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Or, cet ontologisme chrétien est celui de l'auteur; le voilà donc faisant lui-même justice de son argumentation, où il a prétendu combattre le scepticisme moderne sans la foi en Dieu; le voilà plaçant, lui aussi, la foi avant le raisonnement, la religion avant la philosophie, la croyance en Dieu comme l'unique moyen d'expliquer l'homme; et, comme l'avait fait Descartes, le voilà établissant lui aussi, en Dieu, la source de la vérité, la preuve de l'évidence, le fondement de toute certitude et la base de toute autorité.

D'autres réponses, mais certes pas meilleures, sont faites au scepticisme en dehors du principe de la véracité divine de Descartes. Elles consistent à dire, avec l'auteur des Prælectiones philosophicæ, faisant les plus louables efforts pour combattre le scepticisme : Qu'on doit admettre la certitude objective, ou l'existence du rapport entre la perception et la chose perçue, de la même manière qu'on admet la certitude subjective, comme un fait primitif dont l'existence est certaine, quoiqu'elle ne puisse pas être démontrée; Admittenda est igitur certitudo objectiva eodem modo ac subjectiva, scilicet velut factum primitivum cujus existentia constat, sed demonstrari non potest. (Tom. II, pag. 369.)

Mais est-ce que nous sommes des enfants, reprennent les sceptiques, puisque vous nous croyez capables d'admettre comme un fait vrai un fait qui n'est pas et qui ne peut être démontré? Est-ce qu'on peut admettre, sans démonstration, une doctrine d'une si haute portée? N'est-ce pas asseoir sur l'incertain, sur le néant, le fondement de toute certitude et de toute vérité? Voulez-vous qu'on commence par vous accorder, sans aucune preuve, ce qui doit servir à prouver tout le reste? qu'on reçoive comme certain ce qu'on ne peut pas même démontrer comme probable? et qu'on mette hors de question ce qui forme toute la question? Mais est-ce là raisonner? est-ce philosopher? Oui sans doute, insistent les dogmatistes. C'est précisément par là qu'il faut commencer. Vous devez supposer sans démonstration et comme un fait l'existence de la certitude, et cette supposition doit précéder toute dispute, toute discussion philosophique; Existentia certitudinis admittenda est ut factum indemonstrabile, cujus suppositio omnem disputationem philosophicam præcedere debet. Car hésiter à admettre ce fait

c'est mettre en doute l'intelligence humaine. Exiger de l'homme qu'il prouve son intelligence est le comble de l'absurdité, parce que nous aurions besoin pour cela d'une autre intelligence distincte de la première : Quicumque circa illum factum ambigeret, intelligentiam humanam in quæstionem revocaret; porro a nobis exigere ut nostræ intelligentiæ probemus existentiam, cumulus foret absurditatis : ad hanc enim demonstrationem nobis necessaria foret intelligentia a priori distincta.

Comment, répondent les apologistes du doute, est-ce vous autres, cartésiens, qui osez dire que c'est le comble de l'absurdité que d'exiger qu'on prouve l'intelligence avant de croire à l'intelligence; vous qui savez que Descartes n'a fait que cela, lorsque, cherchant à prouver l'intelligence humaine par l'intelligence divine, il a déclaré qu'avant de s'être assuré que Dieu n'a pas donné à l'homme la raison comme un instrument d'erreur, il ne pouvait être certain de rien, pas même de la clarté et de la distinction de ses propres idées?

On a beau dire aussi que le scepticisme répugne; que ses sectateurs, en admettant la réalité des phénomènes de la conscience et de la pensée, les notions, les idées, les jugements, les raisonnements, et rejetant toute réalité objective de ces mêmes phénomènes, sont en contradiction avec eux-mêmes. Ils vous déclarent qu'ils admettent ces faits intérieurs de l'homme comme des énigmes inexplicables et inexpliquées de son existence, comme des jeux incessants de l'esprit ou des illusions perpétuelles des sens, sans rien affirmer touchant leur cause; et que, dès lors, ils ne se contredisent pas en avouant qu'ils ne savent pas si tout cela a un rapport nécessaire avec des réalités extérieures vraiment existantes.

On a beau dire encore que le scepticisme répugne à tous les penchants de la nature, qui, plus forts que les raisonnements, entraînent à admettre plusieurs choses comme certaines, même l'homme s'efforçant de prouver qu'on ne peut être certain de rien. « Qu'est-ce en effet que la nature? vous disent les sceptiques. Est-ce qu'on sait rien sur la nature des êtres? Et qui vous assure que les penchants de la nature sont des règles légitimes qu'il faut suivre, et ont un but réel qu'il faut atteindre? Qui donc aurait donné à ces penchants un tel but? On ne sait rien de tout cela, on n'y comprend rien; et com

ment les apologistes des penchants de la nature ne voient-ils pas que, parmi ces penchants qui entraînent l'homme malgré lui, il y a aussi celui de rejeter tout ce qu'on ne comprend pas? Et d'ailleurs, est-ce que l'homme agit parce qu'il est certain de quelque chose? Est-ce qu'il a besoin de la certitude pour agir? » Et là-dessus, en se faisant l'écho des anciens, les nouveaux académiciens vous prouvent que l'homme n'agit, le plus souvent, que d'après de pures probabilités; qu'on peut vivre au jour le jour, en poursuivant ce qui paraît devoir plus ou moins probablement amener le bonheur; et qu'en attendant, dispensé d'admettre aucune vérité absolue et aucune obligation certaine, maître parfait de lui-même, l'homme est libre de penser comme il veut et de vivre comme il pense; et que la vie des sceptiques n'étant que cela, ils n'en vivent pas moins, et n'en sont pas plus malheureux que les autres.

On a beau dire, enfin, que le scepticisme serait la destruction de toute religion, de toute morale, de toute loi, de tout devoir, et par conséquent de toute société; les sceptiques ne s'effrayent pas pour si peu. Ils admettent à peu près ces conséquences de la doctrine qu'ils professent; seulement, au lieu d'un inconvénient, ils ne voient, dans ces destructions, qu'un avantage pour l'humanité, un progrès.

Si donc on ne commence par admettre la foi au Dieu créateur du monde en général et de l'homme en particulier, seule foi qui explique les rapports entre les facultés de l'homme et les objets extérieurs, aussi bien que les rapports de tous les êtres entre eux qui constituent l'ordre universel, il n'y a pas moyen de prouver aux sceptiques qu'ils sont absurdes en admettant le doute comme un fait primitif et indémontrable; tandis que les dogmatistes en sont réduits à admettre, eux aussi, comme un fait primitif et indémontrable, l'existence de la certitude. Il n'y a pas moyen de combattre les arguments du scepticisme; et il faut en venir au refrain de Descartes, qu'on ne peut être certain d'aucune chose: Non videor de ulla re certus esse unquam posse.

§ XXIV. Puisqu'il est universellement admis, en matière de certitude, qu'il faut toujours commencer par admettre quelque chose comme un fait, et sans démonstration, il est infiniment plus raisonnable de commencer par admettre comme fait primordial le dogme de la création de l'homme par Dieu, que le rapport de la raison avec la vérité, ce dogme étant gravé profondément dans le cœur de l'homme, et pouvant seul expliquer sa raison et sa destinée.

Rien n'est d'ailleurs plus raisonnable que d'admettre comme un fait primitif et indémontrable à priori l'existence d'un Dieu créateur.

On vient de voir que l'école cartésienne elle-même nous somme d'admettre la certitude comme un fait primitif et indémontrable, et qu'elle prétend que cette supposition doit précéder toute discussion philosophique, sous peine de ne pouvoir faire un pas en philosophie.

On se rappelle que l'école lamennaisienne prétendait, elle aussi, que nous devions admettre comme un fait primitif et indémontrable l'autorité du sens commun, à peine de ne pouvoir être certains de rien, pas même de notre propre existence.

On sait que les autres écoles philosophiques, qui ne veulent pas du scepticisme, sont toutes d'accord dans ce principe: Qu'il faut croire à la raison sans, raison, sous peine de ne pouvoir plus raisonner.

L'auteur de la Législation primitive a dit quelque part:

« Nous cherchons le principe de nos connaissances dans nos « idées et dans nos sensations; mais ces idées et ces sensations « sont nous-mêmes, qui pensons et qui sentons. Nous jugeons « donc de nos idées et de nos sensations avec nos idées et nos « sensations; et nous n'avons pour apercevoir, distinguer, clas<< ser les diverses opérations de notre esprit sur les idées et << les sensations, que notre âme, notre esprit qui les reçoit, « ou plutôt qui est lui-même les uns et les autres. Mais « notre esprit n'est qu'un instrument qui nous a été donné « pour connaître ce qui est hors de nous; et, lorsque nous l'employons à s'étudier lui-même, nous le faisons servir tout << à la fois et d'instrument pour opérer, et de matière même de « notre opération : labeur ingrat, et SANS RÉSULTAT POSSIBLE.

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«Au lieu d'attacher le premier anneau de la chaîne de nos « connaissances à quelque point fixe hors de l'homme, cet « anneau nous le tenons d'une main, et nous étendons la a chaîne de l'autre ; et nous croyons la suivre, lorsqu'elle nous a suit. Nous prenons en nous-mêmes le point d'appui sur leaquel nous voulons nous enlever; en un mot, nous nous pen• sons nous-mêmes, ce qui nous met dans la position d'un « homme qui voudrait se peser lui-même sans balance et « sans contre-poids. JOUETS de nos propres illusions, nous a nous interrogeons nous-mêmes, et nous prenons l'écho de « notre propre voix pour la réponse de la vérité. C'EST AU DEHORS QU'IL FAUT DIRIGER NOS RECHERCHES. » Or, ce DEHORS auquel il faut diriger nos recherches, ce sont les croyances sociales, les croyances universelles, que, pour M. de Bonald, il faut admettre même avant la raison.

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En sorte qu'il est universellement convenu que, en matière de certitude, il faut commencer par admettre un principe quelconque, une doctrine quelconque comme un fait qu'on ne peut pas démontrer; qu'il faut admettre que nous avons une raison, que nous avons des sens, et que cette raison lorsque nous en faisons un usage légitime, ces sens lorsqu'ils sont sains et appliqués à des objets de leur ressort, nous attestent la vérité. C'est-à-dire qu'il faut croire avant de raisonner, et que le philosophe qui ne veut pas s'égarer, aussi bien que le théologien, doit commencer par un acte de foi.

Or, puisque ce besoin est reconnu, au moins d'une manière implicite et pratique par tout le monde, est-il donc absurde de changer l'objet de cet acte inévitable de foi, et de commen. cer par croire en Dieu sans démonstration, au lieu de commencer par croire, sans démonstration, à soi-même ?

Puisque je suis dans une condition telle que je ne puis pas me dispenser de commencer par croire pour arriver à raisonner, n'est-il pas plus raisonnable de commencer par la foi en Dieu que par la foi dans l'homme?

Puisque je suis obligé d'admettre, avant tout, quelque chose comme un fait primitif et indémontrable, n'est-il pas plus raisonnable d'admettre, comme un fait primitif et indémontrable à priori, l'existence et les attributs de Dieu, pour m'expliquer les facultés de l'homme, que d'admettre comme un fait

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