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reté, le vague, le vide, le néant de la philosophie moderne, et on la mettra de côté. On avait, depuis trois siècles, mis de côté saint Thomas; et l'on se tournera de nouveau vers lui, on reconnaîtra la solidité, la profondeur, l'élévation, la justesse, la précision, la fécondité et même la grâce de sa philosophie. La restauration de la science véritable, et de la société par elle, n'est qu'à cette condition.

Oui, on la reverra, cette philosophie chrétienne, tant décriée, tant calomniée, tant méprisée par l'esprit d'impiété, d'ignorance, de sottise et de présomption ! On reconnaitra la solidité de ses principes, la justesse de sa méthode, l'harmonie de ses doctrines, l'étendue de ses rapports, l'élévation de ses vues, les avantages de ses conséquences, l'importance et la grandeur de ses résultats. On se sentira saisi de quelque admiration, de quelque amour pour cette philosophie, si pure comme le rayon de Dieu qui l'éclaire, si vraie comme la religion qui lui sert d'appui et de guide, si sûre comme la foi qui est son point de départ, si jalouse, si zélée du bonheur et de la dignité de l'homme, comme l'Église qui la protége et la sanctifie, en l'employant dans l'explication de son dogme, en l'associant à son enseignement et à sa défense; et l'on regrettera sa longue absence, l'on sera honteux de l'injuste exil auquel on l'avait condamnée.

Le philosophe qui aime sincèrement le vrai et le beau, le génie chrétien qui ne l'a négligée jusqu'ici que parce qu'il ne la connaissait pas, et qu'il ne se doutait peut-être pas même de son existence, sera heureux de lui consacrer ses méditations, ses travaux et ses

affection. On la développera, on la défendra, on la vengera avec un bien autre succès que celui que la pauvreté de nos moyens ne nous permet d'espérer. On marchera dans cette noble route que nous n'aurons fait qu'indiquer, et qui, oubliée depuis tant d'années, paraîtra nouvelle, tandis qu'elle est aussi ancienne que le christianisme lui-même. On complétera ce qu'à peine nous aurons pu ébaucher ici d'une manière informe, dans une langue qui n'est pas la nôtre, mais que nous lui avons préférée dans ce travail, pour donner à la France une nouvelle preuve de notre vieille sympathie.

Dès lors cette philosophie chrétienne, en reprenant la place qui lui revient, le rôle qui lui est propre dans l'ordre scientifique des peuples chrétiens, christianisera, sanctifiera cet ordre, devenu profane depuis si longtemps, et le préservera de sa ruine et de sa corruption; car il n'est donné qu'à l'élément religieux et à tout ce qui s'y rapporte, de tout sanctifier et de tout conserver. Ainsi cessera, il faut l'espérer, ce divorce funeste entre la science et la religion, qui a failli les compromettre et les perdre toutes les deux. Ainsi la religion, reconnaissante envers la science pour le nouveau concours qu'elle lui aura prêté, et la science, reconnaissante envers la religion par la nouvelle lumière qu'elle en aura reçue, s'éprendront d'un nouvel amour l'une pour l'autre, se rallieront de nouveau pour travailler ensemble au noble but auquel Dieu les a destinées; et l'homme, riche de la science de Dieu, après avoir développé la pensée même de Dieu, viendra déposer à ses pieds ses travaux, ses découvertes et ses progrès, comme un hommage de reconnaissance, comme un

hymne de gloire, comme une confession : QUE TOUTE SCIENCE VÉRITABLE VIENT DE DIEU ET DOIT RETOURNER A DIEU; Deus scientiarum Dominus est; ipsi præparantur cogitationes (I Reg., c. 2).

Il est possible que nous nous fassions illusion en prononçant ces augures, en concevant ces espérances. Il est possible que ce pauvre ouvrage passe inaperçu au milieu des luttes bruyantes que se font, dans ce moment, tous les intérêts matériels et toutes les passions. Il est possible que les doctrines qui y sont déposées n'obtiennent pas même les honneurs de la discussion. Il est possible qu'elles ne fassent qu'un très-léger bruit,

et

que bientôt se fera sur elles le silence de l'oubli. N'importe! Ces doctrines, que nous avons puisées particulièrement dans saint Thomas, sans y ajouter presque rien de notre propre fonds, n'en sont pas moins les doctrines de vérités que les écoles chrétiennes ont professées pendant six siècles; et les germes de la vérité ne périssent jamais entièrement, ne restent jamais tout à fait stériles au milieu des hommes: s'ils ne fructifient dans un temps, ils fructifient dans un autre.

Mais cette pensée même ne fût-elle aussi qu'un rève, le Dieu qui voit le fond des cœurs et en discerne toutes les intentions, ne daignera pas moins nous regarder de l'œil de sa miséricorde pour avoir voulu sincèrement, dans cet écrit comme dans tous nos travaux, sa plus grande gloire, la propagation de sa religion, et le véritable bonheur de l'humanité !

FIN DE LA Préface.

SUR LA RAISON PHILOSOPHIQUE

ET LA RAISON CATHOLIQUE.

DIXIÈME CONFÉRENCE.

IMPORTANCE DU DOGME DE LA CRÉATION, RÉSULTANT DES ÉGAREMENTS DE LA PHILOSOPHIE ANCIENNE.

1.

C

Domine, fili David, miserere mei: filia mea male a dæmonio vexatur. — Seigneur, fils de David, ayez pitié de moi; ma fille est horriblement vexée par le démon.

(Évangile du premier jeudi de Carême).

1. NETTE mère éplorée qui, aujourd'hui, demande avec tant de larmes à JÉSUS-CHRIST la guérison de son unique fille, de l'invasion diabolique du corps: Miserere mei; filia mea male a dæmonio vexatur, est, d'après l'opinion des Pères, le type et la figure de l'Église des Gentils demandant sans cesse au Seigneur la délivrance des peuples ses enfants, de la maladie de l'erreur, véritable invasion diabolique de l'âme : Typus est hæc mulier Ecclesiæ Gentium, quæ pro filia, id est, pro plebe et pro populis divinæ supplicat

pietati, ut ab errore salventur. (S. Hilarius et V. Beda, Commentar. in Matth.)

Et c'est spécialement de nos jours que l'Église, notre tendre mère, adresse à Dieu cette prière; car jamais l'esprit d'erreur n'a fait tant de ravages parmi les peuples chrétiens eux-mêmes: Filia mea male a dæmonio vexatur.

2. Riche des avantages de toute espèce que les nouvelles découvertes lui ont valus pour l'amélioration de sa condition matérielle, notre vieux monde est pauvre des véritables biens, des biens spirituels. Ayant trouvé les moyens d'effacer les distances, d'abréger les chemins de la terre, il a oublié le chemin du ciel. En devenant trop raisonneur, il a cessé d'être croyant. En se faisant philosophe, il n'est presque plus chrétien. En aimant trop, en idolâtrant la science, il a failli perdre presque entièrement la religion: Filia mea male a dæmonio vexatur.

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Pour comble de malheur, fier de ce qui devrait le confondre, orgueilleux de ce qui devrait l'humilier, n'ayant, après trois siècles de disputes, su créer que le rationalisme, véritable anarchie dans l'ordre intellectuel, comme l'anarchie n'est que le rationalisme dans l'ordre politique, notre siècle ne se doute pas même de la gravité de sa maladie, de la grandeur de ses pertes; et, par une voie parsemée de ruines, marche, stupidement

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