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ORAISON FUNEBRE

DE

HENRIETTE-MARIE DE FRANCE

REINE DE LA GRANDE-BRETAGNE

PRONONCÉE EN PRÉSENCE DE MONSIEUR, FRÈRE UNIQUE DU ROI, ET DE MADAME, EN L'ÉGLISE DES RELIGIEUSES DE SAINTE-MARIE DE CHAILLOT, OÙ REPOSE LE CŒUR DE SA MAJESTÉ

LE 16 NOVEMBRE 1669.

NOTICE

Peu de reines modernes ont eu une vie aussi agitée que celle d'llenriette de France, et cette héroïne d'oraison funèbre eût pu être l'héroïne d'un roman.

Née à Paris, le 25 novembre 1609, elle était le sixième des enfants de Henri IV et de Marie de Médicis. Elle avait à peine seize ans quand on la fiança à Charles Ier d'Angleterre. L'habileté des deux gouvernements sut donner aux pourparlers et aux préparatifs de ce mariage la tournure romanesque qui était dans les goûts du temps, et la correspondance où l'envoyé anglais, Kensington, les raconte, est parfois tout imprégnée d'un parfum d'Astrée ou de Grand Cyrus. Cependant c'était une union dont la politique avait eu la première idée. Le connétable de Luynes et, après lui, Richelieu tenaient à tout prix à faire entrer l'Angleterre dans la vaste ligue qu'ils méditaient contre la maison d'Autriche. Un nouvel élément se mêla bientôt à ces vues belliqueuses : l'élément religieux. Charles était protestant, Henriette catholique; il fallait, pour les unir, une dispense pontificale, que la cour de Rome n'accorda qu'au prix

d'avantages formels stipulés en faveur des catholiques anglais. Quand Urbain VIII écrivit à la jeune princesse, « il l'encouragea à devenir » en Angleterre « l'Esther de son peuple opprimé, la Clotilde qui soumettrait au Christ son victorieux époux1 ».

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Henriette était du reste assez bien préparée pour le rôle militant qu'on lui demandait de jouer. De son père, elle tenait, ce semble, beaucoup de grâces extérieures; elle avait l'esprit doux et agréable, encore que peu cultivé; elle manqua toujours, dit Mine de Motteville, de ces a grandes et belles connaissances que donnent l'étude et la lecture »; elle avait le « cœur noble, tendre, compatissant », mais ferme; une énergie plus qu'ordinaire », d'autant plus sensible, même, dans ses manières et ses paroles, qu'elle était de petite taille et de peu d'apparence. « Nous étions allés plusieurs ensemble pour la voir à Whitehall, raconte un Anglais témoin de son arrivée à Londres, et, d'un simple froncement de sourcils, elle nous a tous expulsés de sa chambre parce qu'il y faisait trop chaud. Il n'y a qu'une reine qui puisse décocher un regard aussi impérieux2. » De plus, cette fille de Marie de Médicis avait la piété d'une fille d'Italienne. « Elle avait été formée surtout à la religion, dit un de ses anciens biographes, et principalement par les saints exemples et les solides instructions de la mère Madeleine de Saint-Joseph, religieuse carmélite, morte depuis en odeur de sainteté. La tendre inclination que la princesse Henriette avait conçue pour cette religieuse dans les fréquentes visites que sa mère lui rendait, ne lui permit pas de partir pour l'Angleterre sans avoir été auparavant passer quelques jours avec elle pour lui demander des instructions 3. » Aussi ne s'embarqua-t-elle qu'entourée de serviteurs catholiques et de prêtres. Elle emmenait trente-six chapelains, dont douze prêtres de l'Oratoire, conduits par le fondateur même de cette congrégation, le père de Bérulle, son confesseur. Du reste, elle ne faisait en cela que ce que lui permettait son contrat. Reste à savoir si le procédé était aussi prudent que légal.

Au moins ne tarda-t-on pas à voir les inconvénients de cette

1. Comte de Baillon, HenrietteMarie de France, p. 45.

2. M. Pory to the Rev. J. Mead, dans Baillon, ouv. cité, p. 72.

3. Recueil des Oraisons funèbres prononcées par M. Bossuet, 1762 (notice historique sur Henriette de France).

invasion indiscrète, à la cour d'Angleterre, d'une troupe si nombreuse d'étrangers qui, sans doute, n'étaient pas tous fort réservés ni fort adroits à se faire tolérer. Ce furent d'abord, de part et d'autre, des tracasseries puériles. « Un jour, le confesseur de la reine, au diner royal, gagnait de vitesse le chapelain anglican, et disait les Grâces le premier; le roi, choqué de lui voir faire le signe de la croix, se levait aussitôt et, prenant la reine par la main, quittait brusquement la table et l'assemblée. Une autre fois, une des dames anglaises de la maison royale imaginait, de son autorité privée, de faire faire le prêche protestant pour les domestiques dans la propre salle des gardes de la reine. Cette princesse, vivement blessée à son tour, passait bruyamment au milieu de l'assemblée avec ses dames françaises, causant et riant de manière à troubler prédicateur et assistants 1. » Puis les procédés devinrent plus âpres ; l'hostilité mutuelle se manifesta plus crûment. Le Parlement mandait à sa barre le maître d'hôtel qui servait les Oratoriens de la reine pour savoir quel était le genre de vie de ces moines d'outre-mer; Henriette, à son tour, refusait de se laisser couronner à Westminster d'après les usages séculaires du pays, au grand scandale du Parlement et du peuple, et au grand embarras de son mari3.

Au reste Charles Ier, lui-même, n'était pas sans éprouver quelque jalousie de l'influence qu'avaient sur la reine ses conseillers français, Bérulle surtout. Enfin Buckingham favori du roi, et jaloux à son tour de l'ascendant qu'il sentait bien que la jeune reine finirait par prendre sur son mari attisait ces démêlés domestiques. Vainement Louis XIII intervint pour soutenir sa sœur dont il recevait les doléances; un beau jour, sur l'ordre de Charles Ier, le lord secrétaire d'État signifia à toutes les personnes qui composaient la maison française de la reine d'avoir à quitter Whitehall. « Les femmes se mirent à pousser des cris de détresse, et à se lamenter comme si on les menait au supplice; mais les gardes barricadèrent les portes derrière elles. » Enfermée, cependant, avec le roi, et entendant ces cris, Henriette « s'élance vers la fenêtre, et comme Charles s'oppose à ce qu'elle l'ouvre, elle brise les vitres avec sa tête,

1. Baillon, ouvr. cité, p. 73.
2. L'abbé Houssaye, Le cardinal

de Bérulle et Richelieu, p. 21. 3. Baillon, ouvr. cité, p. 87-88.

se prend des mains aux barreaux de fer, en appelant ses dames par leurs noms, et le roi ne parvient à l'arracher de la fenêtre qu'en déchirant sa robe, et non sans lui avoir écorché les mains >>. Un mois après, comme les prêtres et les dames de la reine étaient encore là, cherchant à négocier, le roi écrivait à Buckingham, le 7 août 1626: « Je vous ordonne d'expulser tous les Français hors de la ville demain matin. Si vous le pouvez, employez la douceur, mais ne perdez pas de temps en discussions. Sinon, agissez par la force et chassez-les comme autant de bêtes sauvages, jusqu'à ce que vous les ayez tous embarqués, et que le diable s'en aille avec eux! (and so the devil go with them)1. » — Quelque temps après, les rigueurs contre les « papistes redoublaient, et, au dehors, Charles Ier étalait une politique à la fois anticatholique et antifrançaise. Cédant aux conseils de Buckingham, il l'envoyait à la Rochelle, avec des vaisseaux et des troupes, au secours des protestants révoltés. Esther, on le voit, avait assez mal réussi dans sa double mission politique et religieuse.

Toutefois les résultats de ces mesures de rigueur prises par Charles Ier ne furent pas tels qu'on eût pu s'y attendre. Les circonstances y aidèrent du reste. Buckingham mourut. Richelieu, qui avait besoin de l'Angleterre, fit quelques avances à son roi. La paix fut rétablie entre les deux pays, et, en même temps, grâce aux bons offices de l'ambassadeur extraordinaire envoyé à cet effet Bassompierre, elle le fut entre les deux époux royaux. Un arrangement, conclu sous les auspices de Bassompierre, organisa, à nouveau, la maison de la reine, où les Anglais furent en majorité; un évêque, un confesseur et son assistant, et six prêtres furent accordés à à llenriette, ainsi qu'une nouvelle chapelle. Et Charles Ier, qui, comme il l'avait déclaré aux gens de la première maison de sa femme, était convaincu qu'Henriette n'appartiendrait jamais complètement à sa tendresse tant qu'ils seraient là, s'abandonna sans arrière-pensée, à l'empire de cette « vaillante femme », aux « yeux noirs et brillants comme les étoiles »>, ainsi que l'écrit un Anglais contemporain. Henriette, de son côté, se prenait à aimer davantage un mari que d'abord, à son arrivée en Angleterre, elle avait mal jugé, et qui, malgré les

93.

1. Baillon, ouvr. cité, p. 89-91,

2. Mémoires de Le Veneur de Ti

lières, cités par Baillon,

incertitudes et les duretés de son caractère, était digne, par la distinction de ses manières et la culture de son esprit, de son épouse française. Alors commencèrent pour la fille de Henri IV seize années d'un bonheur domestique, rare, autrefois, dans les familles royales, où l'inconduite était pour ainsi dire de règle. Épouse et mère heureuse, souveraine admirée, elle formait sa cour à l'image de celle de France. Rappelant ses goûts d'enfance pour les pastorales et les ballets en masques, elle faisait composer des divertissements de ce genre, en anglais, par Walter Montague, Beaumont, Fletcher, et elle y jouait son rôle. A l'exemple de son mari, elle encourageait l'architecture, la peinture que représentaient à Londres l'illustre Van Dyck et son disciple, sir Peter Lely. Elle était digne enfin des hommages enthousiastes que lui adressait Edmond Waller : Mighty queen

In whom the extremes of Power and Beauty move,
The queen of Britain and the queen of Love1.

Mais si ces élégances conciliaient à la reine les sympathies de la noblesse de cour, elles étaient vues d'un œil bien différent par cette secte intransigeante du protestantisme anglais, qui s'appelait avec orgueil la secte purilaine, et les pamphlets les plus violents flétrissaient la conduite de cette princesse < papiste » qui se faisait, aux yeux de tous, « comédienne ». D'ailleurs l'opposition protestante avait d'autres griefs, plus sérieux. Les progrès de la reine dans la faveur de son mari étaient aussi des progrès du prosélytisme catholique. Des capucins étaient venus (1629) remplacer les oratoriens évincés. Les cérémonies du culte romain se célébraient, à la porte du palais de Somerset-house, avec autant de pompe qu'à Paris. Des abjurations étaient solennellement reçues et fêtées dans les chapelles de la reine. « Sous l'influence de sa femme, Charles n'avait pas seulement tempéré l'application des lois pénales » contre les dissidents, « il avait admis dans son royaume un nonce apostolique, autorisé l'envoi d'un représentant de la reine auprès du Saint-Siège, accepté l'idée d'une entente avec Rome ». Le pape, enchanté, manifestait à la

1. Puissante reine, en qui se | d'Angleterre, et reine de l'amour! »> touchent les points extrêmes du 2. Fagniez, Richelieu et le Père Pouvoir .ct de la Beauté, reine Joseph, t. I, p. 311.

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