Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

Le Théâtre représente un salon; à gauche est une porte ccnduisant dans le cabinet de M. Dumolard.

SCENE PREMIÈRE.

Fourniment, Edouard, André. (Au lever du rideau, Edouard et André sont assis séparément aux deux coins du salon, et sont occupés à lire.)

Fourniment, (à la cantonade, et sortant du cabinet de M. Dunolard.) Soyez sans inquiétude, mon capitaine... Tudieu! on voit bien que c'est demain le jour des étrennes; comme Vous voilà occupés... comme nous quand nous avions à passer la revue devant Au reste, c'est tout juste; et c'est l'empereur,

on se mettait sur son trente-six.'

Edouard. Eh bien! as-tu parlé à mon père?

Fourniment. Sans doute !... Accordé, mon jeune homme; j'ai enlevé ça d'assaut.'

Edouard. Oh! quel bonheur !

Fourniment. Oui; mais j'ai reçu mes instructions, et il d'hui notre première leçon d'équitation. C'est un bel et no

On se parait, on fesait de son mieux. 'J'ai obtenu tout ce que je désirais.

ble amusement, et j'espère que nous ferons de vous un gentil cavalier.

Edouard. Oh! je ferai tout ce que tu me prescriras... Il y a si long-temps que j'avais ce désir.

Fourniment. Eh bien! puisque ça vous tient tant,' je vais aller seller Jenny, et nous partirons.

Edouard. Que tu es complaisant, mon cher Fourniment, et que je t'aime !

Fourniment. Pardi! sans doute; je fais tout ce que vous voulez, et vous me cajolez. Au reste, c'est comme nous... lorsque nous allions défiler la parade, et qu'on voulait avoir quelque chose, on criait, vive l'empereur, comme des enragés. Edouard, (en riant.) Eh bien! vive Fourniment!

Fourniment. Tudieu! c'est la première fois qu'on me crie ça aux oreilles... mais c'est dommage, ça ne va pas comme vive l'empereur.

Edouard. C'est égal! je te le crierai tant que tu voudras, si tu veux aller tout de suite seller Jenny.

Fourniment. Petit flatteur!... Allons, j'y vais... Et vous, monsieur André, comme vous voilà embusqué dans un coin ; est-ce que vous ne voulez pas aussi apprendre à monter à cheval?

André. Moi, pourquoi faire?... je n'aurai jamais de chevaux à ma disposition.

Fourniment. Bah! qui sait?... il faut se dégourdir un peu, et ne pas toujours avoir l'air d'un conscrit.

André, (avec humeur.) Je vous remercie de votre compa

raison.

Fourniment. Il n'y a pas de quoi... Est-ce que ça vous fâche ?

André. Quand je me fâcherais... ma position ici vous autorise...

Edouard. Eh! laisse-le; tu vois bien que c'est un ours. Fourniment. Allons! allons! comme vous voudrez... Pas de rancune.

Edouard. Nous allons prendre ma sœur ; tu lui appren dras aussi à se tenir.

Fourniment. Eh bien! allez la chercher, et venez me reprendre en bas.

1 Puisque vous en avez si grande envie.
Cela ne vaut pas la peine d'en parler.

SCÈNE II.

André, (seul.)

Les voilà partis; tant mieux!... Je n'ai de bonheur que quand je suis seul... Quelle triste condition! vivre ainsi chez les autres, et comme par charité, c'est vraiment insupportable quand on a du cœur ; encore, si M. Dumolard, en m'élevant avec son fils, m'avait mis sur le même pied que lui... Il le dit bien, mais ce sont de belles paroles ; et il faut que je sois tous les jours témoin des préférences qu'on a pour Édouard, tandis que moi, je suis regardé comme un mendiant... Oh! cette idée me suffoque de honte et de rage... Eugénie est la seule qui paraisse me plaindre; ses manières sont bienveil lantes. Eh bien! cela m'aigrit encore davantage, car l'intérêt qu'elle me montre me rappelle que j'ai besoin qu'on me plaigne; il me fait souvenir que je n'ai ici aucun droit, aucune considération, et que je n'y suis souffert que par un sentiment de pitié.

SCÈNE III.

André, Eugénie.

Eugénie. Comment, monsieur André, vous n'allez pas vous promener à cheval avec mon frère?

donc, les voilà qui sortent...

André. Merci! merci! mademoiselle.

Mais dépêchez-vous

Eugénie. Et pourquoi ne pas chercher à vous amuser?
André. J'ai cru que cet amusement ne convenait

position.

pas à ma

Eugénie. Votre position! Pourquoi toujours parler de cela? N'êtes-vous pas traité ici comme nous? André, (avec un sourire d'amertume.) Oh!

fait...

pas tout à

Eugénie. Ce sont de folles idées qui vous tourmentent. Est-ce que mon père ne vous regarde pas comme son troisième enfant? est-ce qu'il n'a pas pour vous les mêmes soins? et n'a-t-il pas recommandé aux domestiques d'avoir pour vous autant d'égards que si vous lui apparteniez ?

André. Sans doute; je n'ai qu'à me louer des bontés de

votre père.

Eugénie. Dites le nôtre, puisqu'il vous a adopté.

André. Il y a toujours une différence... et le mien n'aurait jamais dû consentir à cet arrangement.

Eugénie. Il a éprouvé des malheurs, et restait chargé d'une nombreuse famille; mon père, qui l'avait eu pour ami, s'est chargé de vous; il vous élève, vous fait donner de l'éduca tion; il n'y a dans tout cela rien que de bien naturel; pour. quoi donc vous tourmenter?

André. J'aurais plus souffert chez mon père, mais au moins ma position n'aurait pas été fausse comme ici.

Eugénie. C'est vous qui la rendez fausse en repoussant notre amitié et nos carresses; que pouvons-nous faire de plus? André. Oh! je n'exige rien; je me soumets à mon sort tel qu'il est.

Eugénie. En vérité, monsieur André, je crois que vous avez un mauvais caractère.

André. C'est possible, mademoiselle; cela ne m'empêche pas de vous remercier de l'intérêt que vous avez la bonté de me témoigner.

Eugénie. Allons, ne nous fâchons pas ; je vous aime, quoique vous soyez un peu maussade... Ah ça, c'est demain le premier jour de l'an; voyons, monsieur, que me donnerezvous pour mes étrennes ?

André, (vivement.) Des étrennes!... Vous badinez... est-ce que dans ma position...

Eugénie, (avec impatience.) Encore sa position! Quand donc vous déferez-vous de cette sotte habitude ?... Oui, monsieur, des étrennes; je veux que vous m'en donniez; Édouard n'y manque pas, lui... N'êtes-vous pas comme nous ? notre frère, enfin.

André, (avec un sourire amer.) C'est trop de bonté.

Eugénie. Vous êtes impatientant, avec votre bonté; dé. faites-vous donc de cette raideur, de cet air gourmé qui vous rendent ridicule... Mais je n'oublie pas ce que je vous disais: je vous ai préparé votre cadeau, moi; ainsi, je compte que vous me ferez le vôtre, ne füt-ce qu'une poupée de deux sous ou un bonhomme de pain d'épice.

André, (avec aigreur.) Vous faites bien de remarquer que je ne suis pas en état de vous donner quelque chose de prix. (A part.) Toujours des affronts !...

Eugénie. Est-ce que je dis cela? vous me donnerez; je ne veux qu'un tié, quelqu'il soit, et je serai contente.

Que m'importe ce que souvenir de votre ami

1Être en état de, avoir le pouvoir de.

Andre, (avec affectation.) Eh bien! je vous achèterai une poupée de deux sous, puisque vous voulez bien vous contenter de cela; cette dépense ne sera pas hors de proportion avec mes moyens. (Il sort.)

SCÈNE IV.

Eugénie, ensuite M. Dumolard.

Eugénie. Quelle sotte susceptibilité!... Il croit pourtant que j'ai voulu l'humilier; c'est à perdre toute patience. M. Dumolard. Qu'as-tu, mon Eugénie? tu parais bien vivement agitée.

Eugénie. C'est ce fou d'André qui me met en colère.
M. Dumolard. Comment cela?

Eugénie. On ne sait comment le prendre; on a beau' lui faire de l'amitié, il est toujours réservé, soupçonneux, et toujours il a l'air de penser qu'on veut lui faire sentir les services que tu lui rends.

M. Dumolard. Tu n'as pas oublié, j'espère, mes recommandations? cet enfant est ici dans une position délicate, et qu'il sent; je veux qu'on ait pour lui tous les ménagemens possibles: déjà j'ai repris ton frère pour n'avoir pas respecté mes volontés: je pense que tu n'es pas tombée dans le même

cas?

Croirais-tu

Eugénie. Non, papa; j'aime bien André, au contraire, et je voudrais qu'il fut avec moi comme Édouard. que je n'ai jamais pu le faire arriver à me tutoyer?

M. Dumolard. Sa fierté a quelque chose de naturel et qu'on ne saurait trop blâmer; cependant, si on ne lui donne

pas lieu de s'offenser...

Eugénie. Ce n'est pas fierté, c'est je ne sais quel excès d'amour-propre qui le fait souffrir de ne pas être réellement ton fils, et le fait rougir de la condition où le place ta bienfaisance; enfin, je crois que lui-même n'est pas bien sûr de

ce qu'il veut.

M. Dumolard. C'est un petit sot, alors... et je présume qu'avec un amour-propre si farouche, il ne me sait aucun gré de ce que je fais pour lui.

Eugénie. Je n'en sais rien.

M. Dumolard. Je n'insiste pas sur ta façon de penser....

'On a beau, c'est en vain que.

Savoir gré, être satisfait, reconnaissant.

« PreviousContinue »