Page images
PDF
EPUB

les autres la même impression que sur nous-mêmes, qu'elles sont approuvées par les autres comme nous les approuvons nousmêmes, c'est-à-dire par tous, lorsqu'il s'agit de jugements accessibles à tout le monde; par le plus grand nombre, lorsqu'il s'agit de jugements d'un ordre plus élevé; par les esprits les plus sages, les plus distingués et les plus probes dans la profession des sciences particulières, lorsqu'il s'agit de jugements scientifiques; Probabile est quod probatur omnibus, vel plurimis, vel sapientibus, vel optimis.

Par ce procédé, si l'homme a le bonheur de se trouver dans la vraie Église chrétienne, dépositaire infaillible de toutes les vérités qu'il est important, nécessaire à l'homme de connaître, il peut, par sa raison, développer, démontrer ces mêmes vérités à lui-même et aux autres, en faire sentir la nécessité, l'importance, la conformité avec la raison, et les venger des atteintes que lui portent l'esprit d'erreur, la raison en délire, ou les passions en désordre; il peut répandre de nouvelles lumières autour de ces vérités qu'il a commencé par croire; il peut les approfondir toujours davantage, s'élever toujours plus haut dans leur intelligence, y découvrir des rapports cachés avec d'autres vérités, avec le bonheur de l'homme et le progrès social. Il peut devenir philosophe, faisant de la vraie, de l'utile, de la haute et sublime philosophie. C'est par ce procédé que sont montés si haut les trois plus grands hommes du christianisme, saint Augustin, saint Thomas, et Bossuet.

Si, au contraire, il se trouve hors de l'Église, au milieu d'une société qui a plus ou moins altéré, par des fables, des superstitions ou des erreurs, les vérités et les lois primitives, ou le dogme et la morale chrétienne, il trouve, même dans ces sociétés corrompues, l'idée du Dieu créateur avec les principes de la loi naturelle; vérités primitives et élémentaires que, d'après saint Thomas, il n'est pas donné aux hommes d'effacer tout à fait de leur intelligence et de leur cœur. Alors, à l'aide des raisonnements, dont la foi au Dieu créateur lui garantit l'aptitude, et dont le sens commun de ceux à qui il les manifeste lui prouve la justesse, il peut démêler ce qu'il y a de grossièrement faux et absurde dans les croyances populaires et dans les opinions philosophiques, souvent bien plus grossières et plus pitoyables que les croyances populaires elles-mêmes. Il peut au moins

douter de la fausseté, de l'absurdité de ces croyances et de ces opinions, et s'en méfier, et désirer arriver à la vérité pure et parfaite. Ce désir, s'il est sincère et ardent, est une prière; et une pareille prière, auprès du Dieu de bonté, ne manque jamais son effet, dans l'importante affaire dont il s'agit. Ce même Dieu de bonté, par des moyens extraordinaires aussi, s'il le faut, vient lui tendre une main secourable qui l'aide à marcher, éclaire par des lumières divines sa voie, supplée par la grâce à l'impuissance de la nature, et lui manifeste, par la révélation évangélique, ces vérités de l'ordre surnaturel, ces mystères dont la croyance est indispensable pour le salut, et que l'homme seul ne peut pas atteindre par sa raison. Il l'amène jusqu'aux portes de l'Église, où il n'a qu'à frapper pour qu'on lui ouvre, et qu'on l'y reçoive comme on reçoit un enfant égaré, revenant à la maison paternelle. C'est par ce procédé qu'on voit tous les jours tant de milliers d'hommes, nés au sein de l'hérésie ou de la superstition idolâtre, parvenir a la connaissance de, la vérité catholique, au giron de l'Église.

Mais ôtez de son esprit la croyance au Dieu créateur, et auteur de sa raison et de la vérité qui en est l'objet loin de pouvoir s'expliquer Dieu, l'homme ne pourra s'expliquer luimême. Loin de pouvoir rien atteindre par la raison, il ne sait même plus s'il a une raison, et s'il y a une vérité qui s'y rapporte. Loin de pouvoir déchiffrer une seule des énigmes qui l'environnent partout, il devient lui-même une énigme insoluble à ses propres yeux. Il ne se comprend plus, il ne sait plus ce qu'il est, ce qu'il est venu faire sur cette terre. Ne sachant plus d'où il vient, il ne peut non plus savoir où il va. Il est obligé de conclure par l'affreuse et navrante parole de Socrate: « Je ne suis certain de rien, je ne sais absolument rien, cette unique chose excepté que je ne sais rien de rien; Hoc unum scio: me nihil scire; et le dernier mot de sa raison sera le scepticisme absolu et universel, la négation de sa raison et de luimême.

Mais comme le corps vit par la nourriture, l'intelligence vit par la vérité. Une intelligence donc qui ne sait rien, qui ne croit rien, est une intelligence morte, ayant exhalé son dernier souffle avec la négation et la perte de la vérité; et cette mort, que la négation de toute vérité créée aurait commencé

pendant cette vie, se prolongera dans la vie future par la perte absolue de la Vérité incréée.

L'homme donc qui commence ses recherches philosophiques par dire « Je crois à moi-même comme être existant, puisque je suis un être pensant; Cogito, ergo sum, ne prend dans sa main que le flambeau de cette lumière faible et menteuse que le Livre qui ne trompe pas appelle obscurité et ténèbres : Vide ne lumen quod in te est tenebræ sint (Luc, XI, 35). Il se place au milieu des ténèbres; il s'enfonce dans les ténèbres; tout s'obscurcit autour de lui, tout disparaît pour lui dans l'épaisseur des ténèbres; il devient lui-même ténèbres; Eratis aliquando tenebræ (Ephes. V, 8); et les ténèbres du temps ayant un rapport nécessaire avec les ténèbres de l'éternité, le dernier article de son symbole n'est et ne peut être que celui-ci : « Je crois au néant, à la mort éternelle, et je m'y attends. »

Au contraire, l'homme qui commence par dire : « Je crois en Dieu, père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ; Credo in Deum patrem omnipotentem, creatorem cœli et terræ,» par cela même saisit dans sa main le flambeau de la lumière divine par laquelle seulement toute lumière divine est visible: In lumine tuo videbimus lumen (Psal.); et, de conséquence en conséquence, de lumière en lumière, parvient à connaître, à croire la série merveilleuse de toutes les vérités qu'il lui importe de connaître et de croire, jusqu'à la vérité de la vie éternelle, vérités qui constituent la vie de l'intelligence sur cette terre, en attendant la possession de la Vérité infinie qui est Dieu, et qui constitue la vie de l'éternité; en sorte que « Je crois à la vie éternelle; Credo vitam æternam, » est le dernier article du symbole de son intelligence, comme le désir souverain de son cœur.

C'est ainsi que le premier article de la foi du chrétien : « Je crois en Dieu, père tout puissant, créateur du ciel et de la terre,» est en même temps le fondement de toute religion, et le vrai principe de toute vie intellectuelle, de toute raison, de toute philosophie.

ONZIÈME CONFÉRENCE.

IMPORTANCE DU DOGME DE LA CRÉATION, RÉSULTANT DES ÉGAREMENTS DE LA RAISON PHILOSOPHIQUE MODERNE.

Si Moysen et prophetas non audiunt, neque si quis ex mortuis resurget, credent; S'ils ne croient pas à Moïse et aux prophètes, ils ne croiront non plus au témoignage des morts ressuscités.

(Evangile du second jeudi de Carême.)

[ocr errors]

AR ces graves et profondes paroles qu'il a mises aujourd'hui dans la bouche d'Abraham parlant, du haut du ciel, au mauvais riche tombé au fond des enfers, le Fils de Dieu nous a révélé une grande et importante vérité.

C'est qu'il est si naturel, si nécessaire à l'homme de se soumettre à l'autorité, de se laisser conduire par l'autorité, de vivre d'autorité, que, s'il est assez malheureux et assez téméraire pour rejeter la raison de l'autorité, il finit par rejeter aussi l'autorité de la raison; et qu'en cessant de croire au témoignage des autres, il finit par ne plus croire

au témoignage de ses propres sens, au témoignage de soi-même : Si Moysen et prophetas non audiunt, neque siquis ex mortuis resurget credent (1).

(1) Il n'est pas sans importance de rappeler ici la circonstance qui a donné lieu à cette accablante réponse du patriarche Abraham. Du fond de l'abîme où il avait été enseveli, Sepultus est in inferno; au milieu des souffrances dont il était entouré, Cum esset in tormentis ; n'espérant plus de soulagement dans ses angoisses et dans ses douleurs, le mauvais riche avait dit à Abraham : « Mon père, envoyez au moins Lazare, je vous en prie, dans ma maison paternelle, où j'ai encore cinq de mes frères vivants; chargez-le de leur dire où je suis et ce que je souffre, afin que, plus sages que moi, ils se convertissent pendant qu'ils en ont encore le temps, et n'aient pas le malheur de venir me rejoindre dans ce lieu de tourments: Rogo te, pater, ut mittas Lazarum in domum patris mei; habeo enim quinque fratres, ut testetur illis ne et ipsi veniant in hunc locum tormentorum. « Et Abraham lui avait répondu : » Non, il n'est pas nécessaire d'envoyer Lazare pour apprendre à tes frères qu'une mauvaise vie dans le temps est punie par des supplices sévères dans l'éternité. Ils ont dans leurs mains les livres de Moïse et des prophètes; ils peuvent par ce moyen, s'ils sont dociles, se convaincre, et croire cette grande vérité; Et ait illi Abraham : Habent Moysen et prophetas, audient illos. Mais, père Abraham, insista encore le mauvais riche, ce n'est pas la même chose que de lire un livre et que d'entendre un mort ressuscité parlant des peines de l'enfer. Ah! si Lazare allait lui-même retrouver mes frères et leur disait comment je suis puni de mes péchés, il n'y a pas de doute qu'ils feraient pénitence des leurs: Non, pater Abraham; sed si quis ex mortuis ierit ad eos, pœnitentiam agent. » Sur quoi Abraham réduisit au silence le mauvais riche par cette grande parole: Tu te trompes, mon enfant; si tes frères ne sont pas assez dociles pour croire aux divins oracles tracés dans les livres de Moise et des prophètes, ils ne croiront pas non plus au témoi

« PreviousContinue »