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prit, tout comme d'une substance matière ne peut sortir que de la matière. Comment ne voyez-vous donc pas que Dieu ayant, selon vous, tout fait de sa propre substance tout à fait simple, spirituelle, immatérielle, incorporelle, invisible, il n'a pas pu faire des êtres composés, matériels, corporels, visibles, et que, par conséquent, de pareils êtres ne peuvent pas être sortis de la substance unique de Dieu? Pauvres philosophes, cette observation vous jette dans l'embarras, n'est-ce pas ? Vous ne savez pas comment vous y prendre pour vous en dégager! Eh bien, nous avons compassion de vous, et nous voulons venir à votre aide. Ce n'est que dans nos doctrines que vous pouvez trouver le moyen de vous tirer d'affaire.

« Pour nous, la matière, la matière, les corps, ne sont que des mots sans signification, des idées sans réalité. Car comprend-on ce que c'est que la matière, ce que c'est que le corps? Non, assurément non. Or, des ètres qui ne se comprennent pas n'existent pas.

« En vain vous nous opposerez que cependant on voit, on touche la matière, on voit, on touche le corps, et l'on en est affecté. Car, pendant le sommeil, ne nous semble-t-il pas voir, toucher ce que certainement nous ne voyons pas, nous ne touchons pas? Eh bien, il en est exactement de même pendant la veille. Nous dormons toujours; avec la seule différence que pendant la nuit nous dormons étendus, et pendant le jour nous dor

mons debout; que pendant la nuit nous sommes des dormeurs, et pendant le jour nous sommes des somnambules, et voilà tout. La vie entière de l'homme n'est qu'un rêve continuel qui se prolonge jusqu'à sa mort. Ceux même que nous appelons des fous ne croient-ils pas avoir autant de raison que ceux qui se croient sages? Pensez-vous qu'il n'y a d'autres fous au monde que ceux qui en ont le nom? Ceux qui appellent fous les autres, le plus souvent le sont tout autant et même davantage; le monde entier n'est qu'une maison de fous. Ce qu'il y a de plus certain, c'est que l'homme n'a aucun moyen de distinguer la sagesse de la folie, la vérité de l'erreur, l'illusion de la réalité, et qu'il est dans ce monde comme dans un théâtre de fantômes qui le jouent et le trompent. Ce qu'il appelle des corps ne sont que des rêves de la raison, des jeux de l'imagination, des illusions des sens. Il n'y a de réel, de substantiel (1), de divin, que l'idée. Mais l'idée n'est qu'esprit. C'est donc l'esprit seul, l'idée seule, qui existe. Tout est esprit et idée, et hors de là tout est rêve et illusion. » C'est ainsi que philosophaient les académiciens; et voilà l'IDÉALISME.

(1) « Vult Plato esse quasdam substantias invisibiles, incor« poratas, supermundiales divinas, quas appellat ideas, id est, «formas exemplares et causas naturarum istarum, et illas qui« dem esse veritates, hæc autem imagines earum (TERTUL., de « Anima, 18). » Voy. ESSAI, § 13, à la fin de la confér.

14. Mais ils n'avaient pas encore achevé leur argumentation pour soutenir le PANTHEISME à l'aide du sommeil et de la folie, que voici les atomistes ou les philosophes corpusculaires venir les interrompre, et leur dire, d'un air dédaigneux et moqueur : «< Vraiment, vous n'êtes que de vrais rêveurs, de vrais fous, vous qui osez débiter sérieusement de pareilles sottises, de si énormes extravagances! D'abord, vous qui soutenez qu'on ne peut rien connaître d'une manière certaine, rien comprendre d'une manière claire, comment savezvous, comment avez-vous le courage d'affirmer que Dieu est, et qu'il forme les esprits et les idées de sa propre substance? et qu'est-ce que ce pauvre Dieu que vous condamnez à se couper lui-même en morceaux, à se déchirer lui-même, s'il veut faire la plus petite chose hors de lui-même?

Si la coexistence de deux principes éternels choque votre raison, sachez qu'elle choque aussi et autant la nôtre. Mais, dans la nécessité de nier un de ces deux principes, de ces deux Dieux, notre choix ne saurait pas être douteux. La matière se voit, se touche, s'imagine; l'esprit ne se voit pas, ne se touche pas, ne s'imagine pas. Avezvous jamais rencontré quelque part ce que vous appelez l'esprit? Et vous qui niez l'existence de la matière et des corps parce que vous ne les comprenez pas, soyez francs et répondez-nous : Est-ce que vous comprenez mieux l'esprit et l'idée? Est-ce

que vous pouvez dire ce qu'ils sont? Nous vous accordons qu'on ne peut pas comprendre la matière; mais, du moins, nous savons qu'elle existe, nous en sommes environnés, impressionnés, maîtrisés de tout côté, et il n'y a pas moyen de la nier sans se nier soi-même; tandis que l'esprit nonseulement ne se comprend pas plus que la matière, mais il n'est pas sensible; et ce n'est qu'en se creusant le cerveau et en faisant violence à la raison qu'on en peut prouver l'existence, sans pouvoir jamais la faire accepter par la raison.

Ne nous parlez donc plus de votre Dieu esprit, produisant toute substance matérielle de sa propre substance toute spirituelle, ou se jouant tout bonnement de ses créatures intelligentes et les trompant toujours, en leur faisant croire, comme réellement existants, la matière et les corps qui n'existent pas.

La matière n'a pas eu besoin d'une force extérieure pour devenir le monde. N'est-elle pas dans un mouvement perpétuel? N'est-elle pas active, énergique d'elle-même? (Voy. ESSAI, § 5, p. 106).

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On sait bien que Socrate demande, chez Xénophon Où aurions-nous puisé notre âme, s'il n'y a pas une âme quelconque dans le monde? Mais si on peut faire une telle question, on pourra demander aussi : Où aurions-nous puisé le langage, l'harmonie, le chant? A moins qu'on ne croie que nous avons appris tout cela par l'exemple du soleil et de la lune se parlant entre eux lorsqu'ils se

trouvent plus près l'un de l'autre ; ou bien, par l'exemple du monde, qui, d'après Pythagore, ne fait que chanter avec une harmonie parfaite. Comment ne veut-on pas voir que tout cela se fait par la matière dont est composée la nature, et qui n'opère pas par des promenades artificieuses et intelligentes comme l'avait rêvé Zénon, mais par la force de ses variations et de ses mouvements, par laquelle elle forme tout, en agitant tout (1)? On peut encore moins affirmer que le monde est un Dieu, quoique rien ne soit plus parfait que le monde; rien n'étant ni plus beau en soi-même, ni plus salutaire pour les hommes, ni plus riche dans sa parure, ni plus régulier dans ses mouvements. Si donc le monde entier n'est pas Dieu, encore moins seront des dieux les étoiles, dont il plaît aux stoïciens de faire un immense sénat de dieux. C'est que ces braves gens, à ce qu'ils nous disent, sont frappés d'étonnement, ravis de plaisir, en voyant le cours toujours égal et perpétuel des astres; et, ma foi, en cela ils ont bien raison,

(1) At enim quærit apud Xenophontem Socrates, unde « animam arripuerimus, si nulla fuerit in mundo. Et ego quæro, unde orationem, unde numeros, unde cantus? Nisi vero loqui solem cum luna putamus, cum propius ac« cesserit, aut ad harmoniam canere mundum, ut Pythagoras « existimat. Naturæ ista sunt, Balbe, naturæ non artificiose ambulantis, ut ait Zeno, sed omnia cientis et agitantis motibus « et mutationibus suis (CICER., de Nat. Deor., lib. II), »

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