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prélat, autant ravi de la pureté de ses sentiments qu'étonné d'un si triste spectacle, se prosterna en terre avec toute l'assistance, et ayant invité Madame à s'unir à son intention, il fit une prière à Dieu pour demander la rémission des péchés par le sang de Jésus-Christ crucifié, représentant à cette princesse que si Dieu nous traitait selon la rigueur de sa justice, nous ne devions attendre que l'enfer et la damnation éternelle; mais qu'elle ne devait espérer que miséricorde et que grâce, pourvu qu'elle mît toute sa confiance au mérite et à la bonté d'un tel Sauveur. Elle dit : « Mon cœur vous répond. Vous voyez,

lui dit-il, Madame, ce que c'est que le monde; vous le voyez par vous-même; n'êtes-vous pas bien heureuse que Dieu vous appelle à son éternité? » Elle témoigna par une action bien marquée qu'elle ressentait ce bonheur.

« Ne

Il lui fit faire plusieurs actes, à quoi elle répondait toujours par des paroles courtes et précises, et ayant un peu discontinué pour ne la fatiguer pas, Madame lui dit : croyez pas que je n'écoute point parce que je tourne la tête; je suis fort attentive, continuez. » Alors lui ayant demandé si elle ne voulait pas professer jusqu'au dernier soupir la foi catholique, apostolique et romaine, elle dit : « J'y ai vécu, et j'y meurs. >>

L'ayant avertie que les personnes de son élévation devaient un grand exemple au monde, particulièrement en la présence de Dieu et devant ses autels, qu'il fallait qu'elle lui demandât pardon de toutes les irrévérences qu'elle y avait commises et qu'elle lui en fit réparation, elle dit : « Je le fais de tout mon

cœur. »

Madame témoignant qu'elle souffrait beaucoup, il lui dit : « Il faut unir vos souffrances avec celles de Jésus-Christ, en expiation de tant de péchés. » Elle dit : « C'est ce que je tâche de faire. » Et un peu après, lui montrant le crucifix, il lui dit : «Voilà, Madame, Jésus-Christ qui vous tend les bras; voilà celui qui vous donnera la vie éternelle, et qui ressuscitera ce corps qui souffre tant. » Elle répondit : « Credo! Credo! ». Puis ayant demandé un peu de repos avec ce même sourire et cette même douceur dont elle accompagnait ordinairement ses paroles, cet évêque alla près de la fenêtre. Très peu de temps après, elle dit à M. Feuillet: « C'en est fait, rappelez M. de Condom. » Il approcha, et la voyant fort changée, il lui dit en trois mots : « Madame, vous croyez en Dieu, vous espérez en

Dieu, vous l'aimez?» Il lui entendit dire très distinctement : « De tout mon cœur. » Il lui présenta le crucifix, lui disant qu'en embrassant Jésus-Christ, elle pratiquait tout ensemble tous les actes de la piété chrétienne. Elle le prit, le baisa avec beaucoup de ferveur, et le tint elle-même pressé sur ses lèvres, jusqu'à ce que son bras tombait par faiblesse et le crucifix en même temps. Il le lui fit encore baiser, disant : « In manus tuas.... » Elle avait perdu la connaissance....

ORAISON FUNÈBRE

DE

MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE

INFANTE D'ESPAGNE, REINE DE FRANCE ET DE NAVARRE

PRONONCÉE A SAINT-DENIS LE 1er SEPTEMBRE 1685

NOTICE

En l'année 1658, Louis XIV voulait se marier. « Toute l'Europe »>, dit Mme de Motteville1, « regardait de quel côté il se tournerait pour choisir une femme, et toutes les princesses qui pouvaient aspirer à cet honneur étaient attentives à l'événement de cette élection ». Marie-Thérèse, infante d'Espagne, était une de celles-là.

Tout lui permettait cette ambition. Parmi les familles alors régnantes en Europe,. c'était la sienne qui, incontestablement, était la plus noble et la plus illustre avec celle de Bourbon, à laquelle, du reste, Marie-Thérèse se rattachait déjà par sa mère, Isabelle, fille de Henri IV. Son père était frère d'Anne d'Autriche, la régente de France. Et enfin, en dehors de ces affinités princières, il était évidemment très désirable pour les deux pays, lassés d'une lutte séculaire, qu'une alliance de famille vint consolider la paix dont l'une et l'autre avaient si grand besoin.

Née en 1638, orpheline de mère à six ans, sans frères ni sœurs, Marie-Thérèse avait grandi assez tristement sans doute

1. Mme de Motteville, Mémoires (aux années 1659 et 1660).

dans ce sombre palais de l'Escurial, où s'étiolaient les descendants de Charles-Quint, et que Philippe IV ne contribuait pas à égayer. Rien de plus mélancolique et de plus silencieux que ce prince, dont, il est vrai, le règne n'avait été, comme disent les historiens du temps, qu'un « enchaînement de revers et de disgrâces ». Avec cela, l'incarnation même de la pompe espagnole et du décorum monarchique, au point d'ébahir les seigneurs français qui allèrent en ambassade pour demander la main de l'Infante: « Il faut avouer que la manière dont le roi donne audience en France est la chose du monde la plus pitoyable au prix de celle dont on nous reçut.... Lorsque M. le maréchal entra, le Roi (Philippe IV) mit la main au chapeau. Lorsqu'il approcha de plus près, le roi ne branla plus, et quand M. le maréchal ôta son chapeau de temps en temps et qu'il présenta sa lettre, il demeura toujours immobile, et ne remit la main au chapeau que quand M. le maréchal s'en alla. » Le tout dans un mutisme imposant. Il ne bougeait « non plus qu'une statue », ajoute irrévérencieusement l'envoyé, et il ne parlait guère davantage. Quand Anne d'Autriche, quelques mois après, lui amenant son fils, le voulut embrasser, « il retira sa tête si loin que jamais elle ne put l'attraper, » et il jugea sans doute que sa sœur, depuis qu'elle était en France, était devenue bien familière.

A cette école de majesté, Marie-Thérèse avait puisé un orgueil tout castillan. Dédaigneuse de plaire à qui que ce fût des grands » qui composaient la cour de son père, parce que parmi eux « il n'y avait point de roi », elle avait attendu avec confiance le souverain que lui destinait la diplomatie. Et se souvenant de ce que lui avait souvent dit sa mère, que « pour être heureuse, il fallait être reine de France »; considérant, dans sa fierté, que le roi de France était seul entièrement digne d'elle, et elle, seule digne de lui, elle aimait << jusqu'aux portraits de Louis XIV ». « Un pressentiment l'avertissait que le roi devait être son mari », quelles que pussent être, à de certains moments, les apparences contraires.

Dans l'hiver de 1658, en effet, c'était la princesse Marguerite de Savoie, parente de Mazarin, qu'il était grandement question d'unir à Louis XIV. Les pourparlers étaient même si avancés que la cour venait de partir pour Lyon afin que les

1. Mme de Caylus, Souvenirs, éd. de Lescure, p. 67.

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