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ordres (1), n'a varié d'opinion sur la grande thèse de la cause première, sur l'auteur et l'origine du monde.

Pendant quelque temps, il fut, ainsi qu'on vient de le voir, tout bonnement le chaleureux partisan de la doctrine du dualisme; mais, plus

rais de paresse, ne pouvant plus m'occuper de politique depuis que l'état de la république est tel, qu'il est de toute nécessité que le tout soit dirigé par les conseils et l'action d'un seul. J'ai donc voulu remplir mon temps en entreprenant d'expliquer la philosophie à mes concitoyens, car enfin il importe beaucoup à l'honneur et à la gloire de Rome que des sujets si graves et si excellents soient traités en langue latine: Sin autem quis requiret, quæ causa nos impulerit, ut hæc tam sero litteris mandaremus, nihil est, quod expedire tam facile possumus. Nam cum otio langueremus, et is esset reipublicæ status, ut eam unius consilio atque cura gubernari necesse esset, primum ipsius reipublicæ causa philosophiam nostris hominibus explicandam putavi, magni existimans interesse ad decus et ad laudem civitatis, res tam graves tamque præclaras Latinis etiam litteris contineri (De Natura Deorum, lib. I, c. I. »

Ainsi il est hors de doute que, pour le plus grand nombre des philosophes anciens (et il en est de même de beaucoup des modernes), le principal mobile de leurs travaux était moins le zèle de la vérité que l'appât de la vanité, leur propre honneur ou celui de leur pays. On leur a donc fait beaucoup plus d'honneur qu'ils ne méritaient, en les regardant comme des hommes sérieux.

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(1) « Nec vero probare soleo id, quod de Pythagoreis accepimus: quos ferunt, si quid affirmarent in disputando, cum « ex iis quæreretur, quare ita esset, respondere solitos: Ipse << dixit. Ipse autem erat Pythagoras. Tantum opinio præjudi<«< cata poterat, ut etiam sine ratione valeret auctoritas (CI« CER., De Natur. Deor.)! »

tard, sa haute raison comprit que cette doctrine de deux principes opposés, ayant créé et gouvernant le monde, était contraire à la raison. Car comment, se disait-il, le monde aurait-il pu conserver pendant tant de siècles l'ordre admirable qui y règne, sous le tiraillement de deux principes contraires, sous l'action de deux Dieux jaloux l'un de l'autre, et se faisant mutuellement la guerre pour l'empire du monde? Non, non, cela n'est pas possible; cela n'est pas en effet. Aucune famille, ayant deux chefs, ne saurait être en paix; aucun État, ayant deux pouvoirs souverains, ne saurait durer. Comme donc il n'y a qu'un seul chef dans chaque famille, un seul pouvoir souverain dans chaque État; de même il n'y a qu'un seul principe, un seul Dieu, auteur et gouverneur de l'univers.

Seulement, ce Dieu n'ayant pu créer le monde de rien, rien ne se faisant de rien, - ni d'une matière préexistante, ce serait revenir à la doctrine des deux principes,

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il est clair que Dieu a créé le monde de lui-même. Car qui a pu empêcher la nature immense, la nature infinie, de se modifier elle-même de différentes manières, et de former des êtres d'elle-même? Ainsi, il n'y a qu'une seule substance dans l'univers, la substance divine; tous les êtres ne sont que des modifications, des parcelles de cette substance unique, qu'elle produit d'elle-même, qu'elle façonne par

elle-même, qu'elle conserve en elle-même. Voulezvous donc savoir, concluait Pythagore, ce que c'est que Dieu? Dieu est une âme répandue dans toute la nature, identifiée avec toutes les parties de l'univers, et c'est de lui et en lui que tous les êtres, tous les animaux vivants ont l'être et la vie : Deus est animus, per universas mundi partes omnemque naturam commeans et insuper ex quo omnia quæ nascuntur animalia vitam capiunt (Apud Lactant., Instit., lib. I, c. v).

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C'est cette doctrine des pythagoriciens que Virgile a exposée dans des vers dont la grâce et l'harmonie des mots ne font que rehausser l'absurdité et l'impiété de la pensée, lorsqu'il dit : <«< Selon l'opinion de ces philosophes, les abeilles elles-mêmes ont une partie de l'esprit divin et même de la vie céleste de Dieu. Dieu est tout et en tout il est le ciel, il est la terre, il est la mer; c'est en lui que subsistent les hommes, les bestiaux, les bêtes fauves; et c'est en lui que tout ce qui naît puise jusqu'au plus petit souffle de vie. Car Dieu est le grand esprit qui alimente tout de lui-même; est la grande âme infondue dans l'immense môle de l'univers comme dans un corps, dans toutes ses parties comme dans ses membres, et qui, mêlée à tout, met tout en mouvement et fait tout exister (1). »

(1) « Esse apibus partem divinæ mentis et haustus - the

12. Ainsi, pour les pythagoriciens, Dieu uni substantiellement à la matière qu'il a extraite de lui-même, c'est l'univers; de même que l'âme unie substantiellement au corps et lui donnant l'être et la vie, c'est l'homme. Le monde sensible est le corps de Dieu, qu'il se serait donné luimême, de lui-même; tout comme le corps est le monde sensible de l'homme. L'univers est l'homme en grand; de même que l'homme est l'univers en petit, microcosmos. Et comme tout est humain dans l'homme, tout est divin dans l'univers. Dieu est tout, et tout est Dieu; et voilà le PANTHÉISME sorti, lui aussi, de la négation du dogme de la création, et auquel, non-seulement en Grèce, mais aussi dans tout l'Orient, s'attacha la raison philosophique païenne, qui ne voulut pas accepter la doctrine du dualisme, et auquel cette même raison est restée attachée jusqu'à nos jours.

Mais, en s'appuyant toujours sur le même principe d'un Dieu ayant tout créé de lui-même, l'école de Pythagore aboutit encore à une autre conséquence. S'il n'y a, sc disait-elle, qu'une substance unique dans l'univers, et si tous les êtres maté

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reos dixere. Deum namque ire per omnes Et terras tracetusque maris cœlumque profundum.-Hinc pecudes, armenta, ⚫ viros, genus omne ferarum,-Quemque sibi tenues nascentem ▪ arcessere vitas. - Spiritus intus alit, totamque infusa per artus Mens agitat molem, et magno se corpore miscet.(Georg., lib. IV; Æneid., VI.) »

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riels ne sont que des parcelles de cette même substance, à plus forte raison il en sera de même des êtres spirituels, des âmes (1). Les âmes n'ont donc pas d'individualité qui leur soit propre. Parcelles momentanément détachées de la grande âme, de l'âme universelle du monde, elles ne sortent d'un corps que pour se glisser dans un autre; elles ne quittent le corps de l'homme que pour aller animer le corps d'une brute ou d'une plante, jusqu'à ce que, fatiguées, épuisées, ennuyées de ces métamorphoses continuelles, elles vont se reposer dans le réservoir commun, dans la substance infinie, d'où elles sont sorties la première fois, pour s'y identifier, pour y être absorbées et s'y perdre; et voilà la MÉTEMPSYCOSE qui fut et qui est encore partout, particulièrement chez les Indous, la doctrine de la raison philosophique panthéiste.

13. « Vous êtes absurdes, disaient à leur tour aux panthéistes les élèves de l'Académie; vous êtes absurdes, et vous ne vous en doutez pas. Pour vous, Dieu n'est qu'esprit, Deus animus est; or, d'une substance esprit ne peut sortir que de l'es

(1) L'homme, disaient aussi les stoïciens chez Cicéron, quoique né pour contempler et imiter le Dieu-monde, n'est cependant point parfait; mais il est seulement une particule de l'être parfait; Ipse autem homo ortus est ad mundum contemplandum et imitandum, nullo modo perfectus, sed est quædam PARTICULA perfecti (De Nat. Deor.).

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