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janvier et février, attendant avril, auquel le roi d'Espagne devoit partir de Madrid pour amener l'Infante. En effet, le 27 de décembre la cour fut de Toulouse coucher à Villefranche; puis par Castelnaudary à Carcassonne, d'où elle prit le chemin de Béziers et Montpellier, comme on verra l'année prochaine.

PAIX GÉNÉRALE.

[1660] Nous avons laissé, sur la fin de l'année dernière, la cour à Carcassonne: elle en partit le second jour de cette année, et par Béziers elle fut passer les Rois à Montpellier, où elle séjourna trois jours; puis elle fut coucher à Lunel, et le 9 à Nîmes, d'où le Roi ayant été voir le pont du Gard et les Arènes, deux antiquités curieuses, il en repartit, et fut passer le Rhône à Beaucaire, et coucher à Tarascon. Le lendemain 13, il fit son entrée dans Arles, sans cérémonie; et le 16 il prit le chemin d'Aix par Salon; de là, à Crau. Il arriva le 17, et y reçut les respects du corps de ville et de la cour de parlement. Il attendit en ce lieu des nouvelles de Rome, où il avoit dépêché Bartet, secrétaire du cabinet de Nîmes, pour porter au Pape deux lettres, une de lui, et l'autre du roi d'Espagne, par lesquelles ils lui faisoient part de la paix qu'ils avoient faite entre eux, et lui demandoient dispense pour le mariage du roi Très-Chrétien avec l'infante Thérèse, sa cousine germaine. A son arrivée à Rome, il alla trouver le cardinal Antoine, lequel assembla tous les cardinaux de la faction française, et leur communiqua les

ordres du Roi. Don Louis-Ponce de Léon, ambassadeur d'Espagne, assembla aussi chez lui ceux de la faction espagnole; puis les deux partis s'étant abouchés, ils envoyèrent demander audience au Pape, laquelle leur fut accordée. Ce jour-là, le cardinal Antoine partit de son palais avec les cardinaux du parti de France, et l'ambassadeur d'Espagne avec ceux de sa faction en fit de même (tous deux avec de grands cortéges de carrosses), et arrivèrent au palais du Pape, où ils lui présentèrent les lettres de Leurs Majestés. Sa Sainteté les reçut avec grande démonstration de joie ; et quoiqu'il fût un peu piqué de ce que cela s'étoit fait sans sa participation, il n'en témoigna rien; et au contraire ayant accordé la dispense, il fut en procession avec tous les cardinaux à Sainte-Marie de la Paix, où il dit la grand'messe, pour remercier Dieu de la réconciliation des deux Rois. Le cardinal Antoine, pour faire voir qu'elle étoit entière, fit un grand festin, où il convia le cardinal Chigi, neveu du Pape et ambassadeur d'Espagne, avec les cardinaux des deux factions, où on but à haute voix aux santés de Leurs Majestés Très-Chrétienne et Catholique, et à celles de leurs familles royales; puis Bartet fut renvoyé avec la dispense.

Durant le séjour du Roi à Aix, le prince de Condé y arriva. Dès qu'il eut nouvelle de la conclusion de la paix, il se disposa pour revenir en France; et ayant fait savoir son dessein au marquis de Caracène, gouverneur des Pays-Bas, il partit de Bruxelles accompagné de ce marquis, qui le fut conduire une lieue hors de la ville; et ayant pris congé de lui, il continua son voyage avec la princesse sa femme et le duc

d'Enghien son fils, regretté de tous les peuples des Pays-Bas, qui conservèrent pour lui une extrême vénération. Il ne voulut point passer à Paris, parce qu'il ne désira voir personne, qu'il n'eût auparavant salué le Roi; et ayant pris le chemin de Soissons, il alla trouver le duc de Longueville son beau-frère à Coulommiers, où il se reposa quelques jours; et de là il prit la route de Provence, ne voulant recevoir durant son chemin aucun compliment ni harangue dans les villes où il passa. Il arriva le 28 de janvier à Aix, où il fut descendre chez le cardinal Mazarin, avec grande mortification d'être obligé par nécessité de se soumettre à lui, après les choses qui s'étoient passées entre eux : mais il fallut que sa grande fierté et son courage hautain shumiliât en cette occasion, et qu'il fléchît le genou devant l'idole que tout le monde adoroit en France. Le cardinal le mena chez la Reine, où étoit le Roi, devant lequel il mit un genou en terre, et lui demanda pardon de ce qu'il avoit fait contre son service. Le Roi se tint fort droit, et le reçut très-froidement, et la Reine aussi. Le lendemain, le cardinal lui donna à dîner; puis ayant demeuré peu de jours à la cour, où il jouoit un assez méchant personnage, il en repartit pour aller à Paris, où il y avoit huit ans qu'il n'avoit été. En retournant, il reçut les complimens dans les villes, parce qu'il avoit vu le Roi; et dès-lors il résolut de vivre comme un particulier, sans se mêler de rien, et d'avoir une souplesse et une complaisance entière pour la cour et les favoris.

Le duc de Mercœur ayant eu de grands démêlés avec la ville de Marseille pour l'élection des consuls, T. 51.

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fut soutenu du Roi comme gouverneur de Provence, et encore plus comme ayant épousé la nièce du cardinal Mazarin. Ce duc avoit conservé une animosité contre cette ville, parce qu'elle avoit tenu le parti du comte d'Alais contre lui; et il poussa si loin son ressentiment, qu'ayant trouvé de la résistance au peuple pour faire les consuls, qu'il vouloit choisir à sa mode (ce que le peuple ne pouvoit souffrir, voulant se maintenir dans le droit d'une élection libre), il fit envoyer des troupes de la part du Roi, qui démolirent une des portes de la ville, sur laquelle il y avoit un éloge de Henri iv, à la fin duquel il y avoit ces mots : Sub cujus imperio summa libertas, lesquels on fit passer pour séditieux, quoique ce grand prince n'y eût jamais trouvé à redire. Ensuite on traça une citadelle à l'entrée du port sur une hauteur, de l'autre côté de la ville, pour la tenir en bride.

Le Roi ayant séjourné quinze jours à Aix, fut coucher le 4 de février à Saint-Maximin; le 5, il fut visiter la Sainte-Baume, et recoucher au même lieu. Le 6, il logea dans le château de Soliers, et le 7 il arriva à Toulon, où il fut visiter le port et les galères, dans lesquelles il se fut promener, et y fit mettre en liberté tous les forçats espagnols, napolitains, siciliens et autres, sujets du roi d'Espagne. Il reçut en ce lieu la nouvelle de la mort de M. le duc d'Orléans son oncle, arrivée le 2 de février à Blois, après sept jours de fièvre continue. Son corps fut porté à Saint-Denis, et toute la cour en prit le grand deuil. Le 19, Leurs Majestés, après avoir visité la côte d'Hières, toute couverte d'orangers, furent coucher à Bavienci, le 20 à Brignoles; et le 23 elles

retournèrent à Aix, d'où elles furent voir Marseille le 2 de mars, et y entrèrent par une brèche faite exprès. Les habitans les recurent avec une grande consternation, étant abattus du traitement qu'ils recevoient. Le Roi fut voir la nouvelle citadelle et le port, puis le 8 il retourna coucher à Aix, d'où il envoya Bartet, nouvellement revenu de Rome, porter à Madrid la dispense du Pape pour le mariage du Roi avec l'Infante, afin qu'il n'y eût plus aucun empêchement pour achever ces noces, souhaitées de toute la chrétienté.

Après que le Roi eut visité les principales villes de Provence, il reçut nouvelle que le roi d'Espagne devoit partir de Madrid au mois d'avril, pour amener l'Infante sur la frontière de France. Comme le printemps approchoit et qu'il n'y avoit point de temps à perdre, il partit d'Aix le 16 de mars, et arriva le 18 en Avignon, où il fut reçu avec de grands honneurs. Durant son séjour en cette ville, il envoya le maréchal Du Plessis avec des troupes pour investir Orange, place bien fortifiée, appartenant au prince d'Orange; il prit son prétexte sur le différend survenu entre les princesses, mère et grand'mère du prince mineur, pour sa tutèle, dont Sa Majesté vouloit être l'arbitre, et pour ce sujet désiroit que la place fût remise entre ses mains. Il envoya sommer le comte d'Onau d'en sortir; et sur son refus il la fit attaquer. Ce gouverneur fit mine de se défendre: mais ne voyant point d'espérance de secours, et surpris de la présence d'un roi puissant et victorieux, il lui rendit la ville et la citadelle. Alors le Roi fut médiateur sur le démêlé entre les deux princesses; et ne voulant pas souffrir

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