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l'état de la ville. Ils lui rapportèrent que ceux de son intelligence s'étoient saisis des portes et du gouverneur, et des principaux officiers espagnols, qu'ils avoient vus eux-mêmes en prison; et qu'ils l'attendoient pour le recevoir dans la ville. Il descendit des vaisseaux sur cette nouvelle, et marcha droit à Ostende avec ses troupes; mais quand il fut fort près, et qu'il ne vit personne venir au devant de lui, il eut quelque soupçon, et avec raison: car aussitôt toute l'artillerie de la ville déchargea sur lui, et quantité de troupes sortirent, qui coupèrent le chemin qui étoit entre lui et la mer, pour l'empêcher de regagner ses vaisseaux. Se voyant ainsi investi de tous côtés, il n'eut point d'autre parti à prendre que de se rendre prisonnier de guerre avec ses troupes. Les Espagnols jouèrent bien leur personnage; car ils firent voir effectivement, aux Français qui allèrent reconnoître, des officiers prisonniers qui s'y étoient mis exprès pour se moquer, et faire tomber le maréchal d'Aumont dans le piége, comme il fit.

Cette campagne avoit si mal débuté pour la France par la révolte de Hesdin et la prise du maréchal d'Aumont, qu'il sembloit que ce devoit être un mauvais augure de la suite; mais l'événement fit voir tout le contraire, puisqu'elle a été la plus glorieuse pour elle qui eût été depuis le commencement de la guerre. Le Roi partit dès la fin d'avril de Paris, et s'avança jusqu'à Amiens, menant avec lui la femme de Fargues pour l'intimider, et lui faire craindre le mauvais traitement qu'elle pourroit recevoir s'il ne se remettoit dans son devoir. Elle demanda à parler au cardinal à Amiens; et dans l'envie qu'elle avoit de sortir

de prison, elle lui dit qu'elle étoit au désespoir de ce que faisoit son mari; et que si elle avoît parlé à lui, elle l'empêcheroit de pousser cette affaire plus loin, et le rameneroit à la raison. Elle fit si bien qu'elle le persuada; et il l'envoya sur sa parole à Hesdin avec ses enfans, où dès qu'elle fut arrivée elle entra dans les sentimens de son mari, et ne fit point de réponse. Le cardinal se voyant attrapé, s'imagina que la présence du Roi feroit quelque impression dans l'esprit des Français qui étoient en garnison dans cette ville, lesquels se révolteroient à sa vue contre leurs chefs, et les livreroient à Sa Majesté. Dans cette pensée, il fit partir le Roi d'Amiens pour aller à Abbeville, d'où le 19 de mai il fut coucher dans un château proche de Hesdin, qu'il envoya sommer; mais on ne lui répondit qu'à coups de canon : ce qui piqua tellement l'esprit du Roi, qu'il s'en ressouvint depuis; et cela coûta la vie huit ans après à Fargues, qui fut pendu à Abbeville pour un sujet qu'on chercha tout exprès.

Le Roi voyant qu'il n'y avoit rien à espérer de ce côté-là, fut coucher le 20 à Montreuil, le 22 à Boulogne, et le lendemain à Calais, attendant des nouvelles du maréchal de Turenne, qui étoit parti le 18 d'Auchi-les-Moines avec l'armée, et avoit passé le 20 la Lys à Saint-Venant et à Merville, où il apprit qu'il avoit cinq cents hommes dans Cassel, des régimens d'Yorck et de Munseri. Il y envoya le marquis de Créqui pour les attaquer: ce qu'il fit si vigoureusement qu'il emporta cette petite ville, et prit ce qui étoit dedans prisonnier de guerre. Ensuite il rejoignit l'armée à Haesbrouck, d'où le maréchal de Turenne s'approcha de Bergues-Saint-Vinox, qu'il alla recon

y

noître; et ayant aperçu que les écluses étoient levées par ceux de Dunkerque, et que le pays d'alentour étoit inondé, il prit un détour; et s'étant emparé d'une redoute sur la colline, il la passa, et arriva au fort de Mardick, d'où il investit Dunkerque le 25 de mai par terre, durant que la flotte anglaise le boucloit par mer. Dès que le Roi en eut nouvelle, il vint à Mardick avec le cardinal Mazarin pour voir le siége. Le 27, quatorze officiers espagnols, qui se vouloient jeter dans la place, furent pris, et envoyés à Calais; et dès que la circonvallation fut achevée, on ouvrit la tranchée la nuit du 4 au 5 de juin par trois endroits, deux par les Français, et l'autre par les Anglais. A la pointe du jour, les assiégés firent une grande sortie avec cavalerie et infanterie, qui fut bien repoussée. Le 7, ils en firent une autre qui eut un pareil événement, dans laquelle le comte de Guiche eut la main droite percée d'un coup de mousquet. Don Juan d'Autriche ne voulant pas laisser perdre cette place sans tenter de la secourir, tint le 3 de juin un grand conseil à Ypres,, avec le prince de Condé et les principaux de l'armée espagnole, où il fut résolu de tout hasarder pour sauver Dunkerque. Suivant cette résolution, il passa le canal de Furnes, et se campa de l'autre côté, attendant que son canon fût venu. Ce fut contre l'avis du prince de Condé, qui eut dispute pour ce sujet contre don Juan, lui faisant voir qu'ils n'étoient pas en sûreté, n'ayant pas assez de terrain pour se mettre en bataille, et lui prédisant ce qui arriva depuis. Le maréchal d'Hocquincourt, avec cette valeur peu considérée qu'il a eue toute sa vie, s'avança le 12 de juin fort proche des lignes pour les recon

noître, où il fut salué d'une décharge de mousquets d'un corps de garde de Suisses, dont il fut tué. Le maréchal de Turenne voyant les Espagnols passés deçà le canal de Furnes, et qu'il n'y avoit rien entre eux et les lignes, appréhenda qu'ils ne se retranchassent proche de lui, et ne le tinssent continuellement en alarme, et qu'une nuit ils ne l'attaquassent à l'impourvu, et secourussent Dunkerque. Les exemples d'Arras et de Valenciennes lui revenoient dans la pensée; et pour éviter un pareil inconvénient, il prit résolution de sortir des lignes, d'aller à eux, et de leur donner bataille avant que leur canon fût arrivé. Il voulut rendre la déférence à milord Lockart, qui commandoit les Anglais, de lui dire sa pensée et d'avoir son avis; et lui manda qu'il le prioit de venir en son quartier, pour lui faire entendre la raison qu'il avoit de vouloir sortir des lignes et donner bataille. Lockart lui fit savoir qu'il alloit faire sortir des lignes les Anglais, selon son ordre; et que pour les raisons qu'il avoit de combattre, il les apprendroit quand la bataille seroit donnée. Le soir du 13, toute l'armée sortit de la circonvallation à l'entrée de la nuit, afin que les Espagnols n'en eussent point de connoissance; et le maréchal de Turenne l'ayant fait mettre en bataille, marcha droit à eux. A la pointe du jour, ils virent les hauteurs des dunes couvertes de troupes; et aussitôt ils se hâtèrent de se mettre en bataille. Les Français s'étoient mis en lieu avantageux; mais les Espagnols se trouvèrent si serrés entre la mer et le marais, qu'ils ne purent bien se mettre en ordre. L'aile gauche des Français, qui étoit sur les dunes, étoit commandée par le marquis de Castelnau, où

Varennes étoit à la première ligne, et le comte de Schomberg à la seconde. Le marquis de Créqui commandoit l'aile droite devers le marais et les canaux ; Bussy-Rabutin étoit à la tête de la cavalerie de la première ligne, avec le marquis d'Humières; et Gadagne, de l'infanterie. Esquencourt commandoit la cavalerie de la seconde ligne, et Bellefond l'infanterie; le marquis de Richelieu étoit au corps de réserve. Le prince de Condé étoit à l'aile gauche des Espagnols, don Juan à la droite, et le marquis de Caracène au milieu, avec les ducs d'Yorck et de Glocester, et le prince de Ligne. Le canon des Français commença à jouer tout seul, car les Espagnols n'en avoient point; et ayant fait quelque ouverture dans leurs troupes, les Anglais en faisant de grands cris montèrent sur les dunes, et attaquèrent l'infanterie espagnole, dont ils défirent sept régimens. Le comte de Ligneville, avec les Lorrains qui les soutenoient, chargea la cavalerie espagnole de l'aile droite, et la renversa. Le marquis de Créqui donna dans l'infanterie du prince de Condé, et la mit en désordre. Dès qu'elle eut fait sa décharge, la cavalerie de ce prince se battit vaillamment; mais un bataillon de Suisses lui ayant fait une salve de fort près, elle fut ébranlée; et Gadagne avec l'infanterie, et Bussy avec la cavalerie, achevèrent de la mettre en désordre. Alors les Espagnols de tous côtés prirent la fuite, d'autant plus facilement qu'ils n'avoient point de bagage. Beaucoup se noyèrent dans le canal de Furnes, et la bataille fut pleinement gagnée par les Français, qui prirent prisonniers Boutteville, le prince de Robèque, Coligni, Romainville de Roche, et le comte de Meille,

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