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bien tant de différens mouvemens, tant de diverses réflexions, qui n'aboutissent à rien, sont capables de la troubler, de la changer et de l'anéantir.

Le plus court donc et le meilleur, je le répète encore, est de faire mourir notre propre action (1) pour souffrir l'action de Dieu; plus d'idées saintes et profanes, plus d'autres images (2) dans l'entendement que celle de la présence de Dieu; et après s'être, comme un limaçon, recourbé, pour ainsi parler, dans l'enveloppe de son intérieur, se ramasser en Dieu, s'y absorber et laisser contretirer en nous son image quand il lui plaît, et comme il lui plaît : alors dans ce triple silence de paroles, de pensées et de désirs (3),

(1) Notre action doit être de souffrir l'action de Dieu, et de donner lieu au Verbe de retracer en nous son image. Une image qui se remue, empêcherait le peintre de contretirer un tableau sur elle. Tous les mouvemens que nous faisons par notre propre esprit, empêchent cet admirable peintre de travailler, et font faire de faux traits. Il faut donc demeurer en paix et en repos, et ne nous mouvoir que lorsqu'il nous meut. Moyen court, page 87.

(2) L'acte de la pure contemplation est parfaitement vide de toutes représentations et images, espèces sensibles ou intelligibles, distinctes et aperçues. La Combe, Analyse.

(3) L'âme qui, après les fatigues de la méditation, se trouve dans le calme et la tranquillité de la contemplation, doit laisser là tous les raisonnemens demeurer dans le repos et dans le silence; jeter sur Dieu des regards simples et amoureux..... se contenter de la connaissance générale et confuse..... Il faut qu'abandonnant ce qui est et ce qui n'est pas, vous vous jetiez entre les bras amoureux de Dieu, qui par la force de son amour, vous conservera dans ce saint et bienheureux silence..... Pour se mettre en cet état, il faut que l'âme se retire dans elle-même, comme dans son centre; c'est là que se trouve l'image de Dieu, l'attention amoureuse, le silence, l'oubli de toutes choses. Molinos, Introd. à la Guide spirit., sect. 2.

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Il y a trois sortes de silence : Le premier est celui des paroles; le second, celui des désirs; et le troisième, celui des pensées. Le premier est parfait; le second l'est davantage, et le troisième l'est extrêmement. Celui des paroles sert à acquérir la vertu; celui des désirs, à trouver le repos; et celui des pensées, met dans le recueillement intérieur. C'est à ne point parler, à ne désirer rien, et à ne penser à quoi que ce soit, que l'on reconnaît le vrai silence mystique...... Si vous ne vous détachez de tout désir et de toute pensée, en vous reposant dans ce silence mystique, et ouvrant la porte à Dieu, afin qu'il se communique, qu'il s'unisse à vous, et qu'il se transforme, pour ainsi dire, en vous-même. Molinos, Guide spirit., liv. 1, chap. 17, n. 128 et 129.

N'ayons point d'autre intention que d'écouter Dieu intérieurement sans rien dire, ni avec l'esprit, ni avec la langue..... Silence donc et de l'esprit et de la langue pour écouter Dieu. Malaval, Pratique facile.

La première disposition d'une âme qui veut s'adonner à la contemplation, est d'avoir un vrai désir d'écouter Dieu, et d'imposer silence à toutes pensées. Ibid. C'est un silence par lequel on rend à Dieu un hommage parfait. Ibid. L'oraison contemplative est un simple regard libre de Dieu ou des choses divines, joint à une admiration religieuse, ou une méthode d'oraison par laquelle l'esprit, sans s'arrêter à des actes multipliés et particuliers, par lesque's il cherchait auparavant Dieu, ayant commandé le silence aux puissances inté

se trouvant dans un sommeil spirituel, dans une ivresse mystique (1), ou plutôt dans une mort mystique, toutes les puissances supendues sont rappelées de la circonférence au centre : Dieu qui est ce centre, se fait sentir à l'âme par des touches divines, par des goûts, par des illaps, par des suavités ineffables. rieures, est uni à Dieu par un simple acte de l'entendement, et confirmé en lui par un embrassement étroit de foi et d'amour, et se repose en lui par une tranquille jouissance. La Combe, Analyse de l'Oraison mentale.

La contemplation dont nous traitons..... est une vue simple et amoureuse de Dieu appuyée sur la foi qu'il est partout. Nous voyons Dieu et le contemplons par ce simple regard en un très-profond silence, dans une vue très-simple et sur-éminente d'un être impénétrable et ineffable en la foi qui nous ôte toute autre conception et expression. Qu'on se taise en l'admirant en son fond abyssal et sur-éminent, ou que l'on en parle par admiration; et toutes les puissances demeureront interdites en l'étonnement d'un Être infini. L'abbé d'Estival, Conférences mystiques, page 15, 16 et 17.

(1) C'est alors que le divin Epoux suspendant ses facultés, l'endort d'un sommeil doux et tranquille : c'est dans cet assoupissement qu'elle jouit avec un calme inconcevable, sans savoir en quoi consiste sa jouissance. Molinos, Guide spirit., liv. 3, chap. 13.

La contemplation infuse a trois degrés; le premier est le rassasiement, où l'âme se trouve si remplie de Dieu, qu'elle n'a que du dégoût pour les choses mondaines; et si tranquille, que le seul amour de Dieu lui suffit. Le second degré est l'ivresse (spirituelle) qui est une extase ou une élévation de l'âme, produite par l'amour divin et par le rassasiement qu'il donne. Le troisième degré est l'assurance qui bannit toute frayeur, et qui se fait lorsque l'âme est si enivrée de l'amour divin, et si soumise aux ordres de Dieu, qu'elle irait de bon cœur en enfer pour lui obéir. Elle sent alors que les nœuds de l'union divine sont si étroitement serrés, qu'il lui paraît impossible d'être séparée de son Amant, et de perdre ce trésor infini. Il y a six autres degrés de contemplation; le feu, l'onction l'élévation, l'illumination, le goût et le repos. D'abord elle est enflammée; ensuite cette flamme la remplit d'onction; cette onction l'élève; dans cette élévation elle contemple; en contemplant elle goûte; en goûtant elle se repose. C'est par ces degrés que l'âme devient abstraite et expérimentée dans la vie spirituelle et intérieure. Dans le premier degré, qui est le feu, un rayon ardent et céleste éclaire l'âme, allume en elle les affections divines, et consume les humaines. Le second qui est l'onction, est une liqueur douce et spirituelle qui se répand dans l'âme, qui l'instruit, qui la fortifie et qui la dispose à recevoir et contempler la vérité divine: souvent elle pénètre jusque dans la constitution naturelle du contemplatif, qu'elle rend vigoureuse par la tolérance, et par une douceur si sensible, qu'elle lui paraît céleste. Le troisième degré est une élévation de l'homme intérieur au-dessus de lui-même, par laquelle il monte jusqu'à la source inaltérable du pur amour. Le quatrième degré qui est l'illumination, est une science infuse, par laquelle l'âme contemple avec douceur et délectation la vérité divine, et passe sous la conduite du Saint-Esprit, de clarté en clarté, de lumière en lumiere, de connaissance en connaissance. Le cinquième degré est un goût savoureux des douceurs divines, qui coulent du Saint-Esprit, comme d'une source féconde. Le sixième degré est une douce tranquillité qui naît de la victoire qu'on a remportée dans la guerre intérieure, et des oraisons fréquentes. Calme aussi admirable qu'il est rare, où se trouve le comble de la paix, et où l'âme est comme endormie dans le sein amoureux de la divinité. Il y a plusieurs autres degrés de contemplation; comme les extases, les ravissemens, la liquéfaction,

Ses affections étant ainsi émues, elle les laisse reposer doucement, elle avale ce qu'elle a goûté, ce qu'elle a mâché : l'Être infini de son côté mâche et remâche cette âme, savoure ce parfait intérieur cette bienheureuse âme trouve un délicieux : repos qui l'établit au-dessus des délices et des extases, au-dessus des plus belles manifestations, des notions, et des spéculations divines : on ne sait ce qu'on sent, on ne sait ce qu'on est : Je ne sais pourquoi moi-même je puis et j'ose vous l'expliquer, les paroles, les voix et les langues intellectuelles comme les corporelles, cessent et cèdent au plus profond, plus amoureux et plus intime silence où les hommes puissent arriver en la présence de Dieu. Tout se fait et s'admire en son fond abyssal et sur-éminent (1), et aussitôt il parle, il se fait entendre sensiblement; on l'écoute, on suit sa voix et ses ordres divins, et voilà la motion divine qui naît de l'incomparable oraison de simple regard, et qui est nécessaire et préalable à toute action, quelque bonne en elle-même qu'elle puisse paraître.

PÉNIT. Oh! mon père, mon cher père, dans quels ravissemens venez-vous de me jeter par la sublimité de vos discours, sur les avantages de l'oraison de simple présence de Dieu! Voilà en effet l'état à peu près où je me trouvai le jour du simple regard. Il me semble y être encore, tant vous représentez vivement comment cela se passe.

Par quelle fatalité arrive-t-il que ni les curés dans leurs prônes, ni les prédicateurs en chaire, ni les évêques dans leurs instructions, ne tracent pas à tous les fidèles, l'idée d'une oraison si parfaite et si essentielle au salut? pourquoi n'en pas faire un catéchisme aux petits enfans? pourquoi ne les pas façonner de bonne heure au simple regard? ils n'auraient presque pas besoin dans la suite de leur vie, de bonnes œuvres et de sacremens.

Je vous ai ouï dire une fois, qu'un seul acte de simple regard l'emportait en mérite sur je ne sais combien d'actes de charité l'évanouissement, les baisers, les embrassemens, l'allégresse, l'union', la transformation, les noces, le mariage; toutes lesquelles choses sont pour ceux qui ne les ont pas éprouvées, ce que les couleurs sont aux aveugles, et l'harmonie aux sourds. Molinos, ibid., chap. 15, n. 140 et suiv.

L'amour intime produit quatre effets. Le premier s'appelle illumination, et c'est une connaissance savoureuse et expérimentale de la grandeur de Dieu, et de notre néant. Le second est l'embrasement, ou le désir ardent de brûler comme une Salamandre dans le feu de l'amour divin. Le troisième est la suavité, qui est une jouissance intime, douce, paisible et pleine de joie. Le quatrième est l'immersion et l'engloutissement de toutes les facultés en Dieu, pendant lequel l'âme se remplit et se rassasie si fort en Dieu, qu'elle ne peut plus ni désirer ni chercher que le bien souverain et infini. Ibid. (1) Paroles de l'abbé d'Estival,

La Bruyère.

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qu'on pouvait produire pendant sa vie (1), vous m'en fîtes l'appréciation, je m'en souviens, et vous m'assuriez qu'il valait tout juste cinq jours entiers de mortification extérieure (2), et toute la plus rigoureuse qu'il était possible de s'imposer; et même vous contiez les nuits : encore ne s'agissait-il pas du simple regard renforcé ou suivi de motion divine (3). Que veut donc dire que depuis plus de vingt-huit ans que je suis au monde, depuis vingt ans du moins que j'ai l'usage de la raison, je n'avais jamais entendu parler d'une telle merveille, ni à mon confesseur, ni à mon curé, qui est un vieillard fort savant et grand homme de bien, suivant le sentiment de tout le monde? Je n'ai rien lu d'approchant dans aucun livre spirituel, dans aucune traduction des Pères, dans les épîtres de S. Paul, ni, je crois, dans mon testament de Mons; les jansénistes en auraient-ils retranché cette doctrine? c'est apparemment, mon père, quelques nouvelles et pieuses découvertes de nos jours (4). Quel trésor pour nous, quel extrême bonheur pour notre siècle!

Ah! que ces grands saints qui sont canonisés, auraient eu de joie et de consolation dans leur cœur, s'ils avaient eu dans leur temps cette oraison éminente! et y aurait-il de ces saints contenus dans nos légendes, qui fussent damnés faute d'avoir pratiqué l'oraison de simple regard?

DIRECT. Cela est trop fort, ma fille; mais tenez pour sûr avec un de nos auteurs, que « toute âme qui ne parviendra pas des » cette vie, à l'union divine, et à la pureté de sa création, doit » brûler long-temps dans le purgatoire (*).

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PÉNIT. C'est-à-dire, mon cher père, que ces longues prières,

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(1) Tous les actes de charité unis ensemble, ne sont pas comparables à cet acte par lequel on regarde Dieu vivement et fixement..... Tous ces actes ne sont que des moyens, et nous trouvons heureusement en Dieu la fin que nous cherchons par ce moyen. Malaval., Pratique facile.

Ceux qui ne sont pas instruits, veulent se tirer de là pour faire un acte de contrition; parce qu'ils ont ouï dire que cela est nécessaire, il est vrai : mais ils ne voient pas qu'ils ont un acte éminent qui comprend les autres avec plus de perfection, quoiqu'ils n'aient pas ceux-ci comme distincts et multipliés. Moyen court.

(2) Dieu lui révéla (à Françoise Lopez) qu'un quart d'heure d'oraison de simple regard, vaut mieux que cinq jours d'exercices pénibles, de cilices, de discipline, de jeûnes et de coucher sur la dure; parce que tout cela ne mortifie que le corps, et que le recueillement purifie l'âme. Molinos, Guide spirit. liv. 1, chap. 12, n. 8o.

(3) Ce terme est de l'abbé d'Estival, conférence 11, page 121, quand l'âme est entièrement absorbée en Dieu.

(4) L'Eglise augmente tous les jours en lumières et en connaissances; elle continue à recevoir les anciennes avec plus de clarté, et aussi elle en reçoit de nouvelles. Malaval, Pratique facile.

* Ces paroles sont tirées du Moyen court, page 134.

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ces longues lectures, ces longs travaux, ces longues abstinences des saints, sont des matières très-propres à brûler long-temps dans le feu du purgatoire? Malheureux ceux qui les ont pratiquées! ils croyaient éviter les souffrances de l'autre vie, en expiant en celle-ci par des mortifications volontaires, les peines dues à leurs péchés; qu'ils ont été trompés, si cela n'a fait qu'augmenter leur souffrance en l'autre vie, bien loin de la diminuer !

DIRECT. Ce sont des profondeurs, ma fille, où nous ne devons point entrer et dont la connaissance est réservée à Dieu seul : contentons-nous de bien user de ses dons, et de tirer par notre fidélité envers lui, tous les secours qu'il a bien voulu attacher à l'oraison de simple regard. Vous m'avez dit, ce me semble, que par un regard fixe vous y contempliez Dieu partout.

PÉNIT. Je vous l'ai dit, et il est très-vrai.

DIRECT. Sans vous détourner vers aucun de ses différens attributs (1)?

PÉNIT. Oui, mon père, de peur de multiplier les actes.

DIRECT. Du moins vous pensiez à la Trinité, à Dieu seul, à la vérité; mais à Dieu comme père, comme fils, et comme SaintEsprit (2)?

PÉNIT. Non, non, mon père, et je vois bien, que votre charité me tend un piége pour me faire tomber dans des réponses qui vous donnent occasion de me rendre plus instruite; je n'ai point pensé à tout cela, pas même à la Trinité en général, mais à Dieu présent partout.

DIRECT. Du moins vous est-il venu en pensée qu'il est immense et infini?

PÉNIT. C'est ce qui résulte, je crois, de sa présence en tous lieux; mais je n'ai pas été jusque-là.

DIRECT. Cela en est mieux; et de sa toute-puissance rien?
PÉNIT. Rien du tout, je vous assure.

DIRECT. J'en suis ravi; mais vous avez été quelque peu touchée de sa bonté infinie!

PÉNIT. Presque point, mon père, et vous pouvez me croire.

(1) La considération de la bonté, de la sagesse et de la puissance de Dieu, sont des moyens pour nous élever à Dieu, et quand nous y sommes, il faut nous arrêter là, et quitter les considérations particulières de ces perfections divines, distinctes et abstraites, qui ne nous font pas voir Dieu comme il est en lui-même, mais comme il est dans la faiblesse de notre entendement ; et quand nous nous arrêtons avec fermeté par la foi toute nue, sur l'infinité de son es-sence, nous le regardons comme il est en lui-même avec ses perfections. L'abbé d'Estival, Conférences mystiques.

(2) Dans l'oraison, on doit demeurer dans une foi obscure et universelle avec quiétude, avec un oubli de toutes autres pensées particulières et distinctes des attributs de Dieu et de la Sainte Trinité. Proposition 11 de Molinos condamnée.

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