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pide et invéréconde, cette prétention de certains rationalistes que l'homme par sa raison seule, sans le moindre appui de la foi et des traditions, peut s'élever à la connaissance de Dieu, pure, certaine et parfaite? N'est-ce pas se révolter contre la raison, et mentir effrontément à l'histoire? N'est-ce pas s'aveugler volontairement, non-seulement sur ce qui s'est toujours passé jadis dans le monde, mais aussi sur ce qui s'y passe sous nos propres yeux ?... Et cependant c'est là ce que soutiennent des gens d'esprit, et même des hommes qui se disent des théologiens et des philosophes!...

SECONDE PARTIE.

ÉPICURÉISME DES ANCIENS PHILOSOPHES.

§ VIII. La doctrine de l'ÉTAT SAUVAGE, conséquence nécessaire de la négation du dogme de la création de l'homme par Dieu. Cette méme doctrine, cause nécessaire de l'épicuréisme spéculatif et pratique des anciens philosophes.

N vient de voir (note de la conférence qui précède, page 82)

Oque Dieu une fois admis comme ayant créé l'homme, il est

de toute nécessité d'admettre aussi que le Créateur s'est, dès le commencement, révélé lui-même à sa créature, et lui a appris son origine, sa destinée et les moyens de l'atteindre, c'est-àdire la religion et la loi qu'on appelle naturelles.

Mais, au contraire, ce dogme de l'origine divine de l'homme une fois méconnu ou nie, l'hypothèse de l'état sauvage ou brutal, comme état primitif et originaire de l'homme, cet enfantement monstrueux de la raison philosophique ancienne, que la raison philosophique moderne n'a pas eu honte d'exhumer et de professer tout haut, cette immense erreur, en opposition flagrante avec les lumières de la droite raison, avec les monuments de la tradition, avec la foi universelle et constante de l'humanité; cette horrible et abjecte hypothèse, dis-je, est la seule manière de s'expliquer l'homme et la société.

Il est vrai, comme on l'a vu aussi (Conférence 1, § 5, notes,

t. I, pages 18 et 24), que les principaux philosophes, Platon et Cicéron en particulier, dans des moments d'intervalles lucides de leur raison, et lorsque, d'accord avec les poëtes, ils ne faisaient que traduire dans un langage élevé les croyances communes, eux aussi ont rendu un éclatant hommage à l'origine divine de l'homme et à sa parenté avec Dieu. Mais il est vrai aussi qu'en tant que philosophes, voulant tout deviner par leur raison, ils ont tous méconnu ou nié la création de l'homme par Dieu, et embrassé la doctrine de l'état sauvage. Et on a vu que les deux grandes sectes dans lesquelles s'étaient partagés les philosophes anciens, la secte des stoïciens et celle des épicuriens, au témoignage de Cicéron et d'Horace, professaient également la même doctrine.

D'après cette doctrine, l'homme étant éclos de la terre par le mouvement et l'énergie de la nature, tout comme les animaux et les plantes, c'est lui-même qui, après avoir inventé le langage, les idées, le vrai et le faux, le juste et l'injuste, a formé sa raison, a imaginé les lois Ne quis fur esset aut adulter, comme s'exprime Horace, et a fondé la société.

Or, tout fait de l'homme pouvant être modifié et même détruit par l'homme, pour être façonné d'une manière nouvelle, il s'ensuit que les lois même naturelles, et la société dont elles sont le fondement, n'ont d'autre base, d'autre sanction que la volonté et même le caprice de l'homme.

Pour les peuples qui avaient conservé la foi dans l'origine divine de la loi, aussi bien que de l'homme, cette loi ayant son principe et son fondement hors de l'homme, dans la volonté et la révélation de Dieu, avait en Dieu même la force de sa sanction, aussi bien que la raison de son uniformité et le gage de sa stabilité. Et c'est encore à cause de cela que la loi naturelle, plus ou moins altérée, corrompue même par les passions de l'homme dans ses conséquences pratiques et dans son application, a été, comme saint Thomas l'a prouvé, toujours et partout la même par rapport à ses principes, et n'a jamais pu être entièrement effacée de l'esprit et du cœur des hommes (I, 2e q. 94, art. 4 et 6.)

Mais pour les philosophes, qui avaient déserté la croyance de l'intervention divine sur l'homme, la loi naturelle n'était que le fait et la création de l'homme; aussi cette loi devint-elle une source intarissable de disputes, même par rapport à ses prin

cipes; et, privée de tout fondement solide et de toute sanction divine, elle ne fut plus qu'un jeu variable de l'esprit, au lieu d'être une règle immuable de la vie humaine.

On sait que les philosophes ne purent jamais s'accorder sur la grande question du SOUVERAIN BIEN, de la fin immédiate et dernière de l'homme; et dès lors il n'est pas étonnant qu'ils ne se soient mieux entendus sur les lois, qui ne sont que les moyens d'atteindre cette fin. Car c'est la fin, dit Aristote, qui est la règle des moyens, Finis est regula cæterarum, qui les fait connaître et en réclame l'application. C'est pour cela qu'on vit les plus grands philosophes méconnaître les principes mêmes de la moralité la plus vulgaire, et les combattre ; patronner les vices les plus honteux, et les pratiquer. (Voy. Conférence 1re, § 16, vol. I, page 82).

C'est ce qu'on va voir dans cette seconde partie de notre résumé sur la philosophie ancienne; c'est-à-dire que la morale spéculative et pratique des philosophes, ayant nié le dogme de la création, n'a été au fond que l'épicuréisme le plus sale et le plus dévergondé.

§ IX. Morale de Cicéron. Le vice contre nature commun chez les philosophes. La morale des Stoïciens.

Voici donc un petit échantillon de la morale que l'ancienne raison philosophique tira de la négation du dogme de la création. Cicéron, qui passe pour un des plus honnêtes hommes de l'antiquité, disait à Lucullus : « Est-ce qu'il y a beaucoup d'hommes beaux dans ce monde? Lorsque j'étais à Athènes, je me rappelle qu'à peine on en trouvait un seul dans ces nombreux troupeaux de jeunes gens qui servaient aux plaisirs. Je vois bien que ce qui dans cette affaire m'allait parfaitement, tu as l'air de le regarder comme un vice. Mais que veux-tu que je te dise? C'était comme ça. C'est un vice, s'il te plaît de l'appeler ainsi ; mais l'exemple que nous en ont donné, les concessions que nous en ont faites les philosophes anciens, sont là pour nous encourager à aimer les jeunes gens et pour nous rendre agréables même les vices. Alcée se plaît à la lentille du visage de son valet. Cependant une lentille est une tache dans le corps, mais pour Alcée c'est un point lumineux. Q. Catulus, le

père de ce collègue et de cet ami commun qui est ici, aimait beaucoup Roscius, ton concitoyen; et c'est lui qui a fait ces vers en l'honneur de Roscius: « Je m'étais arrêté un instant pour << saluer peut-être l'aurore qui allait poindre, lorsque je vois « tout à coup, du côté gauche, Roscius se présenter devant << moi. Je ne puis pas dire l'impression qu'il me fit; ce que je << puis dire, c'est (permettez, ô déités célestes, sans vous fâ« cher, que je l'avoue franchement), ce que je puis dire est que ce mortel me parut plus beau qu'un dieu lui-même; Quotus enim quisque formosus est? Athenis cum essem, e gregibus epheborum vix singuli reperiebantur. Video, quid arriseris. Sed tamen ita res se habet. Deinde nobis, qui, concedentibus philosophis antiquis, adolescentulis delectamur, etiam vitia sæpe jucunda sunt. Nevus in articulo pueri delectat Alcæum. At est corporis macula nevus. Illi tamen hoc lumen videbatur. Q. Catulus, hujus collega et familiaris nostri pater, dilexit municipem tuum Roscium: in quem etiam illud est ejus :

Constiteram, exorientem auroram forte salutans,

Cum subito e læva Roscius exoritur.
Pace mihi liceat, cœlestes, dicere vestra,

Mortalis visus pulchrior esse deo.

Voilà ce que le bonhomme de Cicéron n'a pas eu honte d'écrire; voilà ce que, avec un cynisme dégoûtant, il a avoué, comme le faisant lui-même sur l'exemple et la permission des anciens philosophes et de personnages tels que Catulus, réputés les plus moraux dans toute Rome. C'est, du reste, d'un ton ironique que Cicéron appelle ces relations des vices.

L'histoire reproche aussi d'autres horreurs au bonhomme de Cicéron; on lui reproche d'avoir divorcé avec sa première femme qui lui avait été si dévouée, qui avait tant travaillé pour le faire rappeler de l'exil, et pour laquelle il affectait tant de tendresse, et cela pour épouser la sœur de Pompée par politique; comme, plus tard, il renvoya aussi cette seconde femme pour en épouser une troisième très-riche, et s'en aider à payer ses dettes. On lui reproche aussi d'avoir fait tuer un grand nombre de prisonniers après la bataille qu'il gagna contre les Parthes, afin d'avoir le nombre juste d'ennemis tués que la loi

demandait pour accorder le triomphe. Du reste, Cicéron, comme on vient de le voir (Confér. Xo, § 18, p. 58, note), était le panégyriste et l'ami des épicuriens, et dès lors il n'est pas étonnant qu'il en ait suivi et pratiqué la morale.

Mais nous avons encore d'autres preuves que le vice contre nature était le vice commun à tous les philosophes. Le témoignage de Plutarque, qu'on va lire plus loin, ne laisse pas le moindre doute que cette infâme pratique fut approuvée et suivie même par les sages censés les plus honnêtes.

Cornélius Népos, dans la Vie d'Alcibiade (cap. II), nous dit : Ineunte adolescentia, amatus est a multis, MORE GRECORUM, in eis a SOCRATE... namque Plato eum induxit commorantem SE PERnoctasse cum SOCRATE; robustior factus non minus MULTOS adamavit. Le même historien nous dit que, grâce à ces exemples des philosophes les plus célèbres, Laudi in Græcia ducitur adolescentulis QUAMPLURIMOS habere amatores (Præf.). On ne peut donner d'autre interprétation à ces passages de Virgile Formosum pastor Corydon ARDEBAT Alexim, DELICIAS DOMINI... O CRUDELIS Alexi, nil NOSTRI MISERERE; MORI me denique cogis, o FORMOSE PUER! TE CORYDON, o Alexi! trahit sua quemque VOLUPTAS. Me tamen URIT AMOR: quis enim modus adsit AMORI? (Eclog. II) Ipse Neæram dum fovet, ac ne ME sibi præferat ipsa veretur. Novimus et QUI TE... DULCE mihi SOLUS Amynthas. (Eclog. III.)

Ainsi même le chaste Virgile est convaincu de ne pas avoir respecté en lui-même la dignité humaine. Quant aux relations de Socrate avec Alcibiade, dont parle Cornélius et Plutarque, personne n'a le droit d'en être étonné. Le divin Socrate, dont on a tant célébré la morale, la vie et la mort, était le même homme qui jurait par l'âme du chien et de l'oie; qui, en mourant, recommanda à ses amis d'accomplir un vœu qu'il avait fait, d'immoler un coq à Esculape; qui soutenait que les choses du ciel ne regardent pas les hommes de la terre; que la morale se passe des dieux; et qu'enfin, non pas les Pères de l'Église, mais Zénon le philosophe, appelait « le bouffon de la Grèce, » Scurram Atticum. Or, un tel homme, superstitieux en même temps et incrédule, se moquant de la religion et pratiquant l'idolâtrie, niant Dieu et adorant Esculape; un homme pro

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