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PÉNIT. J'ai donc commis devant Dieu un grand péché?
DIRECT. Point du tout.

PÉNIT. Ah! mon père, ne me flattez point : rassurez-moi, je vous en conjure.

DIRECT. Ne m'avez-vous pas dit, ma chère fille, que ce fut le jour que vous entrâtes dans l'oraison de simple regard?

PÉNIT. Hélas oui!

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DIRECT. Que Dieu dans le silence de votre oraison ne vous mut point (1) sensiblement pour sortir de votre oratoire, et aller entendre la messe?

PÉNIT. Je vous l'ai dit ainsi, et il est vrai.

DIRECT. Demeurez en repos, ma fille, c'est moi, et par conséquent c'est Dieu qui vous le dit : Vous n'avez rien fait en cela, que n'ait dû faire une âme parfaitement résignée aux ordres divins. J'admire même à quel point vous avez la conscience tendre et timorée.

PÉNIT. Je respire, mon cher père, et me voilà instruite làdessus pour toute ma vie.

Quand donc à l'église, dans les rues d'une ville, dans un voyage, ou ailleurs, un pauvre se présentera à moi, qui me cónviera même au nom de Jésus-Christ de le secourir, quelque grande que me paraisse sa misère, si je reconnais en moi une grande pente à le soulager, je prendrai le parti de n'en rien faire?

DIRECT. Assurément, et donnez-vous-en bien de garde, sur peine de propriété et d'activité.

PÉNIT. Et s'il me prend quelque dégoût de lui; si ses demandes réitérées m'importunent, je l'aiderai contre mon gré, quelque éloignement que j'en aie?

DIRECT. Quoi, sans attrait et sans motion divine?

PÉNIT. Ah dans quelle distraction je suis! Je m'en souviens, mon père; je l'aiderai encore moins, et le renverrai sans aumône.

DIRECT. Vous songez à autre chose, ce n'est pas tout-à-fait comme il en faudrait user. Il faut, ma fille, sur un fait aussi important qu'est celui de faire l'aumône ou de ne la pas faire,

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(1) Saint Paul veut que nous nous laissions mouvoir par l'esprit de Dieu...... L'âme doit se laisser mouvoir et porter par l'esprit vivifiant qui est en elle, en suivant le mouvement de son action, et n'en suivant point d'autre. Moyen court, pag. 81.

Il faut nécessairement entrer dans cette voie, qui est la motion divine et l'esprit de Jésus-Christ...... Saint Paul prouve la nécessité de cette motion divine. Tous ceux, dit-il, qui sont poussés de l'esprit de Dieu, sont enfans de Dieu Qui n'est point dans cette oraison n'est ni juste ni enfant de Dieu. Moyen court, pag. 93.

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consulter Dieu, c'est-à-dire, éprouver si l'on a en soi une motion. divine de faire l'aumône.

PÉNIT. Comme j'ai fait sur le sujet de la messe.

DIRECT. Précisément.

PÉNIT. Mais, mon père, pendant tout le temps de la consultation, où Dieu peut faire attendre sur la réponse, et quelquefois n'en donner aucune, que deviendra le pauvre?

DIRECT. Ce n'est pas, ma fille, ni votre affaire ni la mienne : vous ne serez pas au moins exposée à rien faire par propriété et par activité, et sans aucune motion divine.

PÉNIT. Cela est bien, mon père; et j'espère à l'avenir que je ne serai pas assez malheureuse pour exercer la moindre vertusans toutes les circonstances requises, et celles surtout que vous me prescrivez; mais comme ce principe que vous venez de toucher, est d'une conséquence infinie dans la pratique; ne trouvez pas mauvais, je vous prie, que dans le premier entretien que nous aurons ensemble, je vous en demande encore quelque éclaircissement.

DIRECT. Quand vous ne m'auriez pas, madame, prévenu par cette demande, mon dessein était d'approfondir avec vous une matière de cette importance pour votre salut ce sera quand vous me ferez l'honneur de me venir revoir; car je vois par ce que vous m'avez dit d'abord de l'état de votre domestique, que lui étant suspect, je ne puis que difficilement mettre le pied chez vous à l'avenir.

PÉNIT. J'en ai, mon père, un regret si sensible, , que c'est ce qui me rend ainsi malade. Je me recommande à vos prières. DIRECT. N'abandonnerez-vous jamais cette petite formule de se quitter?

PÉNIT. Je le dis par habitude.

DIRECT. Qu'il faut perdre, madame, je vous en conjure, et dire Je me recommande à vous.

:

DIALOGUE II.

Vue confuse et indistincte de Dieu comme présent partout, seul objet de l'oraison de simple regard. Elle exclut toute autre connaissance, toute autre pensée, tout autre acte, tout autre objet. Elle bannit la crainte des jugemens de Dieu, l'espérance en sa miséricorde, et toutes les autres considérations. Sainte Thérèse opposée à cette doctrine. Stupidité dangereuse où elle conduit.

PÉNITENTE. Je vous suppliai, mon père, la dernière fois, de me permettre de vous faire souvenir de tout ce que vous aviez encore à m'expliquer sur la propriété et l'activité; sources,

comme vous dites, de toute la malice des actions humaines, et que vous regardiez, ce me semble, comme le plus grand obstacle que l'homme, pouvait former au progrès de l'oraison de simple regard, et ensuite à la motion divine qui en est l'effet.

DIRECTEUR. Le simple regard (1), ma fille, est quelque chose de si élevé au-dessus de toute prière, de toute action sainte, et de tout exercice de religion, que je me sens obligé de vous instruire de tout ce qui peut tout à la fois vous en faciliter l'idée et la pratique, d'autant plus que par certaines formules ou manières de parler qui vous échappèrent la dernière fois en nous séparant, il m'a paru que vous aviez besoin d'être entièrement désabusée de la prière, je dis de toute autre prière, puisqu'elle est suppléée par cette haute et sublime oraison de contemplation acquise, que vous avez eu le bonheur de pratiquer lorsque yous y fûtes attirée.

PÉNIT. Comment attirée, mon père, par une motion divine? cela ne pouvait être ; car vous venez de dire qu'elle n'est que l'effet du simple regard. Par ma détermination propre, ce serait propriété et activité; à Dieu ne plaise : Et ce ne sont point là les voies qui conduisent à une oraison si parfaite.

Je vous avoue qu'il y a là je ne sais quoi d'embarrassant et qui me fait de la peine; car si on a besoin d'une inspiration extraordinaire pour psalmodier, d'une encore pour jeûner, d'une autre pour donner l'aumône, d'une autre pour porter la haire, ou se donner la discipline; combien à plus forte raison paraîtelle nécessaire pour la plus excellente action qu'il y ait dans le christianisme? Il semble néanmoins qu'il faille s'en passer (2),

(1) En cette oraison de simple regard, nous pratiquons hautement la vertu sans la pratiquer; nous faisons tout sans rien faire, et nous la faisons d'une manière si élevée, que cent autres n'en feraient pas tant en vingt années avec leurs actes redoublés et multipliés avec tant de ferveur. Une œillade simple qui nous ramasse de l'épanchement que nous pouvons avoir parmi la diversité des créatures, sous le mur obscur de la foi, qui ne laisse aucune clarté pour nous joindre à Dieu, dit plus, comprend plus, que tout ce que la méditation et l'oraison affective peuvent dire ou con prendre. L'abbé d'Estival, Conférences mystiques, pag. 73.

(2) Vous croirez peut-être que vous ne sortez de la prière, aussi stérile que vous y étiez entrée, que par manque de préparation..... Persévérer en la présence du Seigneur, est l'unique préparation, et la seule disposition nécessaire pour ce temps-là. Molinos, Guide spirituelle, liv. 1, chap. 11, n. 70.

Malaval ne permet cet acte (par lequel on se met en présence de Dieu au commencement de l'oraison) que trois ou quatre jours au plus; parce qu'une âme qui est entrée dans le simple regard, comprend bientôt qu'il y a un langage muet, par lequel nous nous faisons entendre à Dieu beaucoup mieux que par les paroles sensibles et même par les actes intérieurs réfléchis, et elle aurait honte de chercher le secours de quelque chose de sensible contre l'attrait qu'elle sent. L'abbé d'Estival, Conférences mystiques, pag. 41.

puisque cette motion extraordinaire devant être précédée, ditesvous, du simple regard, elle n'en peut être ni la préparation ni la cause.

DIRECT. Cela est vrai en quelque façon, et je suis ravi de vous voir déjà instruite de toutes ces choses.

PÉNIT. Vous êtes mon maître et mon apôtre, et j'attends ce que vous direz, avec une humble soumission.

DIRECT. Ceci, ma fille, est une matière délicate, qui pour être bien sue à fond, demande des connaissances qui vous manquent profitons du temps que j'ai à vous donner, et parlons seulement de votre conduite dans l'oraison de simple regard, de quelque manière que vous y ayez été attirée.

PÉNIT. J'en suis contente.

DIRECT. En étiez-vous encore, ma fille, sur la lecture de votre Nouveau-Testament de Mons (1), ou de quelque autre livre spirituel? Vous prépariez-vous enfin à la grande oraison par la méditation de quelque mystère de Jésus-Christ, ou de quelque précepte de la loi de Dieu? Vous occupiez-vous de la haine du péché, de l'amour pour la vertu? Songiez-vous à la mort, au jugement de Dieu? Le craigniez-vous? EspériezVous en lui?

PÉNIT. Rien de tout cela, mon père.

DIRECT. Fort bien.

PÉNIT. Il faudrait que j'eusse la tête bien dure pour n'avoir pas compris, par tous vos discours, qu'on ne peut se défaire trop tôt de toutes ces choses, quand on tend à la perfection.

DIRECT. Oh merveilles ! Vous vous jetâtes donc d'abord sur votre fauteuil, ou sur votre prie-Dieu?

PÉNIT. Le fauteuil m'est plus commode.

DIRECT. Et là, sans autre préparation, vous envisageâtes, vous regardâtes Dieu présent partout (2), c'est-à-dire, qu'il est sur

(1) Il est sûr que la fréquente lecture des livres mystiques, qui ne donnent point de lumière pour la conduite de la vie, fait plutôt du mal que du bien; qu'elle brouille l'esprit au lieu de l'éclairer. Molinos, Guide spirituelle, liv. 2, chap. 2, n. 9.

Cet acte consiste à envisager Dieu seul en lui-même; ce qui comprend tout. On n'a pas besoin de lectures ni de méditations; mais il suffit de se reposer doucement en Dieu avec ce regard d'une foi vive. Malaval, Pratique facile.

Les livres mêmes et les bonnes lectures en cet état (d'oraison de simple regard) sont nuisibles, dit un grand Spirituel : Cela appuie et maintient la manière ordinaire d'opérer, et fortifie l'ancienne habitude. L'abbé d'Estival, Conférences mystiques.

(2) L'oraison de quiétude consiste à se mettre en la présence de Dieu par un acte de foi, qui nous fait concevoir Dieu présent à nous-mêmes; après quoi il faut bannir toutes sortes de pensées, d'affections, de prières, et attendre tout le reste de Dieu. Malaval, Pratique facile.

la terre, dans les eaux, dans les élémens, dans les métaux, dans les pierres, dans tous les corps, dans les âmes, dans l'homme, dans le cheval, dans le reptile?

PÉNIT. Je ne fis pas même cette longue énumération : Je songeai seulement qu'il est présent partout.

DIRECT. Encore mieux; et cela dans une vue confuse et indistincte de Dieu (1), par un pur acte, un simple acte ; je dirais volontiers par une indifférence à tout acte?

PÉNIT. Quoi! à celui même qui nous fait regarder la simple présence de Dieu (2)?

DIRECT. Oui, ma fille, s'il était possible; car le malheur des hommes est de se multiplier dans les actes (3), de chercher dans l'oraison un acte par d'autres actes, au lieu de s'attacher par un acte simple à Dieu seul. Je m'explique; il y a des chrétiens qui dans l'oraison ne croient jamais assez haïr le péché, qui se persuadent ne pouvoir jamais assez aimer Dieu.

PÉNIT. Ils ont grand tort, car il est si bon, et si aisé à con

tenter.

DIRECT. Qui s'excitent à des mouvemens de foi et d'espérance : qui se sentent touchés de l'amour du prochain dans la vue de Dieu, tous actes intérieurs multipliés, non-seulement inutiles à l'oraison de simple regard, mais qui lui sont très-pernicieux, puisqu'ils en altèrent la simplicité et la pureté. Elle est appelée par nos maîtres l'Oraison de silence, l'Oraison de simple présence de Dieu, l'Oraison de repos. (4). Jugez par là, ma fille, com

(1) L'entendement ne connaît pas Dieu par des idées, des réflexions, et des raisonnemens, mais par une foi obscure, générale et confuse. Molinos, Introd. à la Guid. spirit., sect. I, n. 7.

Une âme fidèle se donne bien de garde de rien ajouter à la simple vue de Dieu, si elle n'y est obligée par quelque pressante nécessité..... Car tout ce qu'on y ajoute, fait connaître l'amour-propre, qui ne se contentant pas de Dieu, se veut appuyer sur les choses de Dieu. Malaval, Pratique facile.

(2) Quand une âme considère que Dieu est présent en elle, c'est une bonne chose, quoique ce soit l'imagination d'une manière limitée, et n'est plus le croire assez simplement. Falconi, Lettre à une fille spirituelle.

(3) Dieu purifie l'âme de toutes opérations propres et distinctes, aperçues et multipliées, qui font une dissemblance très-grande, relevant la capacité passive de la créature, l'élargissant et l'ennoblissant. Moyen court.

Rien n'est plus opposé à l'oraison parfaite que l'attache à son propre esprit; et afin que l'âme soit admise à l'union divine, elle doit réduire toutes les fins en une, toutes les vues en une, et exclure toute sorte de multiplicité. La Combe, Analyse de l'Oraison mentale.

(4) Oraison de foi, oraison de repos, recueillement intérieur et contemplation. Molinos, Introd, à la Guide spirit., sect. 2, n. 11.

Oraison de simplicité ou d'unité; oraison de pure foi, oraison de silence; oraison de recueillement, oraison de présence de Dieu, oraison de repos, d'oisiveté, de paix, de dormir. La Combe, Analyse.

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