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pouvons achever ce saint sacrifice pour le repos de Madame avec une pieuse confiance. Ce Jésus en qui elle a espéré, dont elle a porté la croix en son corps par des douleurs si cruelles, lui donnera encore son sang, dont elle est déjà toute teinte, toute pénétrée, par la participation à ses sacrements et par la communion avec ses souffrances.

Mais en priant pour son âme, Chrétiens, songeons à nous-mêmes. Qu'attendons-nous pour nous convertir? Quelle dureté est semblable à la nôtre, si un accident si étrange1, qui devrait nous pénétrer jusqu'au fond de l'âme, ne fait que nous étourdir pour quelques moments?? Attendons-nous que Dieu ressuscite les morts pour nous instruire? Il n'est point nécessaire que les morts reviennent, ni que quelqu'un sorte du tombeau, ce qui entre aujourd'hui dans le tombeau doit suffire pour nous convertir. Car si nous savons nous connaître, nous confesserons, Chrétiens, que les vérités de l'éternité sont assez bien établies; nous n'avons rien que de faible à leur opposer; c'est par passion, et non par raison, que nous osons les combattre. Si quelque chose les empêche de régner sur nous, ces saintes et salutaires vérités, c'est que le monde nous occupe3, c'est que les sens nous enchantent, c'est que le présent nous entraîne. Faut-il un autre spectacle pour nous détromper et des sens et du présent et du monde? La Providence divine pouvait-elle nous mettre en vue, ni de plus près, ni plus fortement, la vanité des choses humaines? Et si nos cœurs s'endurcissent après un avertissement si sensible, que lui restet-il autre chose que de nous frapper nous-mêmes sans miséricorde? Prévenons un coup si funeste, et n'atten

tion propre de « plus prompte

ment ».

1. Cf. p. 350, n. 1. Extraordinaire. 2. Cf. Sermon sur la Mort, éd. cl. Hachette, p. 286: « C'est une étrange faiblesse de l'esprit humain que jamais la mort ne lui soit présente. »

3. Au sens du latin occupare, envahir. Cf. p. 108, n. 5.

4. Nous abusent, comme par un enchantement magique.

5. Nous mettre sous les yeux.
6. Ni... ni. Cf. p. 322. n. 1.
7. Que. Sinon. Cf. p. 326, n. 2.

dons pas toujours des miracles de la grâce1. Il n'est rien de plus odieux à la souveraine puissance que de la vouloir forcer par des exemples et de lui faire une loi de ses grâces et de ses faveurs. Qu'y a-t-il donc, Chrétiens, qui puisse nous empêcher de recevoir, sans différer, ses inspirations? Quoi! le charme de sentir est-il si fort que nous ne puissions rien prévoir? Les adorateurs des grandeurs humaines seront-ils satisfaits de leur fortune, quand ils verront que dans un moment leur gloire passera à leur nom, leurs titres à leurs tombeaux, leurs biens à des ingrats, et leurs dignités peut-être à leurs envieux ? Que si nous sommes assurés qu'il viendra un dernier jour où la mort nous forcera à confesser toutes nos erreurs, pourquoi ne pas mépriser par raison ce qu'il faudra un jour mépriser par force? Et quel est notre aveuglement si, toujours avançants vers notre fin, et plutôt mourants que vivants, nous attendons les derniers soupirs pour prendre les sentiments que la seule pensée de la mort nous devrait inspirer à tous les moments de notre vie? Commencez aujourd'hui à mépriser les faveurs du monde; et toutes les fois que vous serez dans ces lieux augustes, dans ces superbes palais à qui Madame donnait un éclat que vos yeux recherchent encore; toutes les fois que, regardant cette grande place qu'elle remplissait si bien, vous sentirez qu'elle y manque, songez que cette gloire que vous admiriez faisait son péril en cette vie, et que dans l'autre elle est devenue le sujet

4

1. Sermon finale, éd. cl. Hachette, p. 225, 231, etc.; sur l'Ardeur de la pénitence, ibid., p. 320.

sur l'Impénitence | vais vue si attentive pendant que

2. Var. de la première édition Recevez donc, sans différer, ses inspirations, et ne tardez pas à vous convertir.

3. Pour le sens du mot charme au XVI° siècle, cf. p. 319, n. 4; 388, n. 1. 4. Sujet. Objet. « Elle, que j'a

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je rendais le mème devoir à sa mère, devait être sitôt après le sujet d'un discours semblable. »> « Ce doit vous être assez de m'avoir abusée, sans faire encor de moi vos sujets de risée. » Corneille, Suivante, V, 3. · - Lorsque de notre Crète il traversa les flots || Digne sujet des voeux des filles de Minos. >> Racine, Phèdre, II, 5.

d'un examen rigoureux, où rien n'a été capable de la rassurer que cette sincère résignation qu'elle a eue aux ordres de Dieu et les saintes humiliations de la pénitence.

RELATION

DE LA MORT DE MADAME

A LA SUITE DE SON HISTOIRE >>

PAR Mme DE LA FAYETTE

(Extraits.)

Le dimanche, 29 juin.... elle alla entendre [la messe], et en revenant dans sa chambre, elle s'appuya sur moi, et me dit avec cet air de bonté qui lui était si particulier, qu'elle ne serait pas de si méchante humeur si elle pouvait causer avec moi : mais qu'elle était si lasse de toutes les personnes qui l'environnaient qu'elle ne les pouvait plus supporter.

Elle alla ensuite voir peindre Mademoiselle, dont un excellent peintre anglais faisait le portrait, et elle se mit à parler à Mme d'Epernon et à moi de son voyage d'Angleterre et du Roi son frère.

Cette conversation qui lui plaisait lui redonna de la joie; on servit le diner, elle mangea comme à son ordinaire, et après le diner elle se coucha sur des carreaux2; ce qu'elle faisait assez souvent lorsqu'elle était en liberté; elle m'avait fait mettre auprès d'elle, en sorte que sa tête était quasi sur moi.

Le même peintre anglais peignait Monsieur; on parlait de toutes sortes de choses, et cependant elle s'endormit. Pendant son sommeil elle changea si considérablement, qu'après l'avoir longtemps regardée j'en fus surprise, et je pensai qu'il fallait

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que son esprit contribuât fort à parer son visage, puisqu'il le rendait si agréable lorsqu'elle était éveillée, et qu'elle l'était si peu quand elle était endormie; j'avais tort néanmoins de faire cette réflexion, car je l'avais vue dormir plusieurs fois, et je ne l'avais pas vue moins aimable.

Après qu'elle fut éveillée, elle se leva du lieu où elle était ; mais avec un si mauvais visage, que Monsieur en fut surpris et me le fit remarquer.

Elle s'en alla ensuite dans le salon où elle se promena quelque temps avec Boisfranc, trésorier de Monsieur, et en lui parlant elle se plaignit plusieurs fois de son mal de côté.

Monsieur descendit pour aller à Paris, où il avait résolu de se rendre; il trouva Mme de Meckelbourg sur le degré, et remonta avec elle; Madame quitta Boisfranc et vint à Mme de Meckelbourg; comme elle parlait à elle, Mme de Gamaches lui apporta, aussi bien qu'à moi, un verre d'eau de chicorée, qu'elle avait demandé il y avait déjà quelque temps; Mme de Gourdon, sa dame d'atour, le lui présenta. Elle le but, et en remettant d'une main la tasse sur sa soucoupe, de l'autre elle se prit le côté, et dit avec un ton qui marquait beaucoup de douleur : « Ah! quel point de côté! ah! quel mal! je n'en puis plus! »>< Elle rougit en prononçant ces paroles, et dans le moment d'après elle pâlit d'une pâleur livide qui nous surprit tous; elle continua de crier, et dit qu'on l'emportât comme ne pouvant plus se soutenir.

Nous la prîmes sous les bras. Elle marchait à peine, et toute courbée; on la déshabilla dans un instant; je la soutenais pendant qu'on la délaçait; elle se plaignait toujours, et je remarquai qu'elle avait les larmes aux yeux; j'en fus étonnée et attendrie, car je la connaissais pour la personne du monde la plus patiente.

Je lui dis, en lui baisant les bras que je soutenais, qu'il fallait qu'elle souffrit beaucoup. Elle me dit que cela était inconcevable; on la mit au lit, et sitôt qu'elle y fut, elle cria encore plus qu'elle n'avait fait, et se jeta d'un côté et d'un autre, comme une personne qui souffrait infiniment. On alla en même temps appeler son premier médecin, M. Esprit; il vint, et dit que c'était la colique, et ordonna les remèdes ordinaires à de semblables maux. Cependant les douleurs étaient inconcevables. Madame dit que son mal était plus considérable qu'on ne pensait, qu'elle allait mourir, qu'on lui allât querir un confesseur.

:

Monsieur était devant son lit; elle l'embrassa, et lui dit avec une douceur, et un air capable d'attendrir les cœurs les plus barbares «< Hélas! Monsieur, vous ne m'aimez plus il y a longtemps, mais cela est injuste; je ne vous ai jamais manqué. » Monsieur parut fort touché, et tout ce qui était dans sa chambre l'était tellement, qu'on n'entendait plus que le bruit que font des personnes qui pleurent.

Tout ce que je viens de dire s'était passé en moins d'une demi-heure. Madame criait toujours qu'elle sentait des douleurs terribles dans le creux de l'estomac; tout d'un coup elle dit qu'on regardât à cette eau, qu'elle avait bue, que c'était du poison, qu'on avait peut-être pris une bouteille pour l'autre, qu'elle était empoisonnée, qu'elle le sentait bien, et qu'on lui donnat du contrepoison.

J'étais dans la ruelle auprès de Monsieur, et quoique je le crusse fort incapable d'un pareil crime, un étonnement ordinaire à la malignité humaine me le fit observer avec attention: il ne fut ni ému, ni embarrassé de l'opinion de Madame; il dit qu'il fallait donner de cette eau à un chien; il opina comme Madame qu'on allât querir de l'huile et du contrepoison pour ôter à Madame une pensée si fàcheuse; Mme Desbordes, sa première femme de chambre, qui était absolument à elle, lui dit qu'elle avait fait l'eau, et en but; mais Madame persévéra toujours à vouloir de l'huile et du contrepoison; on lui donna l'un et l'autre. Sainte-Foi, premier valet de chambre de Monsieur, lui apporta de la poudre de vipère; elle lui dit qu'elle la prenait de sa main, parce qu'elle se fiait à lui. On lui fit prendre plusieurs drogues dans cette pensée de poison, et peut-être plus propres à lui faire du mal qu'à la soulager. Ce qu'on lui donna la fit vomir; elle en avait déjà eu envie plusieurs fois avant que d'avoir rien pris, mais ses vomissements ne furent qu'imparfaits, et ne lui firent jeter que quelques flegmes, et une partie de la nourriture qu'elle avait prise. L'agitation de ces remèdes, et les excessives douleurs qu'elle souffrait, la mirent dans un abattement qui nous parut du repos; mais elle nous dit qu'il ne fallait pas se tromper, que ses douleurs étaient tou jours égales, qu'elle n'avait plus la force de crier, et qu'il n'y avait point de remède à son mal.

Il sembla qu'elle avait une certitude entière de sa mort, et qu'elle s'y résolut comme à une chose indifférente. Selon toutes les apparences la pensée du poison était établie dans son esprit,

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