terre, aura fait naître l'idée de Dieu, aussitôt jetez un regard amoureux vers Dieu présent, qui étant partout, est aussi par conséquent dans votre âme, et arrêtez ce simple regard sur lui autant de temps qu'il vous sera possible, sans rien penser ni rien désirer pendant ce temps-là, parce qu'ayant Dieu, vous avez tout. L'abbé d'Estival, Conférences mystiques.

(1) Molinos donne ces instructions dans son introduction à la Guide spirituelle, sect. 3, et dans le livre 3, chap. 14 et 15.

un paysan, un maçon, jusqu'à la sublimité de l'oraison inef– fable (1), et cela toutes les fois qu'il leur en prend fantaisie? Non, madame, soyez-en persuadée; semblable à ceux qui vivent au jour la journée, elle souffrait ses ravissemens et ses extases, quand ils lui arrivaient, sans en pouvoir jamais régler ni les commencemens, ni le progrès, ni la fin.

Demandez, demandez, ma fille, à madame votre belle-mère, à monsieur votre mari, à monsieur votre beau-frère ( il est docteur), s'ils croient que les coups dont ils cherchent quelquefois à vous atteindre, portent le moins du monde sur leur sainte Thérèse, et si les admirateurs de cette fille, je dis ses plus grands panégyristes, ont jamais appréhendé dans tout ce qu'ils ont publié à son avantage, de flatter nos intérêts ou d'appuyer notre doctrine?

Je vous parle ainsi, ma chère fille, pour vous détromper une bonne fois de l'erreur où sont la plupart de vos commençans, et dont je ne puis assez m'étonner; car ils ne voient en nous ni vie purgative, ni illuminative, ni unitive; nulle affectation de la prière et des bonnes œuvres ; point de méditations sur les attributs divins, et cependant je ne sais par quelle faiblesse ou pusillanimité, ils croient faire beaucoup pour notre association, d'y ranger la plupart des saints modernes, et surtout les contemplatifs de réputation. Mais l'heure presse: Je voudrais, madame, savoir de vous, avant de nous séparer, si Dieu vous a parlé dans votre oraison?

PÉNIT. Je n'ai, mon père, entendu aucune voix.
DIRECT. Aucune voix?

PÉNIT. Non, mon père.

DIRECT. Mais dans ce profond ravissement où vous étiez, Dieu ne vous disait-il pas, quoiqu'intérieurement, faites ceci, ou ne faites pas cela? car vous savez que c'est ce qu'on appelle motion divine.

PÉNIT. Il y a apparence qu'elle m'a manqué dans mes dernières oraisons.

DIRECT. Vous l'avez donc éprouvée quelquefois?

PÉNIT. Pour vous dire, mon père, sans déguisement ce qui en est, je suis persuadée que j'ai été privée par mon indignité, de cette divine faveur, hors peut-être cette unique fois que je perdis la messe du dimanche par inspiration.

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(1) Le don excellent de la contemplation a été souvent accordé dès le commencement, de petits enfans et à de petites filles de quatre ans à des gens grossiers, et à des femmes de village. La Combe, Analyse de l'Oraison mentale.

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Falconi y appelle aussi tout le monde dans sa Lettre à une Fille spirituelle.

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