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7. Ce fut d'abord la raison philosophique des physiciens ou philosophes naturalistes.

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a été

En méconnaissant le principe évident, que je développerai dans la suite, que Tout étre contingent, - et l'univers n'est que contingent, néant avant d'étre quelque chose, ils crurent accorder beaucoup à Dieu; ils crurent faire de l'ascétisme, voire même de la dévotion, en établissant que c'est Dieu, en vérité, qui a formé le monde, mais d'une matière préexistante de toute éternité en sa compagnie, et comme un autre lui-même.

Cette matière éternelle, de laquelle Dieu aurait organisé le monde : pour Anaxagore, ce fut un amas infini de particules très-minimes et semblables entre elles, qui se trouvaient à l'état de chaos ou de confusion, et que l'esprit de Dieu ne fit qu'ordonner; Anaxagoras materiam infinitam, sed ex ea particulas similes inter se, minutas, eas primum confusas postea in ordinem adductas a mente divina (CICERO, Academ., II, 37); pour Thalès, cette matière première, ce fut l'eau; pour Phérécide, ce fut la terre; pour Parménide, ce fut l'air; pour Héraclite, ce fut le feu.

Le feu? Que dites-vous donc, Héraclite? s'écria Hippon. Comment Dieu aurait-il pu manier le feu, n'ayant pas de l'eau ? N'aurait-il pas risqué de se brûler lui-même? Il a donc tout fait de l'eau et du feu.

Que parlez-vous de l'eau? s'exclama à son tour

Énipode. L'eau, je vous l'assure, n'a été pour rien dans la formation primitive du monde. C'est simplement du feu et de l'air que Dieu a composé tous les êtres.

Ah! dit Xénophane, Dieu aurait vraiment fait de jolies choses avec l'air et le feu! Est-ce sérieusement, Énipode, que vous pensez que la terre, par exemple, et tous les solides qu'elle renferme, aient pu sortir de substances si subtiles et si minces telles que l'air et le feu? Pour moi, je n'en crois rien. Je pense, au contraire, que c'est de la terre que sont sortis le feu et l'air, et que Dieu n'a tout fait que de la terre pétrie avec de l'eau (Voy. EUSEBE, Præparat. évang., lib. VIII, c. 1).

Il n'y avait pas moyen de s'entendre; la guerre était en permanence, et elle aurait duré toujours entre ces sept écoles différentes dans lesquelles la raison philosophique des physiciens s'était partagée, lorsque l'humeur pacifique d'Empédocle s'avisa de faire cesser ce scandale, et d'établir la paix parmi ces philosophes combattant à outrance pour assurer, chacun à son élément chéri, l'honneur d'avoir fourni la matière du monde; et il imagina un système qui réunissait tous les systèmes, une raison qui donnait raison à tout le monde. « Vous êtes tous dans le vrai, leur disait-il; mais vous ne devinez pas toute la vérité. La vérité est que l'eau et la terre, aussi bien que l'air et le feu, sont les quatre éléments, les quatre différentes

natures de la matière éternelle, et que c'est de ces quatre natures, de ces quatre éléments, différemment combinés, que Dieu a formé l'univers. >>

« A la bonne heure! répondirent Platon (1) et Aristote. Nous acceptons cette solution; et nous aussi sommes du même avis. » Seulement Platon y ajouta que Dieu, avant de former les corps, avait pris la précaution de se donner un corps à luimême, de se faire lui-même corps, afin de pouvoir, plus à son aise, faire d'autres corps et agir sur les corps (2). Quant à Aristote, cette opinion de Platon

(1) « Plato ex materia in se omnia recipiente mundum cen« set esse factum a Deo sempiternum (CICERO, Acad., II, 37). » (2) Voy. l'ESSAI, etc., § 4, pag. 100, à la fin de la Conférence. Ce corps de Dieu, pour les philosophes stoïciens qui avaient recueilli l'héritage de Platon, n'était qu'un corps semblable à celui de l'homme; car voici la manière de raisonner là-dessus de ces grands raisonneurs du paganisme, à l'esprit toujours grossier, même dans les choses les plus intellectuelles, et que des chrétiens admirent comme de grands philosophes : « Dieu, disaient-ils, est l'être animé le plus parfait; il doit donc avoir la figure la plus parfaite. Or, la figure la plus parfaite de tous les êtres animés est celle de l'homme; Dieu a donc et doit avoir la figure de l'homme. Il est aussi hors de toute contestation que les dieux sont très-heureux. Or, point de bonheur sans la vertu, point de vertu sans la raison, point de raison que dans la figure de l'homme. Il faut donc admettre que les dieux ont un corps, et que ce corps est tout à fait semblable au corps humain; Quod si omnium animantium vincit hominis figura, Deus autem animans est: ea figura profecto est, quæ pulcherrima sit omnium: quoniamque deos beatissimos esse constat, beatus autem esse sine virtute nemo potest, nec virtus sine ratione constare, nec ratio usquam inesse, nisi in hominis

lui parut trop grossière; il la repoussa comme indigne de Dieu, qui, pour Aristote, n'est qu'une intelligence infinie et parfaite, ayant naturellement en elle-même la manière d'exister des corps, la vertu d'opérer sur les corps sans être corps; et il se contenta d'ôter à Dieu la liberté, pour compensation de lui avoir laissé la simplicité, ayant affirmé que

figura hominis esse specie deos confitendum est (CICERO, de Natur. Deorum, lib. II).

« Ce qu'il y a d'impossible à comprendre dans cette doctrine. d'un dieu corporel, est qu'Epicure, par un excès de finesse et de subtilité inconcevables, a dit que cette figure de Dieu n'est pas un corps, mais presque un corps, et que Dieu n'a pas de sang, mais presque du sang; Nec tamen ea species corpus est, sed quasi corpus: nec habet sanguinem, sed quasi sanguinem. Hæc inventa sunt acutius, et dicta subtilius ab Epicuro quam ut quis ea possit agnoscere (IDEM, ibid).

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<< Mais quant à la doctrine des épicuriens, que les dieux ont des formes et des corps humains, c'est aussi notre doctrine, disaient les stoïciens, et elle s'appuie sur ces trois raisons, dont on ne peut contester la solidité : la première, que c'est une habitude innée de l'esprit humain, et commune à tous les hom. mes, de ne pas penser à Dieu sans se le représenter sous une forme humaine; la seconde raison est celle que j'ai indiquée tout à l'heure, je veux dire que la nature divine étant la plus parfaite de toutes les natures, et par cela même devant avoir la figure la plus parfaite, doit avoir la figure de l'homme, car rien n'est plus beau ni plus parfait que cette figure; la troisième raison est, enfin, que le siége, l'habitation propre de l'esprit ne peut se trouver que dans la figure et dans la forme du corps de l'homme; Non deest hoc loco copia rationum, quibus docere velitis, humanas esse formas deorum : primum quod ita sit informatum anticipatumque mentibus nostris, ut homini, cum de Deo cogitet, forma occurrat humana. Deinde, ut, quoniam rebus omnibus excellat natura divina, forma quoque

c'est par la nécessité même de son être que Dieu a été obligé de faire le monde de toute éternité, ne pouvant pas rester pendant toute une éternité sans rien faire; Aristoteles dicit non ortum esse unquam mundum, quod nulla fuit, novo consilio inito, tam præclari operis inceptio (Academ., II).

Les stoïciens suivirent, eux aussi, la doctrine d'Empédocle. << Pour ces philosophes, nous dit Sénèque, l'univers est l'œuvre de deux principes: la matière, et Dieu ayant opéré sur la matière (1). »

Cicéron aussi, dans ses moments de bonne humeur, pendant lesquels il daignait admettre un Dieu unique, ne l'admettait que comme un artisan, s'étant adressé au chaos des poëtes, à la matière incréée, pour former le monde. Cicéron était làdessus tout à fait de l'opinion de Platon. Les académiciens, ainsi que les péripatéticiens, étaient dualistes (2). Et, en général, la plus grande partie

esse pulcherrima debeat: nec esse humana ullam pulchriorem. Tertiam rationem affertis quod nulla in alia figura domicilium mentis esse possit (IDEM, ibid).

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(1) « Dicunt stoici nostri duo esse in rerum natura ex quibus « omnia sint causam et materiam. Materia jacet iners, res ad * omnia parata, cessatura, si nemo moveat. Causa autem, id est, ratio, materiam format et quocumque vult versat; ex illa varia opera producit. Universa ex materia et Deo constant. Deus «ista temperat, quæ circumfusa motorem sequuntur et ducem. Potentius autem est quid facit quod est Deus, quam « materia patiens Dei (Epist. II, 64). »

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(2) « Peripatetici et academici... de natura ita dicebant, ut « eam dividerent in res duas: ut altera esset efficiens, altera

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