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la science de Dieu et de l'homme. Son intelligence rayonna de cette immense splendeur qui, se reflétant dans ses immortels écrits, depuis quatorze siècles n'a jamais cessé d'éclairer l'Église et le monde. Il en a été de même de saint Thomas. Loin d'avoir rien perdu de l'éclat de son génie à s'en tenir aux révélations divines avec la simplicité d'un enfant, c'est à cet esprit de foi, qui fait le fond de son savoir, qu'il doit l'abondance de ses lumières, la force de ses raisonnements, l'assurance de ses intuitions, la fécondité et l'utilité de ses travaux. Et Bossuet lui-même, est-ce qu'il aurait été ce qu'il a été, s'il n'était pas croyant, s'il n'était pas chrétien ? N'est-ce pas par l'étude des saintes Écritures et des Pères qu'il a développé son génie? N'est-ce pas aux sources de la foi qu'il a puisé son élévation, sa grandeur et ses lumières?

Nous allons encore plus loin, et nous osons affirmer, sans crainte d'être démenti, que Platon, Aristote et Cicéron eux-mêmes, ne doivent qu'à un reste de foi aux traditions ce qu'ils ont écrit de plus beau, de plus élevé sur Dieu, sur l'âme, sur les récompenses et les peines éternelles de l'autre vie, et même sur la chute de l'homme et la nécessité d'en être relevé par une main céleste. Car tout cela, ils ne l'ont pas découvert, ils ne l'ont pas appris en raisonnant; mais ils l'ont connu en consultant les croyances populaires. Tout cela était cru par tous les peuples; tout cela était de la lumière de la révélation primitive qui, par la tradition, luisait par tout le monde, et éclairait tout homme venant dans ce monde. C'est lorsqu'ils n'ont fait que développer ces croyances immortelles, qu'ils

ont été éloquents, et même sublimes; et, au contraire, lorsque, en mettant les traditions de côté, ils n'ont consulté que leur propre raison, ne se sont rapportés qu'à leur raison, ils sont devenus petits, obscurs, incertains, en contradiction avec eux-mêmes. C'est que la seule philosophie religieuse est toujours jeune, sublime, féconde, intéressante, parce qu'elle s'inspire de la vérité de Dieu, qui est tout cela. Tandis que toute philosophie se formant en dehors de la religion est sans séve, sans racines, sans base, et dès lors est stérile, sans consistance, sans durée, et porte, dans sa nullité, l'arrêt de sa mort.

En parcourant donc l'histoire de l'esprit humain, de la philosophie ancienne et moderne, le fait le plus certain, le plus évident, le plus constant et le plus universel qu'on y apprend, est celui-ci : Que la raisou humaine, lorsqu'elle a voulu marcher seule, n'a détruit aucune erreur, n'a inventé, retrouvé, affermi aucune vérité; a été petite, stérile, doutant de tout et ignorant tout; et que, au contraire, c'est lorsqu'elle s'est appuyée sur la foi aux révélations divines qu'elle a été grande, élevée, féconde; a développé toute vérité, a terrassé toute erreur, a fait progresser la science, a agrandi les limites de l'esprit humain, et a bien mérité de l'homme et de la société. Nous défions tous les hommes sérieux, se connaissant un peu en systèmes philosophiques, de nier ce fait.

Or, c'est sur ce fait incontestable que nous avons insisté, dans le combat que, dans nos Conférences, nous avons livré à l'erreur du jour, le rationalisme. En parcourant les plus grandes thèses de la religion

qui sont aussi les thèses les plus importantes pour l'humanité, nous ne faisons qu'indiquer à la raison son isolement de la foi, comme la cause de tous ses égarements, de sa misère, de sa stérilité, de son impuissance, de sa dégradation, de son anéantissement; et, au contraire, nous ne faisons que lui présenter la soumission à la foi comme la première condition, la condition indispensable de sa richesse, de sa grandeur, de sa force, de son élévation, de sa fécondité. Or peut-on, sans injustice, nous accuser pour cela d'en vouloir à la raison? Est-ce en vouloir à la raison, que de lui indiquer la voie du Catholicisme comme la voie où elle n'a rien à perdre, mais tout à gagner? Est-ce en vouloir à la raison, que de lui montrer ce qui peut l'affaiblir et la tuer, afin qu'elle s'en éloigne; et ce qui peut lui rendre la force et la vie, afin qu'elle s'y attache? Autant vaudrait-il appeler « l'ennemi du voyageur » le guide des Alpes lui indiquant le vrai chemin, quoique étroit et escarpé, et l'avertissant de prendre garde à des sentiers faciles en apparence, mais conduisant à un abime. Autant vaudrait-il appeler « l'ennemi du malade » le médecin voulant le détourner de ce qui peut ruiner sa santé, et l'engager à suivre le seul traitement qui puisse le rétablir.

Les mots mèmes de raison catholique auraient dû nous mettre à l'abri de toute critique de la part des personnes auxquelles nous nous adressons dans ce moment: ces mots disent assez que nous n'entendons pas plus séparer le Catholicisme de la raison que la raison du Catholicisme; que nous voulons une raison croyante et une croyance raisonnable; Rationabile obsequium.

Car la croyance sans raison, c'est le paganisme; la raison sans croyance, c'est le protestantisme, c'est le philosophisme. C'est dans le Catholicisme seulement que, comme nous l'avons remarqué ailleurs (tome I, confér. II, § 5), la raison s'accorde très-bien avec la foi, et la foi avec la raison; et c'est là le propre de la philosophie du catholicisme.

$9. L'une des pensées de l'auteur des Conférences est la restauration de la philosophie catholique. Injustice du reproche qu'on fait au gouvernement d'avoir détruit la philosophie, tandis qu'il parait vouloir la restaurer sur des bases chrétiennes. Avantages que la religion et la philosophie tireront de cette restauration. Espérances de l'auteur des Conférences à ce sujet. Conclusion.

Quant à la philosophie, loin de vouloir sa destruction, nous ne demandons pas mieux que de la voir se relever de sa nullité, surgir de son abjection; car, sans nous attribuer le titre de philosophe, nous aimons la philosophie; nous l'avons étudiée pendant trente ans ; et sa restauration sur un fondement catholique est l'un des buts que nous nous sommes proposés dans nos conférences.

Un catholique zélé, plein d'esprit et de savoir, nous a fait dernièrement l'honneur de nous écrire ceci : « Bien des ecclésiastiques ne vous ont pas compris; mais les philosophes, les gens du monde, les « sceptiques, vous comprennent très-bien: ils savent

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bien que vous voulez restaurer la philosophic chrétienne, dont ils ne veulent pas, et c'est pour cela qu'ils vous attaquent.» Nous livrons ces mots à la réflexion de nos critiques chrétiens.

On a accusé le gouvernement actuel d'avoir, par son nouveau règlement des études, détruit la philosophie. Rien n'est plus injuste que cette accusation; on ne peut pas détruire ce qui n'existe pas. M. Jouffroy, en citant Reid (Essai sur les facultés, etc.), appelle la philosophie moderne un labyrinthe de rêveries, de contradictions, d'absurdités. M. Ancillon la dit « un véritable chaos où les notions, les principes, les systèmes se succèdent, se combattent et s'effacent les uns les autres. » Les exploits donc, les hauts faits de cette philosophie qui a fait tant de bruit, se réduisent à une œuvre de destruction, à un simple amas de ruines. Eh bien! il paraît que le gouvernement ne veut pas que la jeunesse aille s'amuser au milieu de ces ruines, au risque de s'y briser les jambes, de s'y rompre le cou. On les a donc balayées, et voilà tout. Mais déblayer un terrain des ignobles débris qui y sont entassés, c'est le préparer pour y bàtir. Nous croyons donc que plus tard on voudra bien rebatir, sur des bases plus solides, sur des bases chrétiennes, l'édifice de la philosophie.

Nous espérons qu'en fait de philosophie, on en reviendra au moyen âge, aux scolastiques, dont on s'est tant moqué depuis Luther: tout comme en fait de modes touchant le mobilier et les vêtements, on est tout bonnement revenu au rococo, et on a fini par trouver commode et gracieux ce qu'on avait tant tourné en ridicule. On reconnaîtra la misère, la bassesse, la légè

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