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rielle est aux yeux du corps; Quia fides lux est animarum. (A LAP., in II Matth.) Cette comparaison est donc elle-même un trait de lumière dans la question qui nous occupe; il y a dans cette image autant de philosophie que de poésie, il y a toute l'économie établie par Dieu pour l'instruction de l'homme, c'est-à-dire qu'il ne puisse connaître le spirituel qu'aux mêmes conditions auxquelles il voit le matériel. Et c'est parce que l'économie de la vision est la plus propre à nous représenter l'économie de la connaissance, que les mots voir et connaître signifient, dans toutes les langues parlées, la vision et la connaissance matérielles, aussi bien que la vision et la connaissance spirituelles; et c'est aussi par la même raison que saint Thomas appelle « la vue» le plus intellectif de nos sens. Pour voir les objets matériels, l'homme a autant besoin de la lumière que de l'organe de la vue. Donnezmoi l'homme aux yeux les plus parfaits, renfermez-le dans une chambre obscure, il ne verra rien de ce qui s'y trouve, il ne pourra pas se voir lui-même. De même, pour connaître les objets de l'ordre spirituel, l'homme a besoin de la lumière de la révélation divine tout autant que de l'intellect et de la raison. Donnez-moi l'homme à l'intellect le plus subtil, à la raison la plus fortement trempée; imaginez, par une hypothèse fort peu possible, qu'il ait pu grandir, se développer hors de toute société où, plus ou moins pur, plus ou moins altéré, se trouve le dépôt des révélations divines; imaginez qu'il est absolument privé de toute lumière rejaillissant de ces révélations : il ne connaîtrait, il ne pourrait connaître rien des objets du monde spirituel; il ne se connaîtrait pas, ne se concevrait pas lui-même.

Le sauvage de l'Aveyron en était là. Par tous ses mouvements, il s'annonçait comme ayant des idées, mais non pas comme ayant la moindre connaissance.

Le Dieu qui a fait que l'homme puisse toucher, goûter IMMÉDIATEMENT les objets sensibles, pouvait faire sans doute que l'homme pût voir IMMÉDIATEMENT aussi les mêmes objets sans lumière; mais il ne l'a pas voulu ainsi. Il a au contraire formé l'homme extérieur de manière à ce qu'il ne puisse rien voir sans lumière, afin de nous apprendre par là que l'homme intérieur ne peut non plus rien connaître sans révélation.

Le même Dieu qui a créé l'œil et la lumière pour voir, a établi la raison et la révélation pour connaître. Point de vision des objets matériels sans lumière; point de connaissance des choses intellectuelles et morales sans révélation que Dieu a fait, d'après saint Paul, dès le commencement du monde, rayonner dans le monde pour la connaissance de la vérité, tout comme il y fit briller la lumière matérielle pour la vision des corps; Deus qui jussit de tenebris lumen splendescere, ipse illuxit in cordibus nostris.

En voyant les objets matériels par la lumière, l'homme peut les considérer attentivement, les distinguer, les comparer et les apprécier à leur juste valeur, en connaître la nature, les forces, l'usage qu'il peut en faire, le profit qu'il peut en tirer; mais il ne les découvre pas, ces objets, par son œil; seulement il les voit, mais par la lumière. De même l'esprit humain, en connaissant les choses spirituelles par la révélation, peut s'en rendre compte, les discuter, les développer, les démontrer, les appliquer; mais il ne les invente pas, il ne les

découvre pas par sa raison; seulement il les connaît, mais par la révélation. Et comme par l'expérience il peut passer de la simple vision à la science des objets matériels, de même il peut, par le raisonnement, s'élever de la simple connaissance à la science des choses spirituelles. Mais comme la science des objets matériels suppose la vision, et la vision la lumière; de même la science des choses spirituelles suppose la connaissance, et la connaissance la révélation; en sorte que vouloir atteindre la connaissance des vérités immatérielles sans révélation d'aucune espèce, et en rejetant toute espèce de révélation même naturelle, même sociale, est aussi insensé que vouloir obtenir la vision des choses physiques sans lumière.

L'esprit humain, dit Origène, cherche la vérité, comme l'œil cherche la lumière ; » mais l'esprit ne fait pas plus, ne produit pas plus la vérité que l'œil ne fait, ne produit la lumière. La lumière rayonne partout, indépendamment de l'œil, éclaire les objets, et les lui rend visibles. La révélation brille partout, elle aussi, indépendamment de la raison, illumine les choses intellectuelles, et les lui rend cognoscibles ; c'est ainsi que la révélation est la lumière de l'àme; Quia fides lux est animarum.

Comme dans l'ordre physique la lumière ne produit de vision que pour les yeux sains, de même, dans l'ordre spirituel, la révélation ne produit de connaissance que pour la saine raison. La connaissance de la vérité est le prix de la raison qui se défie d'ellemême, de la raison qui s'abaisse, de la raison qui se captive, de la raison qui se soumet; c'est là la raison

d

saine, pouvant connaître la vérité par la lumière de la révélation. Mais quant à la raison orgueilleuse, à la raison se retranchant en elle-même, attendant tout d'elle-même, prétendant tout saisir par elle-même, c'est la raison malade que cette raison-là, et même la raison morte, la raison qui n'est pas la raison, la raison qui, en voulant être tout, n'est plus rien. Nos philosophes en sont exactement là. Ces grands rationalistes ne sont au fond que de pauvres êtres sans raison, des êtres privés de la saine raison, de cet œil de l'àme qu'ils se sont arraché eux-mêmes, et sans lequel ils ne peuvent pas plus profiter de la révélation qui les environne, qu'un aveugle ne peut profiter de la lumière qui le frappe. Il n'est donc pas étonnant qu'ils ne connaissent pas ce que tout le monde connaît, qu'ils ne croient pas ce que tout le monde croit. Il n'est pas étonnant que c'est en vain qu'on leur parle religion, et qu'on fait rayonner devant eux les lumières de la révélation primitive, de la révélation chrétienne. Il n'est pas étonnant qu'en plein midi de cette révélation qui les entoure de toute part, qu'ils trouvent dans la famille, dans le peuple, dans la société, ils ne connaissent pas DIEU, JÉSUSCHRIST, l'homme, les devoirs; qu'ils soient sceptiques, panthéistes, fusionnistes, communistes, matérialistes, athées; qu'ils soient tout, excepté ce qu'ils devraient être. Que voulez-vous? Ils n'ont plus les yeux de l'esprit; ils sont de pauvres aveugles, osant se faire guides d'autres aveugles; Cæci sunt, et duces cæcorum.

Cette doctrine sur l'impossibilité où est la raison, de bien connaître le monde intellectuel sans le secours de la révélation, tout comme l'œil ne peut pas connaître

le monde matériel sans le secours de la lumière, se trouve confirmée par l'expérience de tous les temps et de tous les lieux. Au lieu donc de nous reprocher que nous voulons anéantir la raison, ce que nos respectables critiques avaient de mieux à faire était de nous prouver, par les faits, que la raison humaine, en marchant toute seule, en s'isolant des traditions et des croyances universelles, est cependant parvenue à la connaissance pure, précise et certaine de la vérité. Mais une telle démonstration est impossible. L'histoire de la philosophie nous apprend bien à quels temps, en quels lieux la philosophie, s'isolant de la religion, a détruit toute religion et toute vérité; mais elle ne nous apprend pas que cette même raison ait jamais retrouvé, et assis sur des bases solides, aucune vérité, ou purifié de leurs erreurs les fausses religions. Nous l'avons dit, nous l'avons prouvé dans nos trois premières conférences, et nous le répétons ici : on ne peut pas citer une seule vérité de l'ordre intellectuel et moral qui, tout à fait inconnue dans le monde, ait été découverte par la philosophie. Si l'on sépare, dans les livres des anciens philosophes, « ce qu'ils ont puisé, comme s'exprime saint Augustin, aux mines des traditions universelles; » si l'on en ôte les vérités qu'ils ont empruntées à la société, au peuple qui les connaissait déjà, qui y croyait avant eux et mieux qu'eux, ce qui reste dans ces livres n'est qu'un ignoble fatras de systèmes absurdes, d'énormes extravagances, et, au fond de tout cela, le doute sur tout ce qui était universellement cru, le scepticisme le plus désespérant.

Il en a été de même, dans les temps modernes, dès

d.

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