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que. Tantôt il dit que toute hérésie n'a son principe et sa source que dans les systèmes fallacieux de l'ancienne philosophie: Omnes hæreses a philosophia subornantur (De præscription., n. 7); tantôt il ajoute que c'est le génie des anciens philosophes qui a inspiré et animé toutes les hérésies: Sapientiæ professores quorum ingeniis omnis hæresis animatur (De anima); et tantôt, s'en prenant particulièrement à Platon, il n'hésite pas à le proclamer le patriarche de tous les hérétiques : Patriarcham omnium hæreticum. (Contr. Hermag., c. 1.)

Cette filiation funeste de toute hérésie de doctrines et de la méthode de la philosophie ancienne, que les premiers Pères de l'Église ont signalée, est frappante particulièrement par rapport à la foi de la création. Cette foi, base et fondement de toute foi, les apôtres, comme nous l'avons remarqué dans la dernière conférence, l'avaient consignée dans le premier article du symbole qu'ils avaient rédigé sous l'inspiration du Saint-Esprit, et qui commence par ces mots : « Je crois en Dieu, père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre. Credo in Deum, patrem omnipotentem, creatorem cæli et terræ. » Mais la raison philosophique des premiers hérétiques, au lieu de puiser au foyer de cette foi les lumières pour s'éclairer elle-même sur l'origine du monde, voulut puiser en ellemême les lumières pour s'expliquer cette foi; ce

qui était douter de cette foi, renier cette foi, et revenir aux hypothèses, aux conjectures, aux rêves de l'homme touchant l'origine des choses, en mettant de côté la parole et la vérité de Dieu.

3. Nous avons vu déjà qu'en dehors du dogme traditionnel, du dogme chrétien, que Dieu a tout créé du néant, le monde et méme la matière dont il a formé le monde, il n'y a que ces trois systèmes imaginables: 1° que Dieu a fait le monde d'une matière incréée et aussi éternelle que lui-même, et c'est le DUALISME; ou 2o que Dieu a créé le monde de sa propre substance, et c'est le PANTHÉISME; ou 3o enfin, que Dieu n'est pour rien dans l'existence du monde, et c'est l'ATHÉISME. Nous avons vu aussi que dès qu'elle abandonne la foi de la création, la raison humaine n'a que le choix dans ces trois vastes systèmes d'erreurs contenant en eux-mêmes toute erreur, et que la raison philosophique ancienne en était venue là, pour avoir rejeté la foi de l'humanité entière en un Dieu créateur du monde.

Or, en rejetant cette même foi présentée par l'Église, partant en d'autres termes du même principe négatif, la raison philosophique des premiers hérétiques arriva aux mêmes conclusions.

Pour la raison catholique, éclairée par la révélation, Dieu était l'Etre éternel, immense, infini, sachant tout, pouvant tout, gouvernant tout; l'Être saint, digne, bon, miséricordieux et parfait,

C'était le Dieu principe de tout, lui seul n'ayant pas de principe, le Dieu créateur, le Dieu provide, le Dieu législateur, le Dieu maître et juge suprême de l'univers. Mais pour la raison philosophique des hérétiques ayant déserté la foi de la création, ces idées larges, solides, grandioses, magnifiques, élevées, les seules vraies et les seules dignes et propres de Dieu, disparurent l'une après l'autre, et enfin Dieu disparut tout à fait luimême.

Pour les Hermogéniens et les Manichéens, Dieu n'avait créé le monde que d'une matière préexistante de toute éternité, d'une matière mauvaise en elle-même et source de tout mal, mais que Dieu rendit bonne, en quelque manière, étant, lui, bon et la source de tout bien; et voilà le DUALISME.

Pour les Marcionites, le monde n'était qu'une émanation, un épanchement, un déploiement, un rayonnement de la Cause première, de la Nature infinie; et voilà le PANTHÉISME.

Pour les Valentiniens et les Gnostiques, Dieu n'était qu'un être qui ne peut rien, qui ne sait rien, qui n'a pas même la conscience de ses opérations, ni de lui-même; un être qui n'est ni bon ni méchant, qui, loin de l'avoir créé, n'a pas même arrangé, façonné le monde, et qui, dès lors, ne le gouverne pas, ne pouvant pas gouverner ce qu'il n'a pas fait, ce qui ne lui appartient pas. Dieu n'est qu'un être qui, renfermé en lui-même, ne se

mêle de rien, ne s'occupe de rien, ne se soucie de rien, et moins encore des hommes et de leurs opérations, n'ayant rien révélé, rien ordonné; car l'homme, aussi bien que le monde, n'existe que de lui-même. En un mot, le Dieu de ces sectaires, le Plerôme, le Bythe de la Gnose, du mysticisme philosophique des premiers siècles chrétiens, n'était tout bonnement, dit Tertullien, que le Dieu d'Épicure, qui n'en était pas un: Deum qualem jussit Epicurus (Contra Hermog.); et voilà l'A

THÉISME.

4. Toute erreur nouvelle, que produit la pétulance et la méchanceté des hérétiques, ajoute, d'après saint Augustin, au développement et à l'affermissement de la vérité; Improbatio hæreticorum ostendit quid habeat sana doctrina. Ainsi, ces horribles écarts, ces monstruosités de la raison philosophique du premier âge du Christianisme, en donnant l'éveil à la raison catholique, l'engagèrent, dit aussi saint Augustin, à étudier, à approfondir le dogme chrétien, et à le défendre (1). Ce furent donc ces sots blasphèmes contre la foi de la création qui nous ont valu les savants et pro

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(1) Vasa iræ permittuntur ista garrire, ut tamquam de negligentiæ somno excitentur vasa misericordiæ, et, studio res« pondendi pestilentibus maledictis, adhibeant curam salubri<< bus dictis. (Contr. advers. Leg. et Prophet., 14.) »

fonds travaux par lesquels les Justin, les Athénagore, les Tertullien, les Origène, les Minutius Félix, les Arnobe, les Lactance, les Théophile d'Antioche, les Irénée, les Maxime, les Denis d'Alexandrie, les Théodoret, les Eusèbe, les Augustin, ces hommes supérieurs, ces génies, ces flambeaux du christianisme, aussi grands par la simplicité de leur foi que par l'immensité de leur science, aussi profonds philosophes qu'ils étaient humbles chrétiens, ayant sérieusement abordé, développé et environné de nouvelles splendeurs cette même foi de la création, ont, à leur tour, vigoureusement attaqué toutes les erreurs qu'on lui opposait, les ont victorieusement combattues, pulvérisées, anéanties, et fait disparaître de la surface du monde; en sorte que, pendant douze siècles, il n'en fut plus question parmi les peuples chrétiens.

Les philosophes scolastiques, saint Thomas à leur tête, en donnant une nouvelle forme aux anciens arguments des Pères, et en en créant de nouveaux, continuèrent, il est vrai, à démontrer, à défendre le dogme de la création; mais c'était à cause des gentils, des infidèles, des Maures, qui, venant d'envahir la moitié de l'Europe, se flattaient de l'assujettir aux erreurs de leurs doctrines, aussi bien qu'au despotisme de leur domination; et non pas à cause des chrétiens, dont les savants, à de rares exceptions près qui n'inspiraient pas d'inquiétudes sérieuses, gardaient avec une unani

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