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doivent l'établissement de tant de maisons qui ont consolé leurs pauvres, humilié leurs riches, instruit leurs peuples, sanctifié leurs prêtres, et répandu bien loin aux environs la bonne odeur de l'Évangile.

Le P. Bourgoing n'était pas moins animé du véritable esprit du sacerdoce chrétien dans ses « exercices particuliers ». « Les ministres de Jésus-Christ ont deux principales fonctions : parler à Dieu par l'oraison, parler aux peuples par la prédication de l'Évangile. » Et c'est parce qu'il se retrempait continuellement dans la prière qu'il excellait dans le sermon :

Je ne m'étonne donc plus s'il prêchait si saintement au peuple fidèle1 le mystère de Jésus-Christ qu'il avait si bien médité. O Dieu vivant et éternel, quel zèle, quelle onction! quelle douceur! quelle force! quelle simplicité et quelle éloquence! O qu'il était éloigné de ces prédicateurs infidèles, qui ravilissent leur dignité jusqu'à faire servir au désir de plaire le ministère d'instruire 3; qui ne rougissent pas d'acheter des acclamations par des

avec lesquelles ils disposaient les
ecclésiastiques à recevoir les saints
Ordres. Car il faut savoir que pour
lors les séminaires n'étaient point
encore établis dans les diocèses
comme à présent et que c'était beau- |
coup quand on pouvait obtenir que
les prélats obligeassent pendant huit
ou dix jours tous les ecclésiastiques
d'assister à une conférence du matin
etàune autredu soir,qu'on leur faisait
dans les maisons de l'Oratoire, avant
que
de recevoir les Ordres.» « L'ar-
chevêque de Malines fut si charmé
du P. Bourgoing qu'il voulut le re-
tenir plusieurs années auprès de lui
et qu'il l'appuya beaucoup de son
crédit et de ses conseils pour plu-
sieurs établissements que celui-ci
fit en Flandre et particulièrement
dans la ville de Louvain. » P. Cloy-
seault, Vies de quelques prêtres
de l'Oratoire, p. p. le P. Ingold.

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1. Qui a la foi. Cf. La Bruyère, Des Esprits forts : « Ils sont à la vérité des esprits forts, et plus forts que tant de grands hommes si éclairés, si élevés, et néanmoins si fidèles. Lequel des deux fait un usage plus sensé de sa raison, ou le fidèle qui croit, ou l'incrédule qui refuse de croire? » Massillon, Carême, sermon sur la Vérité de la Religion.

2. Ravilissent. « De peur de ravilir les divins cantiques par des paroles humaines, faisons retentir jusqu'au Ciel celles qu'un ange même en a apportées. Bossuet, Serm. pour l'Assomption. Cf. p. 147, n. 2.

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3. Le ministère d'instruire. C'est un de ces latinismes particuliers à Bossuet. Cf. Tacite ministeria belli; saint Paul dans la Vulgate : ministerium verbi.

instructions; des paroles de flatterie par la parole de vérité; des louanges, vains aliments d'un esprit léger, par la nourriture solide et substantielle que Dieu a préparée à ses enfants! Quel désordre! quelle indignité! Est-ce ainsi qu'on fait parler Jésus-Christ? Savez-vous, ô prédicateurs, que ce divin conquérant veut régner sur les cœurs par votre parole? Mais ces cœurs sont retranchés contre lui; et pour les abattre à ses pieds, pour les forcer invinciblement au milieu de leurs défenses, que ne faut-il pas entreprendre? quels obstacles ne faut-il pas surmonter? Écoutez l'apôtre saint Paul «< 11 faut renverser les remparts des mauvaises habitudes, il faut détruire les conseils profonds d'une malice2 invétérée, il faut abattre toutes les hauteurs qu'un orgueil indompté et opiniâtre élève contre la science de Dieu, il faut captiver3 tout entendement sous l'obéissance de la foi. » Ad destructionem munitionum, consilia destruentes, et omnem altitudinem extollentem se adversus scientiam Dei, et in captivitatem redigentes omnem intellectum in obsequium Christi*.

Que ferez-vous ici, faibles discoureurs? Détruirez-vous ces remparts en jetant des fleurs? Dissiperez-vous ces conseils cachés en chatouillant les oreilles? Croyez-vous que ces superbes hauteurs tombent au bruit de vos périodes mesurées? Et pour captiver les esprits est-ce assez de les charmer7 un moment par la surprise d'un

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plaisir qui passe? Non, non, ne nous trompons pas pour renverser tant de remparts et vaincre tant de résistance, et nos mouvements affectés et nos paroles arrangées et nos figures artificielles sont des machines trop faibles. Il faut prendre des armes plus puissantes, plus efficaces, celles qu'employait si heureusement le saint prêtre dont nous parlons.

La parole de l'Évangile sortait de sa bouche, vive, pénétrante, animée, toute pleine d'esprit et de feu. Ses sermons n'étaient pas le fruit de l'étude lente et `tardive, mais d'une céleste ferveur, mais d'une prompte et soudaine illumination.

Après avoir rappelé deux des principaux discours du P. Bourgoing, l'oraison funèbre du cardinal de Bérulle et le panégyrique latin de saint Philippe de Néri, Bossuet passe rapidement sur le talent de Bourgoing dans la direction des âmes. Il était confesseur de « monseigneur le duc d'Orléans, de glorieuse mémoire », c'est-à-dire de ce Gaston d'Orléans, père de Louis XIII, ennemi acharné de Richelieu, conspirateur brouillon, ami infidèle de Cinq-Mars.

Quelle fut la conduite du père Bourgoing dans cet emploi « délicat »?« N'entrons jamais dans ce détail, dit Bossuet. Contentons-nous de savoir qu'il y a des plantes tardives dans le jardin de l'Epoux; que, pour en voir la fécondité, les directeurs des consciences, ces laboureurs spirituels, doivent attendre avec patience le fruit précieux de la terre; et qu'enfin le père Bourgoing a eu la consolation de n'avoir pas attendu en vain, la terre qu'il cultivait lui ayant donné avec abondance des fruits de bénédiction et de grâce. » On dit en effet que Gaston d'Orléans mourut, en 1660, à Blois, où il était relégué,

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dans de grands sentiments de piété. Arrivé à la seconde partie, Bossuet rappelle que l'esprit de la congrégation de l'Oratoire, si sagement gouvernée par le

charme et qu'elle persuade. » Saint- | vement jaloux je ne fus pas maiEvremond, dans le Dictionnaire de tresse. »Racine, Bajazet, 1, 4. EmFuretière. ploi très fréquent au xvII° siècle.

1. Emotions, passions. Cf. plus loin, p. 453, n. 1. « D'un mou

2. Au sens étymologique : spiritus: souffle, d'où véhémence.

P. Bourgoing, « consiste à s'attacher constamment à la conduite de l'Église, à ses évêques, à son chef visible ». Il ne a croit donc pas s'éloigner de la suite de son discours, s'il trace en peu de paroles comme un plan de la sainte Église, selon le dessein éternel de son divin architecte ».

SECOND POINT.

Vous comprenez, mes frères, par tout ce que j'ai déjà dit, que le dessein de Dieu dans l'établissement de son Église est de faire éclater par toute la terre le mystère de son unité, en laquelle est ramassée1 toute sa grandeur. C'est pourquoi le Fils de Dieu est venu au monde, et « le Verbe a été fait chair, et il a daigné habiter en nous, et nous l'avons vu parmi les hommes plein de grâce et de vérité » 2, afin que par la grâce qui unit il ramenât tout le genre humain à la vérité qui est une. Ainsi, venant sur la terre avec cet esprit d'unité, il a voulu que tous ses disciples fussent unis, et il a fondé son Église unique et universelle, « afin que tout y fût consommé et réduit en un 3: » Ut sint consummati in unum *, comme il le dit lui-même dans son Évangile.

Je vous le dis, chrétiens, c'est ici en vérité un grand mystère en Jésus-Christ et en son Église. « Il n'y a qu'une colombe et une parfaite » Una est columba mea, perfecta mea; il n'y a qu'une seule épouse, qu'une seule Église catholique, qui est la mère commune de tous les fidèles. Mais comment est-elle la mère de tous les fidèles, puisqu'elle n'est autre chose que l'assemblée de tous les fidèles? C'est ici le secret de Dieu. Toute la grâce de l'Église,

1. Ramassée. V. p. 3, n. 4; 374,n. 1. 2. Joann., 1, 14.

3. Un. Emploi du neutre conforme à l'usage latín (« Fluvius in unum confluit,» Cicéron dans Forcellini) et fréquent chez Bossuet.

4. Joann., XVII, 23.

5. En. Dans la personne de..., «J.-C. en qui Adam n'avait point péché ». Bossuet, Histoire universelle, II, 1.

6. Cant., VI, 8.

toute l'efficace1 du Saint-Esprit est dans l'unité; en l'unité est le trésor 2, en l'unité est la vie, hors de l'unité est la mort certaine. L'Église donc est une; et, par son esprit d'unité catholique et universelle, elle est la mère toujours féconde de tous les particuliers qui la composent. Ainsi tout ce qu'elle engendre, elle se l'unit très intimement en cela dissemblable des autres mères, qui mettent hors d'elles-mêmes les enfants qu'elles produisent. Au contraire, l'Église n'engendre les siens qu'en les recevant en son sein, qu'en les incorporant à son unité. Elle croit entendre sans cesse en la personne de saint Pierre ce commandement qu'on lui fait d'en haut: «Tue et mange, » unis, incorpore: Occide et manduca3; et, se sentant animée de cet esprit unissant, elle élève la voix nuit et jour, pour appeler tous les hommes au banquet où tout est fait un; et lorsqu'elle voit les hérétiques qui s'arrachent de ses entrailles, ou plutôt qui lui arrachent ses entrailles mêmes, et qui emportent avec eux en la déchirant le sceau de son unité, qui est le baptême, conviction visible de leur désertion, elle redouble son amour maternel envers ses enfants qui demeurent, les liant et les attachant toujours davantage à son esprit d'unité : tant il est vrai qu'il a plu à Dieu que tout concourût à l'œuvre de l'unité sainte de l'Église, et même le schisme, la rupture et la révolte.

Voilà donc le dessein du grand architecte, faire régner

1. Ce mot, qui n'appartient plus | emploi absolu n'est signalé chez qu'à la langue théologique, était aucun autre écrivain.

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5. On dirait plutôt aujourd'hui : elle redouble d'amour; mais cette construction, conforme à la forme active de l'original latin, est dans l'usage courant du XVн siècle. « Le vieux prince disait que le moment où l'on reçoit les plus heureuses nouvelles était le moment où il fallait redoubler son attention pour les petites. » Retz, Mémoires (dans

4. Unissant. Littré ne mentionne que cet exemple de Bossuet, et cet | Littré).

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