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pleurer autour d'un tombeau, et des fragiles images d'une douleur que le temps emporte avec tout le reste : des colonnes qui semblent vouloir porter jusqu'au ciel le magnifique témoignage de notre néant : et enfin rien ne manque dans tous ces honneurs, que celui à qui on les rend. Pleurez donc sur ces faibles restes de la vie humaine, pleurez sur cette triste immortalité que nous donnons aux héros. Mais approchez en particulier, ô vous qui courez avec tant d'ardeur dans la carrière de la gloire, âmes guerrières et intrépides. Quel autre fut plus digne de vous commander? mais dans quel autre avez-vous trouvé le commandement plus honnête ?? Pleurez donc ce grand capitaine, et dites en gémissant : Voilà celui qui nous menait dans les hasards3; sous lui

chœur est ornée de ces basses-tailles, d'un adjectif est en effet très rare et de devises au-dessous, qui par- au xvir siècle, et formellement conlent de tous les temps de sa vie. damné par les grammairiens. « Je Celui de sa liaison avec les Espa- doutais si j'en ferais une remarque, gnols est exprimé par une nuit obs- écrit Vaugelas en 1647, mon dessein cure, où trois mots latins disent: n'étant que d'en faire sur les choses Ce qui s'est fait loin du soleil doit qui sont tous les jours en question être caché. Tout est semé de fleurs et en dispute, même parmi les gens de lis d'une couleur sombre, et au- de la cour et nos meilleurs écrivains. dessous une petite lampe qui fait dix Il ne me semblait pas que celle-ci mille petites étoiles. Tout le monde dût être mise en ce rang, comme a été voir cette pompeuse décora- en effet il n'y a guère de personnes tion. Elle coûte cent mille francs qui aient tant soit peu de soin d'apà Monsieur le Prince d'aujourd'hui; prendre à bien parler et à bien mais cette dépense lui fait bien de écrire, qui ne sachent ce que je vais l'honneur. » (Mme de Sévigné, remarquer. Au nominatif et à l'ac10 mars 1687.) Les inscriptions cusatif, de se met devant l'adjectif étaient du père Menetrier, qui avait et des devant le substantif.... C'est un talent particulier pour ce genre une règle essentielle dans la lande composition; le texte de l'ins-gue. » Remarques, édit. Chassang, cription citée par Mme de Sévigné t. II, p. 6-7.

est celui-ci Lateant, quæ sine 2. Honnête. Au sens si fréquent sole. Cf. la Gazette de France du de ce mot au XVIIe siècle, aujour15 mars 1687. d'hui vieilli : « civil, courtois,

1. Des fragiles images. Cf. Mal-poli ». Dict. de l'Acad., 1694. herbe, I, 68: « Ils n'ont jamais que des tièdes hivers. » Édit. de 1620. Mais dès l'édition de 1631 des œuvres de Malherbe on trouve la variante de tièdes hivers ». Cet emploi de des devant un nom précédé

3. Les hasards. Les périls, et plus particulièrement les périls des combats. « Si l'espoir qu'aux bouches des hommes | Nos beaux faits seront récités | Est l'aiguillon par qui nous sommes || Dans les ha

se sont formés tant de renommés capitaines, que ses exemples ont élevés aux premiers honneurs de la guerre : son ombre eût pu encore gagner des batailles; et voilà que dans son silence, son nom même nous anime, et il nous avertit que pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux, et n'arriver pas sans ressource à notre éternelle demeure, avec le roi de la terre il faut encore servir le roi du ciel. Servez donc ce roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un soupir et un verre d'eau1 donné en son nom plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu; et commencez à compter le temps de vos utiles services du jour que vous vous serez donnés à un maître si bienfaisant. Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu mettre au rang de ses amis? Tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu'il vous ait reçus, environnez ce tombeau; versez des larmes avec des prières; et admirant dans un si grand prince une amitié si commode et un commerce si doux, conservez le souvenir d'un héros dont la bonté avait égalé le courage. Ainsi puisse-t-il toujours vous être un cher entretien; ainsi puissiezvous profiter de ses vertus: et que sa mort, que vous déplorez, vous serve à la fois de consolation et d'exemple. Pour moi, s'il m'est permis après tous les autres de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire :

sards précipités. >> Malherbe (dans Littré). « Ce sang... qu'au milieu des hasards n'osait verser la guerre. »> Corneille, Cid, II. 9. « Qui, fidèle à ses rois, vieilli dans les hasards, Avait du grand Henri suivi les étendards.» Voltaire, Henriade, IX. 1. La Harpe (Lycée, 1. II, sect. 3) s'excusait avec timidité de « savoir gré à l'auteur de ce contraste ha

|

sardeux et de cette citation vulgaire », mais « ennoblie par l'humanité ».

2. Et quicumque potum dederit uni ex minimis istis calicem aquæ frigidæ tantum in nomine discipuli, amen dico vobis, non perdet mercedem suam. (Matth., X, 42.) 3. Cf. p. 491, n. 2.

4. Commode. Cf. p. 455, n. 4.

votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettait la victoire; non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y1 efface. Vous aurez dans cette image des traits immortels: je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparaître. C'est là que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg et à Rocroi; et ravi d'un si beau triomphe, je lirai en action de grâces ces belles paroles du bienaimé disciple: Et hæc est victoria quæ vincit mundum, fides nostra2 : « La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi. » Jouissez, prince, de cette victoire; jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice. Agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, grand prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte; heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint*.

1. Cf. p. 167.

2. Joann., Ep. I, v, 4.
3. Vertu. Cf. p. 120, n. 2.

4. On trouvera dans le Génie du christianisme (1. III, ch. IV) un éloge pompeux, mais grandiose et ému de cette oraison funèbre dont Lout l'ensemble, et surtout la péroraison, est assurément une œuvre d'art achevée. Les contemporains n'en furent pas également enthousiastes. Si Mme de Sévigné jugea que tout y était de main de maiire (25 avri. 1687), voici l'appré

ciation d'une autre femme d'esprit, Mme de Coligny, écrivant à Bussy, 14 mai 1687. « Vous avez lu l'Oraison funèbre de Monsieur le Prince faite par M. de Meaux. Je crois qu'il a bien retouché au parallèle en la faisant imprimer. Cette pièce nous paraît inégale; il y a de beaux endroits, de fort médiocres et de fort languissants, souvent de mauvaises épithètes et de méchantes expressions.>>

On voit que le « parallèle » entre Turenne et Condé était la grande cause de ces mécontentements.

FIN.

.

INDEX GRAMMATICAL

Les chiffres imprimés en caractères gras renvoient aux pages où se
trouvent les notes les plus importantes.

A

A, dans, 52, 56, 91, 165,
180, 301, 319, 339,
462, 463, 497, 527.
A ou de après un verbe,
77, 79, 88, 89, 114,
176, 425, 454, 504.
A, de, entre deux sub-
stantifs, 153.
A, de façon à, jusqu'au
point de, 53.
A, en présence de. 370.
A, par, après un verbe,

et en particulier après
le verbe laisser, 41,
46, 98, 171, 418, 456,
547.
A, son emploi fréquent
après un adjectif, 46,
51, 84, 96, 153, 159,
182, 321, 323, 537.
A, pour, entre un ad-
jectif et un verbe,
433.

A, pour, après un sub-
stantif, 74, 259, 332,
355, 361, 364, 418,
493.
A, pour, après un verbe,

465.

A, pour, entre deux
verbes, 360.
Abolir, 465.
Absolus (participes),
4, 122.

A cause que, 339, 546.
Accommodement, ac-

tion de mettre les
hommes d'accord,

514.
Accompli, parfait, en-
tier, 82, 512.
Accompli, qui a atteint
sa durée ordinaire,
en parlant de la vie,
184.

Accord du verbe se
rapportant à plu-

Action, geste, mouve-
ment, 11.
Adhérence, attache-
ment moral, 29.
Adjectif employé sub-
stantivement, 343,
449, 450.
Adjectif possessif au
lieu de l'article,9,442.
Adresses, finesses, ha-
biletés, 230.

sieurs sujets synony-Affection s'appliquant
mes, 42, 72, 107, 221.
Accord du verbe se
rapportant à plu-
sieurs sujets non
synonymes, 77, 104,
522, 531, 554.
Accord du verbe avec
son sujet dans des
phrases commençant
par c'est, ce sont, c'é-
taient, etc. 320, 427.
Accorder, concilier, 6,

80.

Accoutumé de (avoir),
348.

Accru (Étre), 5.
Accuser, faire ressortir,
247.

A ce coup, 160, 335,
541.

A cette fois, 118, 177,
541.

Acquérir (s'), s'atta-
cher, conquérir mo-
ralement, 162.
Action, activité, 419,

420.

aux choses, 12.
Affligé, accablé, abattu,
83, 86.
Affluence, abondance
par apport, 226.
Affres, 350.
Agrandir, rendre plus
puissant, 404, 414.
Agrément, charme,
156.
Aigle, genre de ce mot,
521.
Ailes de Dieu, des
saints..., 333.
Ainsi, c'est ainsi que,
86.

Aliénation, désunion,
désaccord, 30.
Allouer, approuver,
passer (un compte),
10.
Amas, 39.
A moins que, à moins

que... ne... 344.
Amour, genre de ce
mot, 82.
Amphibologique (em-

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