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primitif et indémontrable les facultés de l'homme, pour m'expliquer l'existence et les attributs de Dieu ?

D'abord, rien n'est plus universel, n'est plus constant, n'est plus profondément senti parmi les hommes, que la propension, le penchant qui les pousse à admettre un Dieu créateur et maître de l'homme. Non-seulement Cicéron a reconnu que la croyance en Dieu est inspirée, imposée à tout homme par la nature; Quo omnes, natura duce, vehimur (De Nat. deor., lib. I, c. I.); mais Epicure, ce grand athée de l'antiquité, ce maître d'athéisme d'autant plus funeste qu'il a été plus hypocrite, cet ennemi acharné de toute religion et de toute divinité, a reconnu et avoué, lui aussi, que c'est la nature elle-même qui a donné à tous les hommes l'idée de l'existence et de l'éternité heureuse de Dieu, et l'a profondément sculptée dans leur esprit et dans leur cœur; Quæ enim nobis natura informationem deorum ipsorum dedit, eadem insculpsit in mentibus, ut deos æternos et beatos haberemus (loc. citat.).

Or, si la propension, le penchant qu'ont tous les hommes à admettre la certitude, est un motif suffisant de l'admettre comme fait et sans démonstration; à plus forte raison la propension, le penchant que, de l'aveu des athées eux-mêmes, ont tous les hommes à admettre l'existence d'un Dieu créateur et maître de l'homme, sont un motif plus que suffisant d'admettre comme fait primitif, et sans une démonstration préalable, cette grande vérité.

Il est vrai que l'homme puise la connaissance de Dieu dans la société, l'apprend de la société, qui en conserve toujours et partout le dépôt, comme la base première de son existence et la condition inévitable de sa durée. Mais il est vrai aussi qu'à peine cette connaissance se montre à l'esprit de l'homme, elle y rencontre une merveilleuse sympathie, un instinct violent qui la fait accueillir avec empressement, saisir avec bonheur. Il en est de l'homme moral, en présence de la première révélation qu'on lui fait de Dieu, ce qui en est de l'homme physique en présence de sa mère, lui offrant pour la première fois son sein. En entendant pour la première fois le nom du Dieu vivant, tout l'homme s'émeut; son corps même, aussi bien que son esprit et son cœur, tressaille de joie; Caro mea et cor meum exultaverunt in Deum vivum. Il reçoit, avee un

sentiment dont il ne peut pas se rendre compte, cette première notion, la plus importante de toutes celles que lui fournit la société ; il la dépose en lui-même comme une chose précieuse; il l'aspire, se l'assimile, en fait la première nourriture de son intelligence, la base de sa raison, le principe de toutes ses connaissances, le premier élément de tout son être moral, que rien ne peut lui arracher, lui faire entièrement perdre ni entièrement oublier.

Si donc, en fait de certitude, il faut toujours commencer par admettre un fait, un principe quelconque, sans aucune démonstration préalable, n'est-il pas mille fois plus raisonnable, plus simple, plus naturel que ce fait, ce principe soit la foi au Dieu créateur et Seigneur de l'homme, plutôt que tout autre principe et tout autre fait ? Ce fait, ce principe a au moins cet avantage sur tous les autres, qu'il porte sa démonstration, sa preuve, sa vérité avec lui-même et en lui-même, par la promptitude de l'adhésion qu'il obtient, par l'énergie du sentiment qu'il inspire, par l'empire avec lequel il s'établit dans l'homme : empire puissant, absolu, inébranlable, et qui résiste à toute révolte de la raison, à toute émeute des passions.

Deuxièmement. Saint Thomas a remarqué que, par rapport aux causes secondes, tout effet étant proportionné à sa cause, la manifeste tout entière; mais qu'il n'en est pas de même par rapport à la cause première, à Dieu. Les créatures sensibles sont de véritables effets par rapport à Dieu; mais ces effets finis n'étant pas proportionnés à Dieu, cause infinie, ne la manifestent pas, ne peuvent pas la manifester tout entière. On ne peut donc parvenir, par la connaissance du monde sensible, à la connaissance de toute la vertu de Dieu, de tous ses attributs; et par conséquent encore on ne peut guère se former, par ce même moyen, une juste idée de l'essence de Dieu : Creaturæ sensibiles sunt effectus Dei, virtutem causæ non adæquantes. Unde ex sensibilium cognitione non potest tota Dei virtus cognosci, et per consequens nec ejus essentia videri (1, p. q. 12 av. 12). Mais puisque les créatures, dit encore saint Thomas, sont des effets ayant un rapport nécessaire avec la cause première, qui est Dieu, nous pouvons, par l'existence des créatures, nous élever à la connaissance que Dieu est, qu'il est un être par soi tout-puissant, éternel; c'est-à-dire que nous

pouvons nous élever à la connaissance de tous les attributs qui conviennent à Dieu, en tant qu'il est cause première excédant, en vertu, tout ce qu'il a causé: Sed quia sunt effectus a causa dependentes, ex eis in hoc perduci possumus ut cognoscamus de Deo AN EST? et ut cognoscamus de ipso ea quæ necesse est ei convenire, secundum quod est prima omnium causa, excedens omnia sua causata.

Ainsi, d'après saint Thomas, par la considération des créatures on ne peut s'élever qu'à ce que saint Paul appelle le cognoscible de Dieu, yvwstòv toŭ Oɛoù, quod notum est Dei, ou bien à ce qu'il est possible de connaître par rapport à Dieu comme auteur de la création; mais on ne peut pas s'élever à la connaissance de Dieu pure, entière et parfaite. Une telle connaissance, comme le même saint Thomas l'a démontré dans son fameux passage de la Somme contre les Gentils, que j'ai cité plus haut, ne peut s'obtenir que par la révélation que Dieu a daigné faire lui-même; et de là la nécessité que l'homme ait reçu cette connaissance par l'instruction de la foi Et ideo necesse fuit ut ea per modum fidei traderentur. C'est cela qui a fait dire à tous les apologistes de la religion, et dernièrement à M. de Bonald, que « le christianisme seul donne les vraies idées de Dieu. »>

Saint Thomas a aussi remarqué que, par la même raison, même ceux des anciens philosophes qui ont admis l'existence d'un seul Dieu, n'ont pas eu l'idée que Dieu est l'Être le plus parfait qu'on puisse imaginer: Non omnibus concedentibus Deum esse, Deus cst id quo nihil majus cogitari potest. Et l'histoire de la philosophie, en nous ayant transmis toutes les platitudes, toutes les grossièretés, toutes les erreurs que les plus grands philosophes (voir plus haut la note 18) ont mêlées à beaucoup de vérités touchant Dieu, nous a donné la preuve historique de ce même fait dont saint Thomas a donné la preuve rationnelle: Qu'on ne peut par l'homme s'expliquer complétement Dieu.

Mais le contraire est exactement vrai, c'est-à-dire que par Dieu on peut s'expliquer parfaitement l'homme.

En effet, en commençant par admettre que l'homme n'est pas le produit du mouvement aveugle, des forces mécaniques de la matière, mais l'œuvre admirable de Dieu même, et que ce Dieu est aussi véridique qu'il est provide, tout-puissant et parfait;

on comprend que Dieu n'a donné à l'homme l'intelligence et les sens que pour connaître les êtres extérieurs et Dieu lui-même, qu'il y a équation entre ces sources de la connaissance humaine et la réalité des choses; on comprend qu'une double loi existe pour règle de l'esprit et du cœur de l'homme, c'est-à-dire des vérités qu'il doit croire, des devoirs qu'il doit remplir; on comprend que l'homme, mis au monde pour connaître Dieu et accomplir ses volontés, doit, après sa mort, recevoir une récompense de sa fidélité ou une punition de sa désobéissance à cette double loi de Dieu, et que cette récompense ne peut être que la possession, et cette punition que la séparation ou la perte, du Souverain bien, qui est Dieu lui-même; on comprend, en un mot, tout l'homme, son origine, son état sur la terre, l'usage 'qu'il doit faire de ses facultés, sa grandeur, sa fin, et sa dernière destinée.

§ XXV. Plan admirable de la Providence, ayant établi que l'homme commence par la foi. Facilité avec laquelle l'homme peut, par ce procédé, parvenir à la vérité et même à l'Église. Misère de l'homme qui commence par dire : Je crois à moi-même. Le dogme de la création, principe de toute philosophie.

Oh! que ce plan, cette économie de la providence de Dieu par rapport à l'homme, est admirable!

Dieu, ainsi qu'il est prouvé par l'Écriture sainte, le raisonnement et les traditions, en créant l'homme s'est révélé lui-même à l'homme comme son créateur, son père et son maître. Le genre humain, même après qu'il se jeta en grande partie dans les ténèbres de l'idolâtrie, n'a jamais entièrement perdu ces notions de Dieu. Les peuples les plus barbares et les plus superstitieux ont toujours conservé plus ou moins pures ces mêmes notions; ils ont toujours cru à l'origine divine de l'homme, à la création de l'homme par Dieu, et à toutes les conséquences qui en dérivent. Cette foi, sans laquelle aucune société n'a jamais existé et ne saurait exister, est restée et res tera toujours debout dans toute société.

L'homme, en naissant, ne se développant que dans la société et par la société, y trouve, y puise l'idée du Dieu son créateur. Fort de cette idée, de cette foi du Dieu auteur de

son intelligence, de sa raison et de ses sens, il croit aussi d'une manière invincible que cette intelligence, cette raison et ces sens ont, de par Dieu lui-même, un rapport nécessaire avec la réalité des êtres dont ces moyens de connaissance lui attestent l'existence. Il croit donc avec la même force à l'existence des corps, à la vérité de tout ce qui existe hors de lui-même, aussi bien qu'à la vérité de tout ce qui se passe en lui-même. Pour les vérités premières, pour les premiers principes, pour les idées de simple perception, il croit, sans s'en douter, à cet axiome de saint Thomas: Que sa raison ne lui fait jamais défaut : Intellectus simpliciter percipiens semper est verus. Il croit que ses sens aussi sont pour lui des témoins sincères et fidèles dans tout ce qui est de leur ressort: Sensus circa sensibile proprium semper est verus. Ainsi il n'a pas besoin d'autres témoignages que celui de sa propre intelligence, de sa propre raison, de ses sens, pour croire invinciblement qu'il pense, qu'il sent, que les simples perceptions de sa raison et de son intelligence sont vraies, ainsi que les sensations qui lui attestent l'existence d'autres hommes et d'autres êtres hors de lui.

L'expérience lui apprend que lorsqu'à l'aide de son intelligence il compose, divise ou déduit, c'est-à-dire lorsqu'il juge ou raisonne, il lui est possible de se tromper, par rapport aux choses purement intellectuelles: Error est in intellectu componente vel dividente. L'expérience lui apprend aussi qu'il lui est possible d'être trompé par ses sens, par rapport aux choses physiques, lorsque son esprit ou ses sens sont malades ou mal appliqués. Dans ces cas, pour s'assurer qu'il a bien raisonné ou que ses sens sont sains, et qu'il a fait l'usage qui leur est propre, il a la ressource de consulter le sens commun, qu'il n'a pas besoin de supposer comme un fait, mais dont ses simples perceptions lui attestent infailliblement l'existence.

Et s'il voit que ses raisonnements produisent dans les autres la même évidence, la même certitude qu'en lui-même; s'il voit que les autres portent sur les objets physiques le même jugement que lui; il ne lui reste aucun doute que ses évidences sont vraies, et qu'il a fait un usage légitime de sa raison et de ses sens. Car, pour nous convaincre, disait Aristote, que nos évidences intellectuelles ou physiques sont vraies, il suffit de voir, à l'aide de la simple perception qui ne trompe jamais, qu'elles font sur

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