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entière une génération gâtée, corrompue par un enseignement pareil, en répand, en perpétue par toute la France, par toute l'Europe, les horribles ravages, peut-on s'étonner que le cœur navré d'un prètre exhale, par des cris perçants, par de rudes paroles, sa tristesse et sa douleur? N'avons-nous pas le droit de nous étonner, à notre tour, de l'indifférence avec laquelle on assiste à ces horribles hécatombes des croyances chrétiennes; et que ceux mêmes qui s'indignent à juste raison, qui frémissent d'une honorable rage contre les assassins des corps, ne réclament que de l'indulgence et de la charité en faveur des assassins des ames?

JÉSUS-CHRIST, le Dieu de la patience et de la mansuétude envers tout le monde, lorsqu'il s'agissait des pharisiens, ne paraissait-il pas oublier, en quelque sorte, sa douceur et sa bonté? Ne les appelait-il pas : Sépulcres blanchis, Génération adultère, Race de vipères? Ne les écrasait-il pas par ses regards de colère (Circumspiciens eos cum ira, MARC, c. 3), par ses foudroyantes paroles, par ses redoutables anathèmes? Et pourquoi, si ce n'est parce qu'ils étaient des hypocrites, des orgueilleux qui, se croyant les seuls sages, les seuls clairvoyants et illuminés, s'étaient fait un monopole de la science, trompaient, corrompaient, escamotaient le peuple dans l'intérêt de leurs places et de leur vanité, et le détournaient, par le mensonge et l'imposture, de la connaissance de Dieu et de la vérité? Or, est-ce que les philosophes dont nous parlons-véritables pharisiens parmi les chrétiens, comme les pharisiens étaient des philosophes parmi les Juifs- ne sont-ils

pas, eux aussi, tout cela? Comment serait-il donc contraire à la charité chrétienne de les appeler de leurs noms, de les démasquer, et les faire connaître pour ce qu'ils sont? Si on leur doit des égards parce que ce sont des gens d'esprit, ne doit-on pas de plus grands égards encore à la jeunesse, aux ignorants, aux àmes simples, innocentes, dont ils sont de véritables bourreaux? La tolérance pour leurs doctrines, l'indulgence pour leurs personnes, ne seraient-elles pas de la cruauté pour leurs victimes?

Nous pouvons ajouter, enfin Cette sévérité n'est pas sans avantage pour ceux même qui en sont l'objet. Si on les attaque sérieusement, et avec tous les égards qui ne sont dus qu'au vrai talent et à la bonne foi, ils finissent par se croire des hommes sérieux, des hommes de savoir, des hommes d'importance, eux aussi. Ils s'élèvent dans leur propre estime, ils s'enorgueillissent, et, comme s'exprime saint Paul, ils s'évaporent dans leurs propres pensées; Evanescunt in cogitationibus suis; ils finissent par croire à leurs propres erreurs, ils s'y obstinent et s'y perdent. Au lieu de les combattre, il est donc plus utile pour eux de les confondre. C'est en les démasquant, c'est en faisant justice de leur prétendue science, c'est en réduisant à sa valeur précise leur richesse factice et leur misère réelle, qu'on peut espérer de les faire rougir, de les engager à jeter un regard de honte sur eux-mêmes, de leur inspirer la défiance dans leurs propres lumières, et cette confusion du repentir, la source de la vraie gloire (Est confusio adducens gloriam, ECCL., c. 4), qui peut leur obtenir le pardon et assurer leur salut.

Mais hatons-nous de nous expliquer par rapport à une autre observation, la plus sérieuse parmi celles qu'on nous a adressées.

§ 7. Réponse au reproche : QUE LE SYSTÈME DÉVELOPPÉ DANS LES CONFÉRENCES TEND A ANNULER LA RAISON. Impuissance de la raison de retrouver toute seule la vérité, prouvée par la raison meme et par l'expérience. Stérilité de toute philosophie s'isolant de toute révélation.

On nous a aussi exprimé la crainte que, en voulant, mème en matière de philosophie, tout rapporter à la foi, nous n'ayons l'air de vouloir tuer la raison, de vouloir brouiller la foi avec la raison, et la religion avec la philosophie. Mais ceux qui nous font ce reproche n'ont donc pas lu la brochure que nous avons citée plus haut? Nous y avons expliqué de la manière la plus claire, ce nous semble, ce que nous entendons par la philosophie démonstrative et la philosophie inquisitive; nous y avons prouvé que, par notre système, nous faisons une large part à la raison touchant la vérité; que nous la mettons à sa place, et que, loin de la fouler aux pieds et de la méconnaître, nous garantissons son importance, nous raffermissons ses vrais droits. Qu'on daigne donc nous lire dans cet écrit-là, et, en mème temps, faire attention à ce que nous allons y ajouter ici.

Dans la grande affaire de la connaissance de la vérité, qui est, à ce qu'on dit, le but de la philosophie, il ne s'agit pas d'une connaissance qu'on ne peut atteindre qu'après de longues années de recherches, d'études et de réflexions; il ne s'agit pas d'une connaissance in

certaine, confuse, vague, superficielle, éphémère. Connaître de cette façon-là les choses, c'est ne pas les connaître; une pareille connaissance n'en est pas une. Dans la grande affaire de la connaissance de la vérité, il s'agit, dit saint Thomas, d'une connaissance de ce qui est plus nécessaire à l'homme de connaître, mais PROMPTE, CLAIRE, PRÉCISE, SANs mélange d'errEUR, CERTAINE, PROFONDE, CONSTANTE et INÉBRANLABLE, De facili, brevi tempore, sine miscela erroris, fixa certitudine; et, par là, apte à obtenir l'assentiment complet de l'esprit de l'homme, et à diriger ses actions. Or, nous soutenons que, par la raison seule, par la raison livrée à elle-même, on ne peut parvenir à une connaissance pareille. Nous soutenons que l'esprit humain, tout capable qu'il est, en vertu de sa sublime faculté que les scolastiques appellent l'INTELLECT AGISSANT, de se former tout seul les idées générales de la cause et de l'effet, de la substance et des accidents, du tout et de la partie, de l'individu et de l'espèce, etc., il n'est cepenpendant pas capable d'atteindre, tout seul, la connaissance dont il a besoin, la connaissance vraie, la connaissance parfaite de Dieu et de ses attributs; de l'âme et de sa spiritualité; de tout l'homme, de son origine, de sa destinée et de ses devoirs; de la vie future, et des moyens de s'en assurer la possession. Nous soutenons que la raison peut bien se rendre compte, s'expliquer à elle-même, et démontrer, développer aux autres la vérité que, relativement à ces grandes thèses, elle a connue d'ailleurs; mais que, loin de pouvoir l'atteindre, cette vérité, par ses seuls moyens, elle ne se doute pas même, ne peut pas se douter de son existence, à

moins qu'elle n'en ait reçu les premières notions par un enseignement extérieur; en un mot, nous soutenons que la philosophie ne peut se passer tout à fait de la révélation (1). La question posée dans ces termes, et c'est dans ces termes que nous l'avons posée (voy. Conf. I", § 3), nous avons le droit de nous étonner que des ecclésiastiques aient pu trouver de l'exagération ou du danger dans nos assertions. Cette doctrine, on devrait s'en souvenir, est la doctrine de tous les théologiens, de tous les apologistes de la religion qui, à la suite du grand saint Thomas (SUMMA, c. Gent., lib. I, c. 4), n'ont établi la nécessité de la révélation que sur l'impossibilité où est l'homme de connaître par lui-même, comme il a besoin de le connaître, ce qu'il lui importe le plus de connaître.

On devrait se souvenir aussi que, à chaque page de l'Écriture sainte, dans l'Ancien Testament aussi bien que dans le Nouveau, par les prophètes tout autant que par les apôtres et par JÉSUS-CHRIST lui-même, la révélation divine est toujours comparée à la lumière. C'est nous apprendre, dit un grand interprète, que la révélation est aux yeux de l'esprit ce que la lumière maté

(1) Par le mot révélation, nous entendons non-seulement les vérités que renferment les Livres saints, mais aussi les vérités que Dieu révéla à l'homme au commencement du monde; que la tradition a, au moyen du langage, propagées et établies dans tout le monde; qu'on rencontre plus ou moins altérées dans toutes sociétés ; et par lesquelles se forme la raison de l'homme, Car l'homme ne devient raisonnant que par les mêmes moyens par lesquels il devient parlant. Voyez là-dessus, dans la seconde partie de ce même volume, la doctrine du savant abbé Maret, à la page 390, et à la note A, pag. 484.

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