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cette bienheureuse simplicité qui est la marque la plus assurée des enfants de la nouvelle alliance. Sortie de ces pieux exercices, elle parlait souvent des choses divines avec une affection1 si sincère qu'il était aisé de connaitre que son âme versait sur ses lèvres ses sentiments les plus purs et les plus profonds. Jusque dans la vieillesse la plus décrépite elle souffrait les incommodités et les maladies sans chagrin, sans murmure, sans impatience, louant Dieu parmi ses douleurs3, non point par une constance affectée, mais avec une modération qui paraissait bien avoir pour principe une conscience tranquille, et un esprit satisfait de Dieu.

Parlerai-je de sa prudence si avisée dans la conduite de sa maison? Chacun sait que sa sagesse et son économie en a beaucoup relevé le lustre; mais je ne vois rien de plus remarquable que ce jugement si réglé avec lequel elle a gouverné les dames qui lui étaient confiées; toujours également éloignée et de cette rigueur farouche et de cette indulgence molle et relâchée; si bien que,

l'ont fait passer pour timide. » StEvremond (cité dans le Dictionnaire de Furetière).

1. Affection, au XVIIe siècle, s'applique aussi aux choses. « Qu'il teinoignât de l'affection ou de l'indifférence pour ce traité. » La Rochefoucauld, II, 452 (Grands écrivains). « Affection se dit de l'ardeur avec laquelle on se porte à dire ou à faire quelque chose: Je le ferai avec affection; j'ai grande affection de le servir; il parle d'affection, avec affection.» Dict. de l'Académie, 1694. « Il est d'un honnête homme de se porter avec affection à tout ce qui regarde son devoir.» Dict. de Furetière.

2. Connaitre, reconnaître. Cf. p. 299, n. 1.

3. Cf. p. 298, n. 2.

4. Qui avait bien visiblement.... Cf. p. 325, n. 1.

5. A qui Dieu suffisait.

6. Eclat; sens fréquent au XVII S. «La prison de M. le Prince avait ajouté un nouveau lustre à sa gloire. » La Rochefoucauld, Mémoires (dans Littré). « C'est un homme qui... perd le peu de lustre qu'un peu de mémoire lui donnait. » La Bruyère, Du Mérite personnel.

7. Mesuré, prudent. «De tous les peuples du monde le plus fier et le plus hardi, mais tout ensemble le plus réglé dans ses conseils.... >> Bossuet, Hist. universelle (dans Littré). « Réglé se dit figurément en choses spirituelles et morales : cet homme à l'esprit bien réglé, il a le jugement bon, il raisonne juste. >> Dict. de Furetière.

8. Cette. Latinisme. Cf. Cicéron, Pro Manilio, 9: « Ut ex eodem Ponto Medea illa profugisse dici

tur. »

comme elle avait pour elles une sévérité mêlée de douceur, elles lui ont toujours conservé une crainte accompagnée de tendresse, jusqu'au dernier moment de sa vie et dans l'extrême caducité de son âge1.

L'innocence, la bonne foi, la candeur étaient ses compagnes inséparables. Elles conduisaient ses desseins, elles ménageaient tous ses intérêts, elles régissaient toute sa famille. Ni sa bouche, ni ses oreilles n'ont jamais été ouvertes à la médisance, parce que la sincérité de son cœur en chassait cette jalousie secrète qui envenime presque tous les hommes contre leurs semblables. Elle savait donner de la retenue aux langues les moins modérées et l'on remarquait dans ses entretiens cette charité dont parle l'Apôtre, qui n'est ni jalouse ni ambitieuse, toujours si disposée à croire le bien qu'elle. ne peut pas même soupçonner le mal.

Vous dirai-je avec quel zèle elle soulageait les pauvres membres de Jésus-Christ? Toutes les personnes qui l'ont fréquentée savent qu'on peut dire sans flatterie qu'elle était naturellement libérale, même dans son extrême vieillesse, quoique cet âge ordinairement soit souillé des ordures de l'avarice. Mais cette inclination généreuse s'était particulièrement appliquée aux pauvres. Ses

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1. Latinisme. « In extremo aetatis | Sermon sur l'Ardeur de la Péni tempore. » Cicéron. tence, 3° point. Que le cœur de l'homme est creux et plein d'ordure! » Pascal, Pensées, édit. Havet, IV, 1. « Elle (ma vie) n'est qu'un amas de crimes et d'ordures. » Molière, Tartufe, III, 6.

2. Incapacité de nuire. « Hélas! Il mourra donc ! Il n'a pour sa défense || Que les pleurs de sa mère et que son innocence. » Racine, Andromaque, I, 4.

3. Ménageaient. Cf. p. 356, n. 9, l'observation du P. Bouhours. 4. I Cor., xm, 4, 5.

au

5. Ordures. L'emploi de ce mot sens figuré est fréquent au XVII siècle. « Vous voyez que cette assemblée vénérable estime qu'on se joue des sacrés mystères lorsqu'après les avoir reçus on retourne à ses premières ordures. Bossuet,

6. Appliquée aux pauvres. « Elle (Votre Majesté) verra une créature qui... ne s'est guère moins appliquée à Dieu que ces pures intelligences. » Bossuet, Panég. de Ste Thérèse, Exorde. « Vous êtes trop bonne et trop appliquée à votre pauvre maman. » Sévigné (Grands écrivains, Lexique) «Leur roi à qui ils semblent avoir tout l'esprit

charités s'étendaient bien loin sur les personnes malades et nécessiteuses : elle partageait souvent avec elles ce qu'on lui préparait pour sa nourriture, et dans ces saints empressements de la charité qui travaillait son âmè innocente d'une inquiétude pieuse pour les membres affligés du Sauveur des âmes, on admirait particulièrement son humilité, non moins soigneuse de cacher le bien, que sa charité de le faire. Je ne m'étonne plus, chrétiens, qu'une vie si religieuse ait été couronnée d'une fin si sainte.

et tout le cœur appliqués. » La Bruyère, De la cour.

1. Empressements. V. p. 310, n. 8 et p. 336, n. 2.

ORAISON FUNEBRE

DU R. P. BOURGOING

SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DE LA CONGREGATION DE L'ORATOIRE

PRONONCÉE A PARIS,

EN L'ÉGLISE DES ORATORIENS DE LA RUE SAINT-HONORÉ
LE 4 DÉCEMBRE 1662.

NOTICE

Le nom du P. Bourgoing serait oublié aujourd'hui, s'il ne se rattachait à la fondation de la célèbre maison de l'Oratoire. Alors curé de paroisse, il fut un des cinq ecclésiastiques qui, le 11 novembre 1611, assemblés par Pierre de Bérulle, jetėrent les fondements d'une congrégation française destinée à l'exemple de celle que saint Philippe de Néri avait établie à Rome à réformer, au point de vue de l'instruction et des mœurs, le clergé séculier. Les décrets du Concile de Trente, sur ce point, étaient restés lettre morte en France, non seulement, comme dit un historien de l'Oratoire, le P. Cloyseault, < parce qu'il ne se trouvait personne qui fit une profession particulière de conformer sa vie » aux règles édictées par les Pères du Concile, mais parce que l'autorité de leurs décisions, combattue par les gallicans, était médiocre dans notre pays. Cependant la France avait peut-être encore plus besoin d'une réforme du clergé que l'Italie, parce que le protestantisme y était plus répandu, et, dit encore le P. Cloyseault, «<le clergé plus déréglé » qu'ailleurs. Aussi saint François de Sales, César de Bus fondateur lui-même de l'Institut des Frères de la Doctrine chrétienne, — et, avec eux, beaucoup d'autres hommes d'Église, encourageaient fort Pierre de Bérulle à prendre la direction de cette entreprise, à laquelle le rendait propre, plus que personne, l'énergie pratique alliée en lui à une dévotion ardente. Le succès fut rapide. « La plupart des évêques

du royaume ayant désiré les Oratoriens dans leurs diocèses pour l'instruction des ecclésiastiques, cette congrégation se multiplia en peu de temps. » Elle a tenu, dans l'histoire religieuse et littéraire de la France au xvire siècle, une place assez importante pour que nous complétions ici le tableau célèbre que Bossuet en a tracé1, par l'analyse de la « bulle d'établissement » qui « renferme l'esprit de la nouvelle congrégation ». « Les principales fonctions extérieures de la congrégation sont : premièrement, embrasser toutes les fonctions et tous les emplois qui conviennent à l'ordre sacerdotal. Secondement, ne les exercer que par dépendance et soumission aux évêques. Troisièmement, vaquer à l'instruction et à l'éducation des prétres et de ceux qui aspirent aux ordres sacrés, en leur apprenant, dans les séminaires, non seulement la science des choses qu'ils doivent savoir, mais encore l'usage qu'ils doivent faire de cette science, les cérémonies et les fonctions ecclésiastiques et surtout la vie sainte et exemplaire qu'ils doivent mener dans cet état. » (Le P. CLOYSEAULT, Vie du cardinal de Bérulle.)

C'est de cette congrégation que le P. Bourgoing (né en 1585, à Paris) devint supérieur en 1641, à une époque où les querelles du Jansénisme allaient jeter la division dans l'Église de France et, en particulier, dans l'Oratoire. On verra plus loin comment Bossuet, dans le texte de l'oraison funèbre qui nous a été conservé, fait allusion, en passant, à ces querelles. Mais, si l'on en croit un janséniste contemporain (le chanoine Hermant, auteur de mémoires, encore inédits, sur l'histoire ecclésiastique de son temps), le discours prononcé aurait été en réalité beaucoup plus vif contre les disciples de Jansenius et les amis de Saint-Cyran. Il se peut que le premier éditeur, au XVIIIe siècle, des sermons de Bossuet, Dom de Foris, fervent janséniste lui aussi, ait supprimé sans scrupule un passage qui le chagrinait. Une copie prise par l'oratorien Batterel, en 1729, de plusieurs parties de l'oraison funèbre du P. Bourgoing a permis à M. l'abbé Lebarq3 de faire quelques corrections au texte de De Foris. Nous reproduisons le texte ainsi revu par le plus récent éditeur.

1. V. plus loin, p. 19-20.

2. A. Gazier, édit. class. des Orai

sons funèbres de Bossuet, p. 2.

3. Euv. orat. de Bossuet, t. IV.

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