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rauds de cheveux, a bien l'air de fe vanter de fes bonnes fortunes.

Quand le Cid parut, le Cardinal en fut auffi alarmé que s'il avoit vu les Efpagnols devant Paris. Il fouleva les Auteurs contre cet Ouvrage, ce qui ne dut pas être fort difficile, & fe mit à leur tête. M. de Scudery publia les obfervations fur le Cid, adreffées à l'Académie Françoife qu'il en fait juge, & que le Cardinal fon Fondateur follicitoit puiffamment contre la Pièce accufée; mais afin que l'Académie pût juger, fes Statuts vouloient que l'autre partie, c'està-dire M. Corneille, y confentît. On tira de lui une espèce de confentement qu'il ne donna qu'à la crainte de déplaire au Cardinal, & qu'il donna pourtant avec affez de fierté. Le moyen de ne pas ménager un pareil Miniftre qui étoit fon bienfaiteur? car il récompenfoit, comme Miniftre, ce même mérite dont il étoit jaloux comme Poëte; & il femble que cette grande ame ne pouvoit pas avoir de foibleffes qu'elle ne réparât en même temps par quelque chofe de noble.

L'Académie Françoife donna fes fentimens fur le Cid, & cet Ouvrage fut digne de la grande réputation de cette

Compagnie naiffante. Elle fut confervet tous les égards qu'elle devoit, & à la paffion du Cardinal, & à l'eftine prodigieufe que le Public avoit conçue de cet Ouvrage. Elle fatisfit le Cardinal en reprenant exactement tous les défauts du Cid, & le Public en le reprenant avec modération, & même souvent avec des louanges. M. Corneille ne répondit point à la Critique. La même raifon, difoit-il, qu'on a eue pour la faire m'empêche d'y répondre. Cependant le Cid a furvécu à cette Critique. Toute belle qu'elle eft, on ne la connoît prefque plus, & il a encore fon premier éclat.

Le même hiver qui vit paroître le Cid, vit paroître auffi la Marianne de Triftan, autre Ouvrage célèbre, & qui s'eft maintenu fur le Théâtre prefque jufqu'au temps préfent. Je parle des cent ans qui fe font écoulés depuis ce tempslà, à-peu près comme je parlerois des deux mille ans qui nous féparent des Grecs. En effet, fi l'on confidère quel nombre prodigieux de Tragédies font oubliées pour jamais, & combien le goût a changé, il eft prefque auffi glorieux à une Pièce de s'être confervée fur le Théâtre pendant ces cent ans ou

environ, qu'il l'eft à celles des Grecs de s'être confervées deux mille ans dans les Bibliothèques; car un Livre subsiste plus facilement dans une Bibliothèque, qu'une Pièce fur le Théâtre.

Nous voci dans le bel âge de la Comédie, & dans toute la force du génie de M. Corneille. Après avoir, pour ainfi dire, atteint jufqu'au Cid, il s'éleva encore dans l'Horace; enfin, il alla jusqu'à Cinna & à Polieucte, au-deffus defquels il n'y a rien.

Ces Pièces-là étoient d'une espèce inconnue, & l'on vit un nouveau Théâtre, Alors M. Corneille, par l'étude d'Ariftote & d'Horace, par fon expérience, par fes réflexions, & plus encore par fon génie, trouva les véritables règles du Poëme Dramatique, & découvrit les fources du beau, qu'il a depuis ouvertes à tout le monde dans les excellens Dif-. cours qui font à la tête de fes Comédies. De-là vient qu'il eft regardé comme le père du Théâtre François. Il lui a donné le premier une forme raisonable;. il l'a porté à fon plus haut point de perfection, & a laiffé fon fecret à qui s'en pourra fervir.

Avant que l'on jouật Polieucte,

M. Corneille le lut à l'Hôtel de Rambouillet, fouverain Tribunal des affaires d'efprit en ce temps-là. La Pièce y fut applaudie autant que le demandoit la bienféance & la grande réputation que l'Auteur avoit déja: mais quelques jours après, M. de Voiture vint trouver M. Corneille, & prit des tours fort délicats pour lui dire que Polieucte n'avoit pas réuffi comme il penfoit; que fur-tout le Chriftianifme avoit extrêmement déplu. M.Corneille alarmé voulut retirer la Pièce d'entre les mains des Comédiens qui l'apprenoient; mais enfin il la leur laiffa, fur la parole d'un d'entr'eux qui n'y jouoit point, parce qu'il étoit trop mauvais Acteur. Etoit-ce à ce Comédien à juger mieux que tout l'Hôtel de Rambouillet?

Pompée fuivit Polieucte; enfuite vint le Menteur, Pièce comique, & presque entiérement prise de l'Espagnol, felon la coutume de ce temps-là.

Quoique le Menteur foit très-agréable, & qu'on l'applaudiffe encore aujourd'hui fur le Théâtre, j'avoue que la Comédie n'étoit point encore arrivée à fa perfection. Ce qui dominoit dans les Pièces, c'étoit l'intrigue & les incidens, erreur de nom, déguisemens, lettres

interceptées, aventures nocturnes; & c'eft pourquoi on prenoit prefque tous les fujets chez les Espagnols, qui triomphent fur ces matières. Ces Pièces ne laiffoient pas d'être fort plaifantes & pleines d'efprit; témoin le Menteur dont nous parlons, Dom Bertrand de Cigaral, le Géolier de foi-même : mais enfin la plus grande beauté de la Comédie étoit inconnue; on ne fongeoit point aux mœurs & aux caractères; on alloit chercher bien loin les fujets de rire dans des événemens imaginés avec beaucoup de peine, & on ne s'avifoit point de les aller prendre dans le cœur humain qui en fourmille.

Molière eft le premier parmi nous qui les ait été chercher - là, & qui les ait bien mis en œuvre. Homme inimitable, & à qui la Comédie doit autant que la Tragédie à M. Corneille. Comme le Menteur eut beaucoup de fuccès M. Corneille lui donna une fuite qui ne réuffit guères. Il en découvre lui-même la raifon dans les examens qu'il a faits de fes Pièces. Là, il s'établit juge de fes propres Ouvrages, & en parle avec un noble défintéreffement, dont il tire en même temps le double fruit, & de pré

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