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d'autre auteur que lui-même. Qu'on appelle, tant qu'on voudra, cette hypothèse les scélératesses de Démocrite et de Leucippe; elle n'en est pas moins vraie (1).

Magnifique doctrine! s'écria lui aussi Épicure, dans une extase d'admiration et de joie, que plus tard partagea Lucrèce. Voilà ce qui s'appelle vraiment philosopher! Après tant de contes qu'on a faits pour expliquer l'origine du monde, voilà son histoire véritable. Je ne connais rien de plus raisonnable que cette théorie, qui, tout en satisfaisant la raison, assure leur infaillibilité aux sens, ces témoins fidèles qui ne nous trompent jamais (2); car

(1) Ista enim flagitia Democriti, sive etiam ante Leucippi, « esse corpuscula quædam lævia, alia aspera, rotunda alia, par« tim autem angulata, curvata quædam et quasi adunca, ex his « effectum esse cœlum atque terram, nulla cogente natura, sed • concursu quodam fortuito (De Natura Deor. lib. II). »

(2) Cette confiance aveugle d'Épicure au témoignage des sens est si étrange et si incroyable dans un homme, et bien plus encore dans un philosophe, que quelques écrivains ont soutenu que ce n'était point là sa vraie doctrine sur la certitude. Mais Cicéron, qui, tout en combattant bien des fois les doctrines d'Épicure, ne conservait pas moins des sympathies secrètes pour sa personne, ne nous permet pas de douter qu'Epicure ait vraiment poussé jusqu'à ce point sa crédulité sur la certitude sensible; car voici ce que Cicéron en dit : «< Rien n'est plus grand que le soleil : les mathématiciens affirment qu'il est dix-huit fois plus grand que la terre. Cependant, n'est-il pas vrai que cet astre paraît à nos yeux n'avoir que la grandeur d'un pied? Epicure croit même que le soleil peut bien être plus petit ou plus grand qu'il ne paraît, mais pas beaucoup plus; ou bien qu'il n'a que la grandeur précise qu'il nous paraît avoir. Épicure, en soutenant cela, pré

s'ils nous disent que la matière est la seule réalité possible, c'est que vraiment il n'y a de réel que la matière; s'ils nous attestent que le soleil n'a que la grandeur d'un globe de deux pieds, c'est qu'il n'est vraiment pas plus grand que cela. Cette théorie explique tout, tandis que toutes les autres théories, qu'on a mises en avant sur ce même sujet, n'expliquent rien. Oui, le monde ne s'est formé que de cette façon, et il est le seul être immuable, éternel, infini. Je vais même plus loin; et, sur l'autorité de Démocrite mon maître, et soutenu par l'imposant suffrage de Métrodore, le premier de mes disciples, je crois que ce monde infini renferme des mondes innombrables dans son ensemble, dont l'espace est immense; et que tout cela s'est fait de la même manière (1).

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tend assurer aux sens une infaillibilité absolue, et confirmer sa doctrine que les sens ne mentent jamais, ou fort peu. Mais laissons de côté ce crédule, attribuant une telle certitude au témoignage des yeux. « Quid potest esse sole majus? quem • mathematici amplius duodeviginti partibus confirmant majorem esse quam terram. Quantulus nobis videtur? mihi quidem quasi pedalis. Epicurus solem posse putat etiam mi<< norem esse quam videatur, sed non multo. Ne majorem qui« dem multo putat esse, vel tantum esse, quantus videatur : ut << oculi aut nihil mentiantur, aut non multum mentiantur. Sed ab hoc credulo, qui numquam sensus mentiri putat disce« damus (Acad., lib. II). »

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(1)« Democritus, Epicurus eorumque discipulus Metrodorus, << innumerabiles in infinito mundos per omnem ejus complexum, «< in immensum exspatiantem, dixerunt (PLUTARCHUS, in Pla« citis, lib. II, c. 4). »

Telles sont, dit Eusèbe en achevant l'affreux tableau qu'il a tracé des différents systèmes des plus grands philosophes de la Grèce en général, et des physiciens en particulier, sur l'origine du monde; telles sont les opinions de ces philosophes; et c'est parce qu'ils n'ont pas voulu admettre que Dieu seul a créé tout, et c'est parce qu'ils ont tout à fait mis Dieu de côté dans le grand fait de la formation des choses, qu'ils ont été entraînés à rever tant d'extravagances; et qu'après s'être fait mutuellement la guerre, après avoir tant disputé sur tout sans s'accorder sur rien, et après avoir étourdi le monde par la diversité et la contradiction de leurs opinions, ils ont été obligés de s'arrêter à cette immense absurdité que l'univers ne doit sa constitution, son ordre, sa beauté, ses harmonies et sa perfection, qu'à l'agitation stupide de la matière, aux combinaisons fortuites des atomes, au mouvement aveugle du hasard; Talis fuit sapientissimorum Græciæ philosophorum, saltem qui physici vocabantur, de universi constitutione disputatio, in qua nullum rerum omnium effectorem posuerunt, imo ne Dei quidem mentionem fecerunt; sed temerariæ cuidam agitationi et fortuito motui hujus universitatis causam assignarunt; ac tanta quidem inter se dissentio ut eadem nulla prorsus in re pronuntiaverint, sed contentione ac sententiarum diversitate omnia compleverint (Præp. Evang., lib. I, c. 8).

16. Mais alors, se dirent entre eux ces grands penseurs de l'antiquité, alors qu'est-ce que nous ferons de Dieu, de ce Dieu qui n'est pour rien dans l'existence du monde, puisque ce monde s'est arrangé de soi-même, et existe par soi-même, en soimême? Allons donc, dit Protagore, Dieu! qui l'a vu? Qui sait ce qu'il est, où il est, et s'il a jamais été quelque part? Si vous voulez, de cette manière à moi de m'exprimer sur les dieux, conclure que je ne les admets pas, je vous laisserai croire ce que vous voudrez (1).

Pour moi, reprit Simonide, Dieu n'est qu'une énigme plus on y pense, plus il devient obscur et indéchiffrable (2).

Mais comment, Simonide, vous ne comprenez donc rien à Dieu? répondit Chrysippe; et n'est-il pas facile à comprendre que ce qu'on appelle Dieu n'est que l'idéal, l'abstrait, la personnification des différentes choses qu'on a voulu exprimer par un mot?

Pour moi, ajouta Chrysippe, Dieu est tout ce qu'on veut qu'il soit, excepté ce que le vulgaire ignorant croit qu'il est. L'on peut donc dire sans scrupule que Dieu n'est que la raison, l'âme, l'esprit de toute la nature; on peut dire aussi que Dieu n'est

(1) « Neque vero Protagoras qui sese negat de diis habere « quod liqueat sint, quodque sint, an sint, quidquam videtur de «natura deorum suspicari (CIC., de Natura Deor., I). »

(2)«< Simonides: Quanto, inquit, diutius considero, tanto « mihi res videtur obscurior (IDEM, ibid.). »

que le monde lui-même, et la fusion entière de l'âme diffuse dans l'univers. Il peut se faire aussi que Dieu ne soit au fond que cette principauté du monde même résidant dans l'esprit et dans la raison; ou bien la nature commune des choses formant tout et conservant tout. Si quelqu'un pense que Dieu n'est autre chose que l'ombre fatale de la destinée sempiternelle qui domine tout, et qui est la vraie raison de tout ce qui doit arriver, celui-là peut bien être dans le vrai. On peut aussi avoir également raison en disant que Dieu n'est que le feu, qu'en disant que Dieu n'est que l'éther, ou tout ce qui rejaillit et découle des entrailles de la nature, comme l'eau par exemple, la terre ou l'air, et, à plus forte raison, le soleil, la lune, les étoiles et l'universalité des choses, qui contient tout. Enfin on peut affirmer, sans crainte de se tromper, que les hommes aussi qui ont obtenu l'immortalité sur la terre sont des véritables dieux dans le ciel (1).

(1) « Ait enim (Chrysippus) vim divinam in ratione esse positam, et universæ naturæ animo atque mente: ipsumque « mundum Deum dicit esse, et ejus animi fusionem universam : << tum ejus ipsius principatum, qui in mente et ratione versetur, communemque rerum naturam, universa atque omnia « continentem: tum fatalem umbram et necessitatem rerum « futurarum : ignem præterea et eum, quem antea dixi, æthera: tum ea, quæ natura fluerent atque manarent, ut et aquam, • et terram et aera : solem, lunam, sidera universitatemque re« rum, qua omnia continerentur; atque homines etiam cos, qui « immortalitatem essent consecuti (De Nat. Deor., II). »

Ce passage de Cicéron, touchant l'opinion de Chrysippe sur

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