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Victor. Ii me semble pourtant que tous nos amis s'y trou

vent.

Madame Duservant. Je n'y vois pas les deux Durand. Victor. Oh! ceux-là, nous nous passerons bien d'eux ;' et puis ils ne sont pas faits pour se trouver avec nous... Des enfans d'épicier!

Madame Duservant. Qu'est-ce à dire ... Vous avez donc une opinion bien élevée de votre position pour rabaisser ainsi les autres ?

Caroline. Mon frère entend, ma chère maman, que tu nous as imposé de ne fréquenter3 que les personnes de notre

rang.

Madame Duservant. Moi, j'entends seulement par là celles qui ont des sentimens honorables, et dont la conduite est exempte de reproches. Je n'ai jamais prétendu vous donner une leçon d'orgueil. Les jeunes Durand se font distinguer par leur mérite: c'est la seule chose qu'il faille voir en eux. Ce sont tes camarades de classe, Victor, et par conséquent tes égaux. Tu es donc bien ridicule, à ton âge, d'aller chercher des distinctions extravagantes qui n'appartiennent qu'aux petits esprits ou à une folle ambition.

Victor, (d'un air contraint.) Je vais réparer mon oubli en leur adressant une lettre. (Il se met à écrire.)

Madame Duservant. Je te sais gré de cette déférence à mes observations; mais je voudrais croire que tu es convaincu de leur justesse.

Caroline. Mon frère en est touché comme moi, j'en suis sûre; je me charge de les lui rappeler s'il les oublie.

Victor, (à part.) Oui! viens faire ta prude,' et tu verras comme je te recevrai. (Haut.) Ma chère maman, c'est un trop beau jour aujourd'hui pour être grondé; je tâcherai de ne plus te mécontenter.

Madame Duservant, (les embrassant.) C'est bien, mes en fans, je suis heureuse de vous voir aussi soumis. Mais écoutez-moi, j'ai encore quelques recommandations à vous faire. Vous avez eu le désir de donner une petite soirée à vos amis, je vous ai laissé toute liberté pour cela, je vous abandonne ce salon, et j'ai mis mes domestiques à vos ordres; vous allez donc agir en maîtres de maison; mais je suis cu

'Nous supporterons bien leur absence.

2 Qu'est-ce que cela signifie? Expression de blâme.

Hanter, voir souvent.

Je te sais gré, je suis satisfaite, je te remercie.
Prude, qui affecte un air sage.

J

rieuse de savoir comment vous allez vous comporter: ce n'est pas peu de chose, de faire les honneurs d'un salon.'

Caroline. Oh! maman, sois tranquille, nous saurons bien nous en tirer, si Victor surtout veut me laisser faire.

Victor. Oui, cela ira à merveille pourvu que Caroline ne se mêle pas de faire sa Marie j'ordonne.

Madame Duservant. Vous n'êtes pas déjà d'accord; j'ai grand peur que vos pauvres invités n'aient à souffrir de votre humeur, si vous ne savez pas mieux vous concilier. Toi, Victor, je te connais un peu taquin, n'aimant guère à céder, et Caroline mérite qu'on lui reproche ses petits airs prétenfieux et son ton tranchant.' Tâchez au moins de soumettre vos caractères à l'obligation que vous contractez d'être aimables, car lorsque nous recevons des amis, nous devons entièrement nous oublier pour eux, et sacrifier nos propres plaisirs à leur agrément.

Victor. Tu verras, ma chére maman, qu'ils seront tous contens de nous.

Madame Duservant. Allons, comme je vous l'ai dit, je le désire; et pour que vous méritiez mieux ma confiance, je m'engage à vous laisser maîtres absolus.

Victor. Oh! c'est charmant! Vite! je vais envoyer mes lettres, et ensuite m'habiller. (Il sort.)

Madame Duservant. C'est principalement sur toi, ma fille, que roulent les soins que je vous prescris de remplir. Ton sexe te commande d'être gracieuse et prévenante, de veiller ce que rien ne manque, à avoir enfin mille petites attentions dont les détails nous appartiennent.

à

Caroline. Oh! tu verras! N'ai-je pas eu d'ailleurs un excellent modèle sous les yeux ?

Madame Duservant. Je ne te demande pas de me flatter, ma fille: tu me feras plus de plaisir en agissant convenable

ment.

Caroline, (l'embrassant.) Chère maman, je te le promets. Madame Duservant. C'est bien. Va donner tes ordres a Marguerite; dès ce moment tu es la maîtresse, et songe ensuite à ta toilette, car il faudra que tu sois ici, ainsi que ton frère, pour recevoir votre monde.

Caroline. Oui, maman, j'y vais. Oh! que je suis heureuse! (Elle sort en courant.)

'Faire les honneurs, recevoir poliment.

"Nous saurons bien faire les choses comme il faut.

Ton tranchant, décidé, péremptoire.

LA SOIRÉE.

SCÈNE II.

Madame Duservant, seule.

Oui! elle est heureuse, mais c'est moins du plaisir de recevoir ses amis, que de l'occasion de se donner de l'importance. Je ne serais pas fâchée qu'il se présentât quelque occasion de rompre un peu sa petite vanité: cette soirée me la fournira sans doute, et j'ai eu mon but en satisfaisant leurs désirs; mais on vient.

SCÈNE III.

Madame Duservant, M. Lebreton.

Madame Duservant. Ah! c'est vous, mon cher Lebreton? M. Lebreton. Je vous présente mes hommages, madame.... Mais dites-moi, votre fils est donc bien affairé aujourd'hui, car il vient de passer à côté de moi sans me faire la moindre politesse.

Madame Duservant. Je vous prie de l'excuser.... Il est vrai que mes enfans sont aujourd'hui en grand émoi, et vous arrivez à merveille, mon cher ami, car, bien qu'il y ait chez moi grande réunion ce soir, je serai seule, et je vous retiens pour me tenir compagnie.

M. Lebreton. Mais c'est une énigme que vous me proposez à deviner: comment expliquez-vous cela?

Madame Duservant. Rien de plus simple: mes enfans donnent une soirée, je veux entièrement les abandonner à euxmêmes pour voir comment ils s'en tireront, et s'ils feront bien les honneurs à leurs amis; c'est une épreuve que j'ai tenté

de faire.

M. Lebreton. Vous avez une excellente idée, et il devrait entrer dans l'éducation de façonner à l'avance les jeunes gens avec les devoirs familiers qu'ils auront à remplir.

Madame Duservant. Cependant, je vous avouerai que j'ai quelque crainte que l'épreuve que je fais ne réponde pas en résultat à ce que je désire.

M. Lebreton. Pourquoi done?

lent naturel.

Vos enfans ont un excel

Madame Duservant. Sans doute! leur caractère est bon, mais ils ont aussi certains défauts qui leur nuiront dans cette irconstance; je l'appréhende.

M. Lebreton. Espérons le contraire... Ah ça, vous refusez donc d'avoir l'œil sur tout ce qui se passera, et vous abandonnez ces jeunes têtes à elles-mêmes?

Madame Duservant. Je l'ai promis; cependant je voudrais être à même de tout voir sans me montrer.

M. Lebreton. Je le conçois... Il y aurait peut-être quelque

moven.

Madame Duservant. Voyons, cherchez...

M. Lebreton. Parbleu! il me vient une excellente idée. Madame Duservant. Vraiment !... dites-la moi bien vite. M. Lebreton. Oui! ce projet aurait quelque chose de piquant... Ce serait de...

Madame Duservant. Silence! on vient...

SCÈNE IV.

Les Précédens, Victor, Caroline, Marguerite.

Caroline. Maman, Victor est bien insupportable, il veut retenir Marguerite, tandis que j'ai besoin d'elle pour m'habiller.

Victor. Mais il faut que Marguerite range le salon d'après mes ordres; il est bientôt temps, car nos invités ne tarderont pas à venir.

Caroline. Arranger le salon! tu t'entends joliment à cela: ce serait du beau! C'est moi que ça regarde ; je dirai à Marguerite ce qu'il faut faire pendant qu'elle m'habillera; cela ne demandera pas beaucoup de temps.

Victor. C'est le principal, n'est-ce pas, maman?

Madame Duservant. Mes enfans, cela ne me regarde pas: je vous ai laissés maîtres d'agir comme bon vous semblera pendant cette soirée, arrangez-vous, je ferai après mes observations.

Caroline. Comme je suis l'aînée, c'est à moi de commander; ainsi, Marguerite, suivez moi.

Victor. Je ne reconnais pas ton aînesse, c'est aux hommes qu'appartient la supériorité, ainsi, Marguerite, je vous ordonne de rester.

M. Lebreton, (avec malice.) À merveille! il faut avoir le sentiment de ses droits, de sa dignité; il te manque encore une vingtaine d'années pour faire un homme.

1 À même de, en état, en po avoir.
"Cela me concerne.

P

Mais aux âmes bien nées,

La vertu n'attend pas le nombre des années

Marguerite. Avec tout ça, je reste là le bec dans l'eau.' Caroline, (lui prenant le bras.) C'est avec moi que tu dois venir.

Victor, (l'arrêtant par l'autre bras.) Je t'ai dit de rester. Marguerite. Doucement! doucement! si ça continue, ils vont m'emporter par pièces et par morceaux.

Madame Duservant, (froidement.) Je vous avertis qu'il est sept heures, et que vos invitations sont pour huit.

Caroline. Oh! mon Dieu! mon Dieu! quel entêtement; je ne serai jamais prête.

Victor. Le salon ne sera pas en ordre.

Madame Duservant. Passons dans mon appartement, Lebreton, et laissons les maîtres de s'arranger dans ce salon. M. Lebreton. Je vous suis. (Ils sortent.) Caroline. C'est vraiment insupportable! Victor. C'est un entêtement affreux! Caroline. Je vous conseille de parler.

Victor. Voyons, Marguerite, ne l'écoutons pas, et com

mençons.

Caroline, (pleurant.) Quelle indignité! Comment voulezvous que je me montre sans être habillée ?

Marguerite. Quant à moi, je ne vous obéirai à l'un ou à l'autre, que lorsque vous serez d'accord.

SCÈNE V.

Les Précédens, Baptiste.

Baptiste. Monsieur Victor, toutes vos lettres sont remises; vos amis ont promis de se rendre à votre fête, ainsi, vous ne tarderez pas à les voir,

Marguerite. Je leur conseille d'envoyer d'autres lettres pour les prier de rester chez eux, car, du train qu'ils vont... Victor. C'est bien, on ne te demande pas tes avis... Puisque Baptiste est là, il va rester avec moi, et je te permets

d'aller avec ma sœur.

Marguerite. Ce n'est pas malheureux que monsieur nous permette!...

On me fait attendre, on m'amuse de belles paroles.

De la manière qu'ils vont.

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