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Le même auteur nous assure aussi que, d'après Descartes, la véracité divine est le principe de la certitude secondaire, en tant qu'elle est le fondement unique sur lequel cette certitude repose, et que c'est par la véracité divine que la certitude secondaire se réduit, elle aussi, au critérium universel; Veracitas divina, juxta Cartesium, est certitudinis secundariæ principium; est enim fundamentum cui hæc unice innititur, et cujus ope ad criterium universale redigatur. C'est dire que la véracité divine est, en dernière analyse, le fondement de toute certitude.

Enfin, l'auteur des Prælectiones nous atteste que ce principe de la véracité divine, servant de base unique à la certitude secondaire, a été plus ou moins explicitement admis comme légitime par TOUS les disciples de Descartes, quoique tous ne le proposent pas de la même manière, et qu'en général tous ceux qui, d'accord avec le philosophe de Clermont, placent dans la perception, prise dans le sens le plus strict, le critérium de la certitude, sont au fond, sur ce sujet, du même avis que Descartes; Idem principium (veracitatis divinæ), tamquam legitimum admittitur, plus minusque explicite, ab omnibus Cartesii discipulis, licet ab omnibus in eadem forma non proponatur. Imo cum Cartesio, in hac parte, consentiunt quotquot criterium certitudinis nobiscum reponunt in perceptione in sensu stricto intellecta. (Ibid., page 404.)

Ainsi, de l'aveu des cartésiens eux-mêmes, tout le système de Descartes et de son école, touchant la certitude, se réduit à ceci :

10 Tout ce dont nous avons une idée aussi claire et aussi distincte que l'idée que nous avons de cette proposition : Je pense, donc je suis, est vrai.

2o Mais puisqu'il arrive souvent que des choses dont nous avons une idée claire et distincte ne sont pas vraies; pour nous assurer de la vérité de nos idées claires et distinctes, il faut voir si tous les autres hommes, placés dans les mêmes conditions que nous, ont, eux aussi, la même idée claire et distincte de la même chose; car si tous les autres hommes perçoivent la même chose de la même manière que nous, il n'y a pas de doute que notre idée claire et distincte est vraie : une perception que tous les hommes reçoivent de la même manière ne pouvant pas être trompeuse; une telle perception n'étant que le témoi

gnage sincère et fidèle du rapport entre la vérité de la chose et la perception qu'on s'en est formée.

3o Mais qu'est-ce qui nous assure que ce que tous les hommes perçoivent de la même manière est vrai; et que l'idée claire et distincte de tous les hommes, touchant une même chose, est le témoin sincère et fidèle d'un rapport réellement existant entre la perception et la chose? C'est la véracité de Dieu. Car Dieu ayant donné à l'homme la raison et les sens comme moyens de connaître, et un Dieu véridique n'ayant pu donner à l'homme ces moyens que pour connaitre ce qui est vrai, il a dû établir un rapport essentiel, nécessaire, entre la vérité des choses et les idées claires et distinctes que tous les hommes s'en forment par les moyens que Dieu leur a donnés.

D'après cette théorie cartésienne, avant d'admettre que Dieu existe, qu'il a créé l'homme, qu'il lui a donné des moyens qui, dans certaines conditions, lui attestent la vérité des choses, on ne peut être certain de rien; on ne peut pas même être certain de l'aptitude des propensions et des évidences universelles de tous les hommes, et moins encore de l'aptitude des propensions et des évidences particulières de chaque homme, à nous assurer la vérité. Et c'est cette conséquence que Descartes a reconnue et avouée de la manière la plus explicite et la plus formelle par ces mots : « Avant de savoir que Dieu existe et qu'il ne peut être trompeur, il n'y a pas une seule chose dont je puisse jamais être certain; je ne puis pas même être certain de la vérité de mes perceptions: Examinare debeo an Deus sit et an possit esse deceptor. Hac enim re ignorata, non videor de ulla alia plane certus esse unquam posse. C'est dire, en d'autres termes, que, sans la foi au Dieu créateur, le scepticisme est inévitable.

§ XXII. Développement du même principe: Que, sans la foi au Dieu créateur, le scepticisme est inévitable. La nature, à moins qu'on n'entende par ce mot le Dieu créateur, n'a pas pu établir des rapports nécessaires entre la perception et la vérité des choses.

Pour les philosophes chrétiens, qui, à l'exemple de Descartes, n'ont pas eu garde d'abjurer le christianisme pour faire

de la philosophie, et qui, avec les doctrines de Descartes, ont hérité de sa foi, il leur a été facile d'éviter le scepticisme. La foi au Dieu créateur de l'homme et auteur de toutes ses facultés, et dès lors aussi la foi dans ce principe, Qu'il y a un rapport nécessaire, essentiel, entre les facultés qu'a l'homme de connaitre et la vérité des choses connues, forme la base de la raison universelle de tous les peuples chrétiens. C'est sur cette base qu'ils fondent toute leur philosophie pratique, lors même qu'ils paraissent n'y faire aucune attention.

Mais il n'en a pas été, il ne pouvait pas en être ainsi pour les anciens philosophes voulant établir le dogmatisme. On vient de voir quelles étaient leurs idées sur Dieu et sur l'homme. Lorsqu'ils écrivaient en historiens des traditions, des croyances universelles de l'humanité, et en mettant de côté leurs rêves philosophiques, ils ont, il est vrai, laissé échapper de leur esprit et de leur cœur de nobles et magnifiques pensées, des sentiments sublimes touchant la Divinité et l'origine de la raison humaine et de la loi naturelle. (Voy. Conférence 1, §§ 5 et 6, notes). Mais, ainsi que Lactance nous l'a fait remarquer, ce n'étaient que des idées fugitives, des mouvements passagers, que leur arrachait la force et la lumière de la vérité; et il n'en est pas moins vrai que, en tant que philosophes, et ne faisant que de la philosophie, leurs idées arrêtées, habituelles sur Dieu et sur l'homme étaient pitoyables, et bien plus grossières, plus absurdes, plus stupides que celles des peuples les plus barbares et les plus superstitieux.

Pour ces grands raisonneurs de l'antiquité écoutés de près, Dieu n'était au fond, tantôt qu'une intelligence ayant un corps à elle, ou s'étant unie au monde comme à un corps; tantôt que l'âme du monde, la nature, l'énergie de la matière, le feu, le mouvement, la fatalité : en d'autres termes, Dieu n'était point du tout. Ceux même de ces philosophes qui ont fait à Dieu la grâce de lui accorder d'avoir arrangé le monde d'une matière préexistante, ne lui ont jamais attribué d'avoir créé l'homme, ni de lui avoir donné la raison pour le connaître, le cœur pour l'aimer, avec l'instinct de le posséder.

Pour les panthéistes, la raison humaine n'étant qu'une parcelle de la raison divine, l'homme n'était pas plus capable

de reconnaître la vérité que de l'aimer; et il n'était qu'un être purement passif, assujetti à subir toutes les modifications de l'etre infini dont il fait partie. Pour les autres philosophes, l'âme humaine n'était que de la même substance que l'air ou le feu, n'étant sortie que de la terre, comme tout ce qui se trouve sur la terre. L'horrible hypothèse de l'état sauvage (on le nommerait mieux « brutal, » comme ayant été l'état primitif et naturel de l'homme) était admise par l'école de Zénon, aussi bien que par celle d'Épicure (Voy. Conférence 1, § 5). Aristote lui-même, le philosophe qui a le mieux parlé des opérations de l'entendement humain, a cru lui faire un grand honneur en Jui accordant d'après Varron, que nous avons cité plus haut, d'avoir été formé d'un cinquième élément tout particulier : de l'éther subtil, dont sont formés les astres; Quintum genus singulare Aristoteles quoddam esse rebatur e quo essent astra, MENTESQUE.

Or, avec de pareilles idées sur l'origine et la nature de l'âme, on ne la concevait, on ne pouvait la concevoir que comme le résultat aveugle de la matière, le jeu de hasard des éléments et des forces de la nature, tout comme les animaux et les plantes. L'intelligence divine n'était pour rien dans la formation de l'inteligence humaine, ni dans la nature, l'ordre et le but de ses facultés. Ces facultés n'avaient aucun but fixe, naturel, préétabli d'avance par une intelligence supérieure. D'après ces principes, l'homme ne connaît que par hasard, comme c'est par hasard qu'il sent; et il n'y a aucun rapport naturel, nécessaire entre l'existence de ses perceptions et la réalité des choses qui les produisent; l'homme n'a aucune raison pour croire à la vérité de ce que lui atteste sa raison, il n'a aucun moyen certain de distinguer les vraies évidences des fausses, la vérité de l'erreur.

C'est-à-dire qu'avec les idées que la raison philosophique ancienne s'était formées sur l'origine et la nature de l'âme, dont elle méconnaissait ou niait l'origine divine par création, il lui était impossible de lui reconnaître des facultés naturelles d'atteindre la vérité, ni des critérium pour s'assurer de la certitude; et le scepticisme devait, de toute rigueur, sortir de tout cela comme une conséquence naturelle, nécessaire, inévitable. On vient de voir, en effet, que Cicéron ne l'établit que sur

cette base, et qu'aussi sur cette base le scepticisme de Cicéron est inébranlable, tout comme le dogmatisme de Lucullus n'est qu'une niaiserie, une contradiction et une absurdité.

Il en a été de même, ainsi qu'on va le voir, de la raison philosophique moderne, qui, ayant adopté les principes de Descartes sans la foi de Descartes, a nié la création de l'homme, et particulièrement la création de l'âme du néant. Cette négation admise ou supposée, il a été impossible à la raison philosophique d'établir que les facultés de l'âme humaine ont pour leur but naturel la connaissance et l'amour de la vérité. Cette raison philosophique cherchant à discuter la question de la certitude en dehors de toute croyance en Dieu, a été obligée, ainsi qu'il est clair par le procédé de Kant, de nier toute espèce de certitude, toute vérité absolue. Car, en dehors de la foi au Dieu créateur de l'homme, au Dieu auteur de la raison et des sens de l'homme, on ne parviendra jamais à établir, d'une manière certaine et assurée, qu'il y a un rapport essentiel entre ce qu'on connaît par la raison ou par les sens, et la vérité.

En vain dirait-on que nous sommes d'une manière invincible poussés par la nature à admettre quelque chose comme certain.

Si par le mot «< nature » on entend un être intelligent, ayant donné à l'homme les facultés dont il jouit, l'on revient à la foi au Dieu créateur de l'homme, ordonnateur de ses facultés, souverain maître de ses actions, et terme dernier de son bonheur. Mais si par le mot « nature » on entend un être privé d'intelligence, ou l'ensemble des lois de la matière, le jeu du mouvement; dans ce cas, les facultés de l'homme n'ayant pas eu une cause intelligente, n'auront pas non plus un but intelligent, ne seront plus en rapport rationnel ni en harmonie avec la vérité. Cette prétendue nature, en formant l'homme, aurait joué, elle n'aurait pas opéré; car opérer, c'est se proposer un but; et se proposer un but, c'est être intelligent. Semblables à des pièces d'or ou d'argent qui, manquant de l'effigie du souverain, n'ont pas cours comme monnaie dans le public, les facultés de connaître, de juger, de raisonner, considérées dans l'homme en dehors du grand privilége d'avoir eu Dieu même pour auteur, dépouillées de l'empreinte sublime de Dieu, ne sont plus rien, ne sont que des non-valeurs qui n'indiquent rien, qui n'aboutissent à rien, avec lesquelles on ne peut rien prouver ni s'assurer de

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