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achète sont souvent assez faibles, elles ne supporteraient pas les frais de longs voyages, et la plupart des fabricants ne pourraient pas non plus s'engager dans des affaires avec des centaines de détaillants, mème tous solvables, ils ne rentreraient pas assez vite dans leurs capitaux. Ils préféreront n'avoir que quelques clients dont ils sont sûrs, et qui les mettent en état d'entretenir leurs manufactures en constant mouvement. Le fabricant peut vendre moins cher à ces gros négociants qu'aux détaillants, et la différence sera parfois assez grande pour que ces derniers puissent s'approvisionner aux mêmes prix chez le marchand en gros que chez le fabricant. La différence de prix suffit alors pour rémunérer le marchand en gros, de sorte que le service rendu par lui devient évident.

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On se plaint de la multiplicité des détaillants, et certains vont jusqu'à penser à tort — que les intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs sont superflus. Peut-être il y a-t-il, en effet, dans certaines localités, trop de détaillants, mais quand ils sont trop nombreux, une partie d'entre eux ne peuvent se soutenir, et en fait, tous les ans nombre de petits commerçants font faillite; mais d'autres prospèrent, ce qui prouve leur utilité. Est-il nécessaire d'insister sur le service qu'ils rendent, de montrer, par exemple, que le consommateur ne doit pas être obligé d'acheter toute une pièce de drap quand il n'a besoin que d'un mètre de cette étoffe, pour un pantalon? De plus, en allant chez le détaillant qui vend au mètre, il trouve souvent en même temps de la doublure, des boutons, du fil et des aiguilles et même des bretelles; or, le consommateur a intérêt à se fournir dans une seule boutique, plutôt que de -visiter cinq ou six magasins. Ainsi, ce n'est pas le marchand en gros qui rend directement service au consommateur, mais le détaillant. Les magasins de détail ne sont pas nécessairement petits, il y en a d'immenses, où sont réunies

les marchandises les plus diverses, souvent prêtes pour l'emploi immédiat. Voilà donc, encore une fois, les avantages du détail : division et subdivision des marchandises selon les besoins et les bourses; rapprochement, dans un même local, d'objets divers; possibilité de l'emploi immédiat. L'utilité est donc incontestable, mais ceux qui ne le reconnaissent pas, ou ne veulent pas en payer les frais, n'ont qu'à s'entendre pour fonder des «< magasins coopératifs de consommation ». (Ce sera le même procédé, sauf que les associés garderont les bénéfices pour eux et pourront étendre leurs consommations.)

Distinguons maintenant le commerce intérieur du commerce extérieur.

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Le commerce intérieur qui est de beaucoup le plus important des deux (1) comporte la vente en gros et la vente au détail, et ce dernier, nous venons de le voir, fournit directement le consommateur. Le commerce en gros peut n'avoir à s'adresser qu'à la production intérieure, surtout dans un pays un peu grand. Dans un État d'une certaine étendue, chaque région a ses produits spéciaux, ici du vin, là du blé, ailleurs des pâturages, et les diverses régions échangent leurs produits par l'intermédiaire du commerce en gros. Les produits industriels aussi se groupent, le fer, la houille par ci, la soie, la laine, le coton, le lin par là; ces produits se déversent d'abord dans les grands canaux du commerce en gros, qui, à leur tour, les répartissent entre les innombrables rigoles du détail qui les font parvenir partout, jusque dans les plus humbles villages. Généralement le commerce intérieur est libre, sauf les mesures d'ordre, de police et fiscales, bien entendu,

(1) Si l'on veut avoir une idée approximative de la différence d'importance des deux commerces, on n'a qu'à comparer le montant réuni des importations et des exportations au mouvement des fonds à la banque de France et aux grands établissements de crédit, mouvements, il est vrai où les doubles emplois sont fréquents; en revanche, tout ne passe par la banque.

et les services qu'il rend sont incalculables. Comment l'État socialiste y suppléerait-il?

Le commerce extérieur rend également de grands services, mais, sauf quelques exceptions, le commerce en gros el en très gros même, peut seul s'en charger. D'abord pour l'importation il est des matières premières et des objets de consommation qui ne peuvent pas être produits dans le pays; en France, par exemple, le coton, le café, les épices, etc., sont dans ces cas; d'autres s'y produisent d'une manière insuffisante, par exemple, la soie et la laine, le blé et la viande, la houille et les métaux. Que ferait-on, si l'on ne pouvait importer ce qui nous manque? On se priverait, on souffrirait! Mais si l'on importe, il faut aussi exporter, car en général, « les produits ne s'achètent qu'avec des produits » (Say), c'est la loi des débouchés. Une seconde raison pour étendre le commerce d'exportation est que la production par grandes masses tend à réduire sensiblement les frais, et les prix peuvent baisser, sans diminuer les bénéfices. De cette façon, les consommateurs du pays obtiennent les produits à des conditions plus favorables, et le fabricant soutient mieux la concurrence sur le marché international. Ajoutons enfin, comme troisième argument en faveur du commerce extérieur, que toute marchandise que l'on exporte laisse un salaire dans le pays, la somme du travail disponible est augmentée d'autant.

L'utilité du commerce extérieur n'a jamais été contestée d'une manière absolue d'abord, l'exportation n'a que des partisans; relativement à l'importation il faut distinguer, l'importation de marchandises sans similaires dans le pays, n'a également que des partisans, mais l'importation de marchandises similaires, c'est-à-dire concurrentes, a pour adversaires prononcés les producteurs des marchandises indigènes semblables (mais chacun seulement pour

le produit qui le gène), et pour partisans les consommateurs, dont le bien-être s'en trouverait réduit. Ces adversaires ont eu, sur la législation fiscale de bien des États, une influence que nous devons indiquer.

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On sait que certains impôts de consommation sont assis sur des denrées importées et perçus à la frontière. Quand ces denrées n'ont pas de similaire dans la contrée (par exemple, le café en France), ces impôts sont qualifiés de « droits fiscaux ». En imposant des marchandises ayant des similaires, on peut encore ne vouloir établir qu'un droit fiscal, mais cet impôt aura un effet accessoire, il renchérira le produit importé et par conséquent fera hausplus ou moins le produit fabriqué dans le pays. Cet effet, qui n'est jamais imprévu, mais qui peut ne pas être voulu par le gouvernement, est au contraire désiré par les producteurs indigènes des marchandises imposées (impôts qu'ils ne payent pas), car il en résulte pour eux un surcroît de bénéfice, la concurrence étrangère étant en tout cas rendue plus difficile. On dit alors que les fabricants sont protégés », et les droits de douanes sont qualifiés de protecteurs. Quand la protection a été voulue, elle est généralement bien lourde, les droits étant parfois si considéables, que, plutôt de les acquitter, on s'abstient d'acquérir la marchandise. On dit alors que les droits sont prohibitifs ».

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Relativement aux marchandises similaires ainsi chargées de droits, deux intérêts sont en présence, celui du producteur, qui profite de la taxe, et celui du consommateur (1), qui la paye. Ce dernier oppose la doctrine du libre-échange à la doctrine protectionniste du premier. Il y a longtemps que ces deux doctrines sont en lutte, avec les chances diverses de succès. Les gouvernements, dont

(1) Le consommateur, et en même temps certains producteurs et commerçants que les droits protecteurs gênent,

l'influence, en ces matières, n'est d'ailleurs pas prépondérante, penchent naturellement du côté de la protection, car des droits modérés apportent des revenus au Trésor toujours besoigneux; d'ailleurs, les hommes au pouvoir aiment « protéger ». En fait, c'est l'intérêt le plus puissant qui l'emporte. S'il n'y avait toujours en présence qu'une industrie et les consommateurs de ses produits, il n'y aurait presque jamais de droits protecteurs, car pour chaque produit les consommateurs sont peut-être mille fois plus nombreux que les producteurs. Mais il y a des «< combinaisons» protégez mon bœuf, mon sucre, mon vin, et je protégerai votre fer, vos tissus, votre bimbeloterie. Et l'on marche ainsi en colonnes serrées à la conquête du tarif protecteur. Le consommateur se défend mal, souvent pas du tout, de sorte qu'il est généralement battu.

La querelle entre le libre-échange et la protection a produit toute une bibliothèque, qu'il nous est impossible de résumer ici. Les notions fondamentales sont d'ailleurs très connues. Le droit protecteur est imposé aux marchandises et payé par le consommateur, dans l'intérêt des producteurs. Ce sont des citoyens taxés au profit d'autres citoyens. C'est sans doute l'État qui perçoit les taxes, mais celles-ci ont pour but de renchérir les produits, et c'est la majoration des prix demandée par le producteur que supporte le consommateur. On prétend, il est vrai, que les droits de douane n'ont pas toujours cet effet. Cela est possible. Les affaires subissent diverses influences à la fois, ces influences peuvent se contrarier, une baisse de prix qui coïncide avec une augmentation de taxe la neutralise; mais ce sont là des exceptions, la taxe est une dépense et les dépenses sont finalement soldées par le consommateur.

Peut-on justifier par l'intérêt général, celui des consommateurs compris, la charge qu'on impose à ces derniers seuls; cela paraît bien difficile, en tout cas, ce sont tou

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