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ne restât pas de doute sur la vraie paternité de pareils avortons, il se trouva un malheureux prêtre au dix-septième siècle, Pierre Gassendi, qui, dans sa Vie d'Epicure, eut le triste courage de présenter au monde chrétien, comme un saint, cet homme voluptueux que le monde païen avait flétri comme un scélérat, et d'offrir à l'admiration des modernes, comme un génie dans la philosophie, cet esprit ignorant, plat, grossier, que l'antiquité regarda comme le plus sot, le plus stupide de tous les philosophes (1), ne devant sa célébrité funeste

(1) Dans l'ouvrage de Cicéron, sur la Nature des dieux, on trouve ce passage sur la grossièreté de l'esprit d'Épicure, et sur sa profonde ignorance de toute doctrine philosophique : « Lorsqu'un aruspice, dit le stoïcien Balbus à Velléius l'épicurien; lorsqu'un aruspice se rencontre avec un autre aruspice et qu'ils se regardent l'un l'autre, il est impossible qu'ils ne rient pas l'un de l'autre. Or je crois qu'il est encore moins possible que vous autres épicuriens ne riiez pas lorsque vous vous entretenez des doctrines de votre maître. Qu'est-ce que signifient, par exemple, ces mots d'Épicure: « En Dieu il n'y a pas de corps, mais il y a presque un corps?» Je comprendrais cela, si on le disait de quelque statuette de craie; car la statuette de craie n'a pas un corps véritable, mais la fiction et l'apparence d'un corps. Mais lorsqu'il s'agit de Dieu, j'avoue que je ne puis pas comprendre comment il n'aurait pas de corps, mais presque un corps; comment il n'aurait pas de sang, mais presque du sang. Et toi, Velléius, tu ne le comprends pas plus que moi; à cette différence près que tu n'oses pas l'avouer. Ainsi, vous répétez seulement les bêtises de votre maître comme des oracles auxquels on ne comprend rien. Quant à Épicure lui-même, c'est, je crois, dans un moment d'hallucination, et ne sachant pas ce qu'il disait, qu'il paraît s'être glorifié dans ses écrits

qu'à l'impiété de sa doctrine, à la lâcheté de son caractère et à la honte de sa vie.

Mais ce qu'il y eut de plus extraordinaire dans cette étrange apologie qu'un prêtre catholique a osé

de n'avoir pas eu de maître d'aucune espèce. Mais il pouvait s'épargner la peine de nous apprendre cette particularité de sa vie; ses écrits auraient suffi pour nous la faire croire, indépendamment de sa confession. Le maître d'un mauvais édifice a-t-il besoin de dire et de se glorifier qu'il n'a pas eu besoin d'architecte pour une telle bâtisse? Ne suffit-il pas d'un seul coup d'œil sur l'édifice pour se convaincre de cela? Dans les écrits d'Épicure, il n'y a pas la plus petite dose de la science de l'Académie, de la science du Lycée; IL N'Y A PAS LA PLUS PETITE DOSe des conNAISSANCES ÉLÉMENTAIRES PROPRES DES ENFANTS; Mirabile videtur, quod non rideat haruspex, cum haruspicem viderit. Hoc mirabilius, quod vos inter vos risum tenere possitis. Non est corpus, sed quasi corpus. Hoc intelligerem, quale esset, si id in certis fingeretur, aut fictilibus figuris. In Deo quid sit quasi corpus, aut quasi sanguis, intelligere non possum. Ne tu quidem, Fellei; sed non vis fateri. Ista enim a vobis quasi dictata redduntur: quæ Epicurus oscitans hallucinatus est, cum quidem gloriaretur, ut videmus in scriptis, se magistrum habuisse nullum. Quod et non prædicanti tamen facile quidem crederem : sicut mali ædificii domino glorianti, se architectum non habuisse. Nihil enim olet ex Academia, nihil ex Lyceo, nihil e puerilibus quidem disciplinis.

Quant à la moralité d'Epicure, voilà ce que Balbus reproche à Velleius dans le même endroit : « Quels sont ces biens dont parle Épicure? Il n'y a pas moyen de s'y tromper : ce sont les jouissances de la volupté qui se rapporte au corps; car vous autres épicuriens, lors même que vous parlez de la volupté de l'âme, n'entendez autre chose que la volupté qui commence par le corps et revient au corps. Et puisque tu insistes tant, mon cher Velleius, sur cette morale du maître, il paraît que tu as abjuré même ce reste de pudeur que d'autres épicuriens conservent encore, et qui les oblige à avoir honte de ces passages d'Épi

publier d'un des plus grands impies du paganisme, c'est que cette apologie, que les sages païens auraient regardée comme un scandale, fut, au dixseptième siècle, accueillie avec enthousiasme par des philosophes chrétiens. Cependant ce fait, tout extraordinaire qu'il a été, a été du moins logique, et nous n'avons pas le droit de nous en étonner. Comme le système des atomes d'Épicure, différemment modifié, formait la base de la science physique au dix-septième siècle, on devait bien trouver juste et raisonnable le panégyrique de son auteur.

En attendant, toute cette philosophie nouvelle n'était que la réhabilitation, en principe et en germe, du dualisme, du panthéisme et même de l'athéisme, de ces trois vastes systèmes d'erreurs et de leurs conséquences logiques, nécessaires, funestes, c'est-à-dire, l'idéalisme, le matérialisme, le fatalisme, le rationalisme, le communisme, le

cure dans lesquels il affirme, sans amphibologie, que, pour lui, le bien est tout et uniquement dans les raffinements et les obscénités de la volupté, dont il fait l'énumération en les appelant de leurs noms, sans témoigner le moindre sentiment d'érubescence et de pudeur: Quorum tandem bonorum? Voluptatum: credo; nempe ad corpus pertinentium. Nullam enim novistis, nisi profectam a corpore et redeuntem ad corpus, animi voluptatem. Non arbitror te, Vellei, similem esse Epicureorum reliquorum : quos pudeat earum Epicuri vocum quibus ille testatur, se ne intelligere quidem ullum bonum, quod sit sejunctum a delicatis et obscænis voluptatibus : quas quidem non erubescens persequitur omnes nominațim.

scepticisme, que la raison philosophique ancienne avait déduits de la négation du dogme de la création.

8. Heureusement qu'à côté de cette école de philosophie toute païenne par ses principes, sa méthode et ses conséquences, existait une autre école de philosophie toute catholique, dont Bossuet et Fénelon, Huet et Pascal, et Malebranche lui-même, malgré ses hallucinations et ses erreurs, étaient les soutiens et la gloire. Les funestes tendances des doctrines de l'autre école, qui paraissaient faire bon marché de la révélation touchant l'origine du monde, ne purent pas échapper au zèle éclairé de ces hautes intelligences. C'est donc pour neutraliser ces tendances, qui menaçaient de tout envahir, que Huet fit sa CENSURE DE LA PHILOSOPHIE CARTÉSIENNE (Censura philosophiæ cartesiana), et que Pascal écrivit ses Pensées.

Mais personne ne combattit avec plus de force et plus de succès les systèmes païens de l'école nouvelle que les plus grands génies de la France moderne, Bossuet et Fénelon. L'Ange de Cambrai, en marchant dans la voie ouverte par Lactance, composa son admirable Traité de l'existence de Dieu; et l'Aigle de Meaux, en se lançant sur le haut chemin que saint Augustin avait frayé, dicta son immortel Discours sur l'histoire universelle.

O traité! ô discours! ce sont des productions uniques. Quelle profondeur d'idées! quelle force de

dialectique! quelle forme saisissante de discussion! quelle originalité de marche! quelle élévation de langage! quelle magie de style! Jamais, dans aucune langue, rien n'a été écrit, dans les temps modernes, qui puisse leur être comparé. Les Grecs auraient appelé ces œuvres divines. Les écrits du divin Platon, du divin Aristote et du divin Cicéron, les plus grands génies du monde païen, ne sont que de pâles lueurs, je dirais presque des jeux d'enfants, vis-à-vis de ces deux chefs-d'œuvre des deux plus grands génies du monde chrétien moderne.

Ce sont des productions de la plus haute portée. L'une réduit au silence le dualiste, le pantheiste, l'athée niant le dogme de la création; l'autre terrasse le déiste rejetant la foi de la Providence. L'une nous montre Dieu créant l'univers par la seule puissance de sa parole; l'autre nous dévoile Dieu gouvernant ce même univers par les conseils de sa sagesse, par les manifestations de sa bonté. L'une est le plus beau livre sur la philosophie de l'histoire, l'autre est l'histoire la plus complète des égarements de la fausse philosophie.

Ce sont des productions étonnantes. On y voit la plus haute raison marchant en compagnie de la plus humble foi, la vraie science répandant à flots les lumières puisées au foyer de la vraie religion, la raison catholique se montrant dans toute sa force, dans toute sa grandeur, dans toute sa majesté; s'élevant à sa plus haute puissance depuis

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