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qu'elle se flatte d'y parvenir. Et avez-vous eu la bonté d'envoyer chercher votre neveu ?

Madame Beaumont, (d'un air impatient.) Oh! mon neveu? vous aurez toujours assez le temps de le voir.

Verteuil. Vous m'en parlez comme si je n'en devais pas recevoir une grande satisfaction.

Madame Beaumont. Ce n'est pas qu'il soit méchant; mais c'est qu'il est si désagréable!

Verteuil. Comment done! Est-il impoli, sauvage, grossier? Madame Beaumont. Non pas tout-à-fait. On dit qu'il a déjà la tête meublée d'une quantité de choses savantes; mais pour cette aisance, ce bon ton, cette fleur de politesse...

Verteuil. Si ce n'est que cela, il sera bientôt formé. Et son cœur ?

Madame Beaumont. Je ne le crois ni bon, ni méchant. Mais Léonor, de quelles perfections elle est ornée! quelles manières enchanteresses! Je ne vois pas souvent Didier. Verteuil. Et pourquoi donc ?

Madame Beaumont. De peur de le détourner de ses études. Aussi bien, lorsqu'il est ici, je ne le trouve pas assez attentif aux leçons de savoir-vivre qu'on lui donne; il ne sait pas non plus s'exprimer avec grâce. Je l'ai mené quelquefois dans un cercle de femmes. Il n'a pas trouvé un mot heureux à placer.

Verteuil. C'est que la conversation a roulé apparemment sur des choses qui lui sont étrangères.

Madame Beaumont. Un jeune homme bien élevé ne doit jamais trouver rien d'étranger parmi les femmes.

Verteuil. Un silence modeste sied fort bien à son âge. Son rôle est maintenant d'écouter pour s'instruire et se mettre en état de parler à son tour.

Madame Beaumont. Bon! voulez-vous en faire une poupée qui ne puisse se mouvoir avant que ses rouages ne soient montés? Oh! il faut entendre jaser Léonor! C'est une aisance, un esprit, une vivacité! On a de la peine à suivre ses paroles.

Verteuil. Nous verrons qui sera le plus digne de ma tendresse. Vous vous souvenez que je promis à leur père mourant de les regarder comme ma propre famille.

Je veux

remplir cette parole sacrée. Comme je ne peux savoir combien de temps encore le ciel me donne à passer sur la terre, je suis venu ici pour voir ces enfans, étudier leur caractère, et régler en conséquence les dernières dispositions que je me propose

de faire en leur faveur.

C

ES

Madame Beaumont. O le plus fidèle et le plus généreux des hommes! Mon frère, jusque dans sa tombe, sera touché de vos bienfaits. Et moi, comment pourrais-je vous exprimer ma reconnaissance au nom de ses enfans?

Verteuil. Ce que vous appelez un bienfait n'est qu'un devoir. Votre digne père me fit autrefois partager l'heureuse éducation qu'il donnait à son fils. C'est à ses soins que je dois la fortune que j'ai acquise. Je n'ai point d'enfans; ses petits-fils m'appartiennent, et ils ont droit, pendant ma vie et après ma mort, à des biens que je n'ai cherché à étendre que pour les enrichir.

Madame Beaumont. En ce cas, Léonor, comme la plus aimable...

Verteuil. Si je fais quelque distinction, ce ne sera point pour de frivoles agrémens, ce seront les qualités et les vertus qui décideront mes préférences.

Madame Beaumont. Ah! la voici qui vient.

SCÈNE IV.

Madame Beaumont, Verteuil, Léonor, dans une parure au-dessus de son état et de son bien.

Verteuil, (étonné.) Comment! c'est-là Léonor?

Madame Beaumont. Vous êtes surpris, je le vois, de la trouver si charmante. Vous nous avez fait un peu attendre, mon enfant.

Léonor, (faisant à Verteuil une révérence cérémonieuse.) C'est que Finette n'a jamais pu réussir à placer mes plumes. Je les lui ai fait ôter et remettre au moins dix fois. Enfin, je l'ai renvoyée de dépit, et je me suis coiffée moi-même. Je suis enchantée, monsieur Verteuil, de vous voir en bonne

santé.

Verteuil, (allant vers elle, et lui tendant les bras.) Et moi, ma chère Léonor... (Elle se détourne avec un air dédaigneux.) Eh bien! est-ce que vous craignez de me recevoir comme votre père ?

Madame Beaumont. Oui, Léonor, comme votre père et votre bienfaiteur. (A Verteuil.) Il faut lui pardonner, je vous prie. Elle est élevée dans la modestie et dans la réserve. Verteuil. Elle ne les aurait point blessées en recevant les témoignages de mon amitié. Je lui dois aussi de tendres reproches pour avoir tardé si long-temps à satisfaire mon impatience

Léonor. Pardonnez-moi, monsieur; j'étais dans un état à ne pouvoir paraître devant vous avec bienséance.

Verteuil. Une jeune demoiselle doit être toujours en état de paraître avec bienséance devant un honnête homme. Un déshabillé modeste et décent, est toute la parure qui lui convient pour cela dans la maison.

Madame Beaumont. Oui; mais pour recevoir un hôte comme vous, le respect demande...

Verteuil. Une plume de moins, et quelques empressemens de plus à venir au-devant d'un ami qui fait quinze lieues pour Vous voir. Oui, je l'avoue, mon coeur aurait été mille fois plus flatté de voir mes enfans (car ils le sont par la tendresse qu'ils m'inspirent, et par mon amitié pour leur père) de les voir, dis-je, accourir à moi les bras ouverts, et m'accabler de

leurs touchantes caresses.

Madame Beaumont. C'est la vénération dont vous l'avez d'abord saisie...

Verteuil. N'en parlons plus. Vous me recevrez une autre fois avec plus d'amitié, n'est-ce pas, ma chère Léonor? Léonor. Ce sera beaucoup d'honneur pour moi. Verteuil. Mais comme vous vous êtes formée, depuis que je ne vous ai vue! Une taille élégante, des manières aisées,

un noble maintien...

Madame Beaumont. Oh! charmante! adorable!

Verteuil. Tous ces avantages cependant ne sont rien sans les grâces de la modestie, le charme de l'affabilité, l'expres sion ingénue des mouvemens de l'âme, et la culture des talens de l'esprit.

Madame Beaumont. Oui, oui, de ces talens qui donnent de la considération dans le grand monde.

Est-ce que

Verteuil. Dans le grand monde, madame? Léonor doit y paraître? Si elle possède seulement les quali tés qui peuvent l'honorer dans une société choisie et dans l'intérieur de sa maison, devant sa conscience et aux regards de Dieu, je n'ai plus rien à désirer.

même, M. Verteuil.

Madame Beaumont. Oh! sûrement, cela s'entend de soise présenter partout avec honneur. Venez, ma chère LéJe veux dire qu'elle est en état de onor, faites-nous entendre quelque joli morceau sur le piano. Léonor. Non, ma tante, cela pourrait déplaire à M. Ver

teuil.

Verteuil. Que dites-vous, ma chère enfant ? Je suis trèssensible au charme de la musique; et je ne connais point d'amusement plus convenable à une jeune demoiselle.

Madame Beaumont. Eh! quoi de plus digne de notre admiration que ces talens enchanteurs, le dessin, la danse, la musique! Léonor, chantez-nous cette charmante ariette! (Léonor va d'un air boudeur au piano, prélude un moment, et commence une sonate.) Non, non, il faut aussi chanter. Elle a une voix, M. Verteuil! Vous allez l'entendre. Si vous saviez combien d'applaudissemens elle a reçus dans le dernier concert! Mais elle a un peu d'amour-propre, et il faut la prier beaucoup.

Verteuil. J'espère bien que j'obtiendrai quelque chose sans cette cérémonie. N'est-il pas vrai, Léonor?

Léonor. Vous n'avez qu'à ordonner, monsieur.

Verteuil. Non, cela n'est pas dans mon caractère, je vous en prie seulement.

Léonor, (bas à sa tante, en ouvrant son cahier avec dépit.) Je vous suis bien obligée, vraiment!

Madame Beaumont, (bas à Léonor.) Au nom du Ciel, ma chère, obéissez; votre fortune en dépend.

Verteuil. Si elle n'est pas en voix aujourd'hui, je puis attendre.

Léonor chante en s'accompagnant sur le piano.

Vermeille rose,

Que le zéphyr, &c.

(Et à peine a-t-elle fini, que Madame Beaumont s'écrie, en battant des mains.) Bravo! bravo! bravissimo!

Verteuil. En effet, ce n'est pas mal pour un enfant de son âge. J'aurais pourtant désiré une chanson plus rapprochée des principes que vous lui inspirez sans doute.

Madame Beaumont. Eh bien! monsieur, n'en sentez-vous pas la morale? (Elle chante :)

Mais sur ta tige

Tu vas languir
Et te fletrir, &c.

C'est-à dire qu'une jeune personne doit se produire dans le monde, si elle veut tirer quelque avantage de ses talens, et De pas mourir ignorée au fond de sa retraite.

Verteuil. Croyez-moi, madame, c'est-là de préférence qu'un époux digne d'elle viendra la chercher. (Il aperçoit un dessin suspendu à la muraille, représentant une jeune bergère surprise dans son sommeil par un faune. Il le considère avec étonnement.)

Madame Beaumont. Ha, ha! comment le trouvez-vous ? Verteuil. Fort bien, si Léonor l'a fait sans le secours de son maître.

Madame Beaumont. Véritablement, il l'a un peu retouché.

Verteuil. Je crois qu'il aurait pu mieux faire encore, en lui choisissant un sujet plus heureux, quelque trait de bienfaisance, une action vertueuse, qui aurait élevé son âme en perfectionnant son talent.

ver.

SCÈNE V.

Madame Beaumont, Verteuil, Léonor, Finette.

Finette, (à Verteuil.) Monsieur, vos malles viennent d'arriLes ferai-je porter dans votre appartement? Verteuil, (à Madame Beaumont.) Vous avez donc la bonté de me loger, madame ?

Madame Beaumont. Je m'en fais autant d'honneur que plaisir.

de

Verteuil. Je vous en remercie. Je vais donner un coup d'œil à mes affaires, et je reviens. (Il sort avec Finette.)

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SCÈNE VI.

Madame Beaumont, Léonor.

Léonor. Bon! le voilà dehors. Je respire.

Madame Beaumont. Doucement, doucement, Léonor; qu'il

ne puisse vous entendre.

Léonor. Qu'il m'entende s'il veut.

je briserais volontiers mon piano, et que je mettrais en pièces Je suis si piquée, que tous mes dessins et mes cahiers de musique.

Madame Beaumont. Calmez-vous donc, mon enfant, vous avez besoin ici de toute votre modération.

Léonor. C'est bien assez, je crois, de m'être retenue en sa présence. Ne l'avez-vous pas vu? Ne l'avez-vous pas en

tendu ?

Madame Beaumont. Les personnes de son âge ont leurs bi

zarreries.

Léonor. Pourquoi donc m'y exposer? Il ne fallait pas me faire chanter devant lui. Je ne le voulais pas. ce que c'est que d'en faire toujours à sa tête' comme vous. Voilà Mais il n'a qu'à y revenir.

Madame Beaumont. Ma chère Léonor, je vous en conjure.

Faire à sa tête, agir sans consulter personne.

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