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quorum mendaciis et de sorite quas plagas ipsi contra se stoici texuerunt. »

A cette argumentation de Cicéron, Lucullus ne répondit que par ces mots : « Je ne regrette point que nous ayons eu ce long entretien. Nous pourrions nous réunir souvent, et nous pourrions alors développer ce qui nous paraît plus vrai; Non moleste fero nos hæc contulisse. Sæpius enim congredientes nos, si quæ videbuntur requiremus. » Ce qui, en d'autres termes, n'était autre chose que s'avouer battu.

« Pour moi, reprit Catulus, j'en reviens à l'avis de mon père, qu'il disait être celui de Carnéade, c'est-à-dire que je crois qu'on ne peut être certain de rien; qu'on ne peut rien percevoir, rien comprendre comme certainement vrai; Ego ad patris revertor sententiam, quam quidem ille Carneadeam esse dicebat: ut percipi nihil putem posse.

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Quant à Hortensius, je pense, dit-il en riant, qu'il faut suspendre et ajourner toujours ce jugement; Tum ille (Hortensius) ridens: Tollendum. »

« C'est très-bien, repart Cicéron; c'est justement là la doctrine de l'Académie que j'ai soutenue, qu'il faut toujours suspendre et ajourner ses jugements; Teneo te, inquam. Nam ista Academiæ est propria sententia. »

En sorte que Catulus et Hortensius, qui n'ont presque rien dit dans ce dialogue, paraissent n'y avoir été introduits que pour être témoins de la défaite du dogmatisme stoïcien dans la personne de Lucullus; pour applaudir au triomphe du doute académique, dans la personne de Cicéron; pour se ranger, eux aussi, de son côté ; et pour attester par là, au nom de tout ce que Rome avait de plus sérieux et de plus éclairé, que les plus grands hommes de la ville éternelle de ce temps-là n'étaient tous, au fond, que de véritables sceptiques.

«En voyant s'accréditer ces dangereuses opinions, a dit le « dernier traducteur français de ce livre de Cicéron, on sent « que l'on assiste à la dissolution de la société antique; que a le monde va être livré à de longs déchirements, jusqu'à ce que, du milieu des ruines, s'élève un nouvel ordre de choses. « Ajoutons que si, par les perpétuelles hésitations de sa vie, « Cicéron nous présente un commentaire vivant de ses tristes doctrines, du moins sa mort héroïque leur a donné un écla

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tant démenti (DEL CASSO, INTRODUCTION au second livre des Académiques de Cicéron). » Voilà donc un des plus fougueux admirateurs de la philosophie ancienne et de Cicéron en particulier, qui nous avoue que la raison philosophique ancienne, ayant abouti au scepticisme, a livré la société antique à sa dissolution, et le monde à de longs déchirements; que les doctrines de Cicéron étaient vraiment tristes; que sa vie a été un flux et reflux perpétuel d'hésitations entre le bien et le mal, tout comme sa philosophie a été un flux et reflux perpétuel entre le vrai et le faux. Quant à l'héroïsme de sa mort, il est bien loin d'être démontré. Cicéron ne paraît avoir offert son cou au glaive du bourreau que comme le fait tous les jours le mahométan stupide, et en vertu du même principe: qu'il faut se résigner à son destin. Il paraît être mort en ne sachant rien de certain sur la vie à venir; et ainsi, loin d'avoir donné un éclatant démenti aux doctrines de toute sa vie, il y a ajouté un commentaire nouveau même par sa mort.

En attendant, la voilà cette apologie la plus complète et la plus solide qu'on ait jamais faite du scepticisme. Ni Pyrron lui-même chez les anciens, ni Bayle, ni Hume, ni Rousseau, ni Kant, ni Jouffroy, chez les modernes, n'ont rien dit de plus fort et de plus frappant contre la possibilité d'arriver à une certitude quelconque sur quoi que ce soit. Quant aux sceptiques modernes, ils n'ont fait que puiser à cette source empoisonnée, l'exploiter, s'en faire hideusement beaux, sans avoir rien inventé ni ajouté rien de nouveau sur ce sujet, et sans avoir pu jamais égaler ce triste maître de la science du doute, Cicéron, ni par la force du raisonnement ni par l'élégance du style.

Mais ce à quoi on n'a pas fait assez d'attention dans la grande question de la certitude, qui, pendant des siècles, a formé le sujet des plus longues et sérieuses disputes de l'ancien monde, est que tout ce qu'on a dit et qu'on pourra jamais dire de fort et d'entraînant en faveur du scepticisme, ne tient qu'à la négation explicite ou sous-entendue du dogme de la création.

Cicéron, on vient de l'entendre, et il en est de même de presque tous les philosophes sceptiques, ne nie pas l'existence de la vérité. Ce qu'il nie est que l'homme ait en lui-même les moveus propres de la percevoir, de l'atteindre d'une manière

certaine, et propre à y donner un consentement plein et entier, et à y conformer toutes ses opérations.

Les stoïciens se retranchaient sur l'évidence résultant du témoignage des sens dans les choses physiques, et du témoignage de la raison dans les choses intellectuelles. Mais les académiciens soutenaient avec raison que, pour que l'évidence, résultant du témoignage des sens et de la raison, fût reçue comme un critérium sincère et fidèle de la vérité, il fallait commencer par prouver que les sens et la raison sont des moyens propres, naturels, sont, à leur tour, des témoins sincères et fidèles de la vérité des choses. Ce qui n'étant pas prouvé, ne pouvant pas être prouvé par les stoïciens, à cause de l'ignorance vraie ou affectée où ils étaient touchant les rapports entre Dieu et l'homme, ils fondaient l'édifice de la certitude sur une base incertaine, chancelante, sur un terrain mobile, où il ne fallait qu'un souffle du vent du scepticisme pour le renverser.

§ XIX. On ne peut rien affirmer sur le témoignage de la raison, sans admettre Dieu comme auteur de la raison. Les plus grands philosophes ont rendu hommage à ce principe. Descartes, mieux que tout autre. Après avoir établi l'ÉVIDENCE pour critérium de la vérité, et le SENS COMMUN pour critérium de l'évidence, Descartes a fini par établir, dans la VÉRACITÉ DU DIEU AUTEUR DE LA RAISON, le fondement de la certitude. C'est ainsi que, malgré son doute universel, il a évité le scepticisme.

On ne peut en effet considérer le témoignage de la raison et des sens comme des critérium propres et naturels de la vérité, à moins d'admettre d'abord que c'est Dieu qui, ayant créé l'homme pour connaître la vérité par son intelligence et la réaliser par sa volonté libre et par ses actions, lui a donné les sens et la raison comme des moyens propres et naturels pour arriver à cette connaissance.

Ce rapport nécessaire entre la croyance au Dieu auteur et créateur de l'homme, et la compétence naturelle du témoignage de la raison et des sens en faveur de la vérité, a été plus ou moins distinctement aperçu par les plus grands esprits qui se sont occupés de ce grave sujet. Platon chez les anciens, Descartes,

Vico, Malebranche et Leibnitz, chez les modernes, ayant tous placé en Dieu l'origine des idées, c'est-à-dire le principe de toute certitude et de toutes les connaissances humaines, ont, bon gré mal gré, rendu hommage à cette grande et importante vérité : « Qu'au lieu de commencer par l'homme pour expliquer « Dieu, il faut commencer par Dieu pour expliquer l'homme; « et qu'à moins qu'on ne commence par croire en un Dieu « ayant créé l'homme pour la vérité, qui est la fin de tout être intelligent, on ne peut être sûr que l'homme a vraiment << en lui des facultés naturelles, aptes à saisir certainement la « vérité. »

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Mais personne n'a, que je sache, mieux que Descartes, constaté cette impossibilité où est l'homme d'être certain de rien, s'il ne commence par admettre Dieu, par croire en Dieu, comme Créateur et Maître de l'homme, et Auteur de sa raison et de son intelligence.

Ce grand esprit, en voulant fonder, lui aussi, le dogmatisme, s'y est pris de la même manière que les anciens stoïciens, avec cette seule différence que ceux-ci, toujours grossiers, avaient pris leur point de départ dans cette vérité de l'ordre physique : « Il est jour, donc on y voit, Si dies est, lucet,» parce qu'ils étaient païens et parce qu'ils étaient philosophes; au lieu que Descartes, toujours spiritualiste parce qu'il était chrétien, et malgré qu'il fût philosophe, a pris son point de départ dans cette vérité de l'ordre intellectuel : « Je pense, donc je suis; Cogito, ergo sum. »

Le stoïcien se demandait à lui-même: Qu'est-ce qui me fait croire à cette conclusion: « On y voit? » C'est qu'elle est évidemment renfermée dans cette prémisse : « Il est jour. » D'où il concluait encore: Que tout ce qui se présente à l'homme avec la même évidence, avec la même liaison naturelle, nécessaire entre une prémisse et sa conséquence, entre un prédicat et son sujet, on peut l'admettre comme certainement vrai. Or, Descartes s'est fait la même demande à propos de son « Je pense, donc je suis; » et il est parvenu aux mêmes conclusions, ayant dit : « Dès à présent, je crois donc pouvoir admettre comme certainement vrai tout ce qui se présente à ma raison avec la même évidence que cette proposition : « Je pense, donc je suis. >>

Mais, pour tout homme qui raisonne, deux choses sont évidemment claires dans cette argumentation: 1° que toute sa force repose sur ce principe: Ma raison ne me trompe pas, parce qu'il y a un rapport nécessaire entre ce dont ma raison a l'idée claire, distincte, et la vérité de la chose qui se présente de cette manière à ma raison; 2° qu'on ne peut pas admettre sans raison ce principe fondamental de toute raison, et qu'il faut, avant tout, être certain de la vérité de ce principe, duquel relève la vérité de toutes nos perceptions claires et distinctes, et même la vérité de cet enthimème : « Je pense, donc je suis. »

Or, Descartes avait trop d'esprit, était trop bon logicien pour ne pas voir tout cela; et, par conséquent, se mettant tout de suite à l'œuvre pour se démontrer la vérité de ce principe: Qu'il y a un rapport naturel, nécessaire, entre les perceptions claires et distinctes qu'on a des choses, et la vérité des choses en elles-mêmes ; voici comment il a procédé : « Si l'on me demande, dit-il, les raisons pour lesquelles je retiens que mes principes sont vrais, je puis en présenter deux qui suffisent pour toutes les autres. La première de ces raisons de la certitude de mes perceptions claires et distinctes est dans leur clarté même et dans leur distinction: car comment croire qu'une perception souverainement claire et distincte d'une chose ne soit pas le reflet naturel, le fidèle témoin de la chose? La seconde raison de la certitude de mes perceptions claires et distinctes est que c'est par elles qu'on prouve tous les autres principes et toutes les autres vérités; Rationes proponere voluissem quibus probaretur illa ipsa principia esse vera, duæque ad illud probandum sufficiunt: prima est: Ea maxime clara esse. Secunda: Ex iis omnia alia deduci posse.» (PRINCIP. PHILOSOPH., Præfatio.)

Mais puisqu'on a affaire aux philosophes, cette partie des humains la plus exigeante et la plus difficile, et qu'elle ne se fera pas faute de me demander encore: Comment puis-je m'assurer que mes principes sont vraiment clairs, et que leur évidence ne me trompe pas? voilà deux preuves aussi pour cela. La première est Dans la facilité merveilleuse avec laquelle je les ai retrouvés; ils sont en quelque sorte venus d'eux-mêmes à ma rencontre. La seconde preuve de l'évidence de mes principes

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