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n'est-ce pas, dis-moi, une part assez belle et dor tu doives te contenter raisonnablement ?

André. Si vous n'aviez pas eu d'enfans, il y aurait eu plus d'illusion pour moi, et j'aurais pu me croire votre fils; mais ils sont là, entre nous, et l'objet de votre préférence.

M. Dumolard. Qu'est-ce à dire ? faut-il que je chasse mes enfans pour t'adopter, toi, un étranger! Je dirai ce mot positif, puisque tu tiens à ne pas l'écarter de ta pensée. En vérité, mon pauvre garçon, tu deviens fou avec tes exigences... Écoute, je ferai pour toi tout ce que je puis faire; me demander, ou vouloir ce qui n'est pas possible, c'est une extravagance qui dégénère en ingratitude. Je t'ai fait ton lot d'affection, complet autant qu'il pouvait l'être, tu ne t'en contentes pas!... Soit! retourne auprès de ton père, qui malheureusement n'a à t'offrir que la misère et l'obscurité; ton jeune frère prendra ta place; et je pense qu'il aura plus de raison, et qu'il ne se tourmentera pas à exiger l'impossible; tu pourras lui annoncer ma décision, et tu restes libre de quitter ma maison quand tu voudras.

André. Pardonnez-moi, monsieur, je n'ai pas voulu vous offenser.

M. Dumolard. Tu ne m'as pas offensé... Je satisfais seulement à ce que tu désires... Voici une bourse, André, que je destinais pour tes étrennes, j'ai pensé que cela te conviendrait mieux qu'un cadeau ordinaire, car tu as peut-être quelques dispositions à faire.

André. Je vous remercie, monsieur... Mais je ne saurais accepter, je vous ai déjà tant d'obligations...

M. Dumolard. Et elles te pèsent, n'est-ce pas, misérable orgueilleux! et, dans ton dur égoïsme, tu oublies ceux qui souffrent et que tu pourrais soulager. Tiens, lis cette lettre, et tu me répondras après.

SCÈNE X.

Les Précédens, Edouard, Eugénie, Paul, Fourniment. Fourniment, (tenant Paul sur ses épaules.) Au galop! au galop! hope!... Ah! j'espère que nous sommes joliment camarades maintenant.

André, (s'étant retiré dans un coin du théâtre, pendant que les autres interlocuteurs ont l'air de causer entre eux dans

'Locution qui exprime le reproche, l'étonnement

le fond.) C'est l'écriture de mon père! que peut-il écrire! lisons.

"Mon cher ami,

"C'est sur mon lit de douleur, où m'ont cloué le chagrin et la misere, que je vous écris ces mots; le malheur est bien acharné après moi, mais je ne saurais me plaindre des rigueurs du destin, puisqu'il m'a laissé pour consolation un ami tel que vous.

"C'est un grand service que vous m'avez rendu en prenant avec vous mon fils aîné; j'espère qu'André sait l'appré cier, et qu'il vous donne lieu d'être satisfait de sa conduite et de ses sentimens... Ah! qu'il ignore, le pauvre enfant, toutes les privations qui nous sont imposées; laissons le jouir du bien-être que vous lui procurez, car, mon ami, je vous avouerai que si nous avions sa part à prélever sur notre maigre pitance, nous sentirions, hélas! plus fortement l'aiguillon de la faim." (Il porte la main sur ses yeux et pleure.)

M. Dumolard, (reprenant la lettre.) Tu as lu, André, et je vois l'impression que cette lettre a produite sur toi.

André. Ah! monsieur... Mon pauvre père ! quels affligeans détails.

Eugénie, (lui prenant la main.) Vous avez du chagrin André ?

Edouard, (lui prenant l'autre main.) Mon cher André, j'a mal agi quelquefois avec toi, je veux que tu me pardonnes et je désire que tu sois toujours mon ami, ou plutôt mon frère, car c'est ainsi que je dois te considérer.

André. C'est moi, mes amis, qui ai de grands torts envers vous tous, et surtout envers vous, monsieur: j'avais la folie de taxer vos bontés. Je sens que je ne les mérite plus; mon frère, qui doit prendre ma place, saura mieux les apprécier. Quant à moi...

M. Dumolard. Oublions le passé... Je vous garderai tous deux.

Edouard. Vivat!

Eugénie. Mon bon petit père, je t'en aime davantage. André, (se jetant aux genoux de M. Dumolard.) Ah! mon. sieur, comment reconnaîtrai-je tant de génerosité?

Fourniment. Alors, nous gardons le petit moutard? tant mieux! car j'ai déjà un grand fonds d'amitié pour lui. Paul. Vous êtes bien bon, monsieur Chose.

Fourniment. Comment! monsieur Chose, tu me donnes là un beau nom de Baptême!

M. Dumolard. Tu n'as plus de raison pour refuser cet argent, André tu l'enverras à ton père sous ton nom, entends-tu ?

Fourniment. Allons, je suis content, pour mon compte, de voir les choses rapapillotées'... Je dirai donc, moi, avec ma franchise de vieux troupier, que, lorsqu'on reçoit un bienfait, il faut toujours s'en contenter, et ne pas en exiger un plus grand; et lorsqu'on vous donne un âne, ne pas exiger un mulet, parce qu'alors on devient mulet soi-même. Tenez, à propos de ça, je me rappelle un proverbe qui est bien vrai:

A cheval donné, on ne regarde point à la bride.

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L'ÉDUCATION A LA MODE.

COMÉDIE EN UN ACTE,

PAR BERQUIN.

[ARNAUD BERQUIN, né à Bordeaux en 1749, a écrit un grand nombre d'ouvrages pour l'instruction et l'amusement de la jeunesse. Son style est simple et facile, sa morale toujours pure. Il mourut à Paris en 1791.]

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La scène se passe dans un salon de l'appartement de Madame Beaumont.

SCENE PREMIÈRE.

Madame Beaumont, Verteuil.

Madame Beaumont. Non, monsieur Verteuil, je ne puis vous le pardonner. Pendant cinq ans vous n'êtes pas venu nous voir une seule fois, ni moi, ni votre pupille!

Verteuil. J'en conviens, madame; mais les devoirs de mon état, la faiblesse de ma santé, la crainte des incommodités de la route...

Madame Beaumont. Quinze lieues! voilà un grand voyage vraiment !

Verteuil. Très-grand pour moi, qui ne me déplace pas Mes infirmités ne me permettent pas plus de aisément. courir le monde, que d'espérer d'y faire encore un long sé jour.

Madame Beaumont. Et à quel motif devons-nous enfin cette héroïque résolution?

Verteuil. Au désir de voir les enfans de feu mon ami, Léonor et Didier.

Madame Beaumont. Ah! Léonor! Léonor! On devrait accourir, pour la voir un instant, des deux bouts de l'univers. Tant de talens! tant d'esprit!

Verteuil. Vous m'inspirez une bien forte envie de la connaitre. Où est-elle ? que j'aie le plaisir de l'embrasser. Madame Beaumont. Elle est encore à sa toilette.

Verteuil. Comment! à l'heure qu'il est! Et Didier, pour quoi n'est-il pas venu de sa pension chez vous pour m'attendre?

Madame Beaumont. Il était un peu tard hier lorsque vous m'avez fait annoncer votre arrivée. Les domestiques ont été fort occupés ce matin, et la femme de chambre n'a pu quitter un instant ma nièce.

Verteuil. Faites-moi le plaisir d'envoyer tout de suite chercher Didier. Dans l'intervalle, je monterai chez sa sœur. Madame Beaumont. Non, non, mon cher Verteuil; vous pourriez lui causer quelque saisissement, je cours la prévenir. (Elle sort.)

SCÈNE II.
Verteuil.

Verteuil. À ce que je vois, Madame Beaumont élève sa nièce, ainsi qu'on l'a élevée elle-même, à s'attifer comme une poupée, et à se tenir toujours en parade. J'espère, au moins, que ces frivolités ne lui ont pas fait négliger des soins plus essentiels !

SCÈNE III.

Madame Beaumont, Verteuil.

Madame Beaumont.. Vous allez la voir descendre dans un moment; elle n'a plus qu'une plume à placer.

Son

Verteuil. Comment! une plume. Et croyez-vous qu'une plume de plus ou de moins m'embarrasse beaucoup? impatience de me voir ne devrait-elle pas être aussi vive que la mienne?

Madame Beaumont. Aussi vive, certainement. C'est le désir qu'elle a de vous plaire...

Verteuil. Ce n'est peut-être pas au moyen de sa plume

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