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« 1° Même relativement aux secours à répandre, ce qui est la tâche propre de ce système, il est souvent notoirement insuffisant, ses moyens étant trop faibles; ses ressources sont plus abondantes à des époques émotionnées par des calamités, mais cette situation n'est pas durable, les comptes des sociétés de bienfaisance en font foi. Au fond, ces sociétés ont pour principale mission de fortifier l'impulsion morale; mais cette impulsion ne vaincra que partiellement les résistances de l'intérêt personnel. Comparativement à l'obligation imposée par l'État ou la commune (gemeinwirthschaftlicher Zwang) qui peuvent prendre ce qu'il leur faut la bienfaisance privée doit prodiguer des efforts pour la réunion des fonds qui lui sont nécessaires; elle lutte contre ce désavantage, que les dons des gens riches ou aisés n'arrivent pas avec une abondance suffisante, car tout le monde n'est pas également généreux, et les cœurs étroits ne manquent pas.

« 2o Le système caritatif lui-même ne peut tendre à satisfaire que les besoins évidents. Il peut cependant trop étendre ses fonctions ou en abuser, en rendant les assistés trop dépendants des assistants, par exemple de l'Église, de certaines fondations, de riches particuliers (patronage, clientèle). Les avantages que la satisfaction des besoins apporte se trouvent alors compensés par un abaissement de la position sociale, par une diminution de la liberté intellectuelle du peuple, un point dont il faut tenir compte, quand on apprécie les services charitables rendus par l'Église catholique (1).

«< 3o Le système caritatif est exposé au danger de commettre des manquements au principe économique (2), surtout par ses fondations. Une mauvaise administration, de la prodigalité, en sont la conséquence (ce sont des défauts de l'administration de

(1) L'auteur semble croire que la bienfaisance publique, qui est nécesairement répartie par les agents communaux, n'a pas d'influence dégradante sur les pauvres [C'est le contraire de l'expérience. Voyez par exemple le travail de M. Aschrott sur l'Assistance publique aux États-Unis (Jahrbucher, de M. J. Conrad, année 1889)]. On constate à chaque instant le parti de trouver bon ce qui est public ou commun et mauvais ce qui est privé.

(2) L'auteur a encore ici le tort de rester dans le vague d'une sorte à part d'abstraction. En effet, le « principe économique » se formule : « obtenir le plus grand résultat avec le moindre effort »; mais cette formule ne s'applique pas ici. L'auteur pense sans doute à ce principe, que toute consommation doit être le résultat d'une production, qu'il faut gagner sa vie, au moins se procurer la chose par voie d'échange.

la fondation). » Interrompons un moment notre citation pour expliquer ce n° 3. L'auteur a lui-même cru utile de l'expliquer, et en note il renvoie au livre de M. Emminghaus: Armenwesen, p. 386, Ueberlingen. Nous nous sommes reportés à cette page 386, et nous avons trouvé que les fondations étaient si riches à Ueberlingen (grand-duché de Bade), près du lac de Constance, qu'on y pourrait distribuer à cent -soixante familles (25 p. 100 de la population) à chacune 250 florins (550 fr.) par an, si elles tombaient dans la pauvreté. L'auteur cite ensuite des détails tendant à prouver que la commission de bienfaisance n'use pas de toute la parcimonie désirable en pareil cas. Nous n'examinerons pas la question de plus près, il nous suffit de comprendre que M. Wagner veut avertir les administrateurs des fondations, de s'arranger de manière à ce que chaque pauvre n'obtienne que le strict nécessaire, afin de ne pas encourager la paresse. Ce truisme pouvait être énoncé plus clairement. Nous reprenons la citation.

«< 4° Le système caritatif n'est pas toujours durablement avantageux à ceux qui lui doivent la satisfaction gratuite de leurs besoins. C'est plutôt le contraire qui est à craindre, ce qui doit donner à réfléchir, tant au point de vue économique qu'au point de vue moral. L'activité personnelle, la vernünftige Selbsthülfe (1) et la prévoyance, perdent tout ressort ou se paralysent. Le mal causé par d'abondants secours assurés aux pauvres, surtout lors de calamités, consiste à affaiblir ou à détruire les dispositions de l'homme à s'assurer contre les sinistres, la paresse et le parasitisme se répandent (ils sont parfois causés par les secours venant des couvents ou de l'Église);

(1) Les mots vernünftige Selbsthülfe sont une trouvaille, j'invite tous les libre-échangistes et tous les protectionnistes à saluer l'inventeur. C'est que jusqu'à présent la Selbsthülfe (selfhelp), l'aide-de-soi, a toujours été recommandée par les économistes libéraux, et leurs adversaires, protectionnistes et socialistes, en ont parlé tantôt avec ironie, tantôt avec mépris. Or, M. Wagner est un ancien libéral converti au socialisme d'État (il en est le pontife),il lui était sans doute pénible d'être privé de ce magnifique mot de Selbsthülfe (qu'il était obligé de par sa foi socialiste de déclarer inefficace), le voilà qui decouvre la vernünftige (raisonnable) Selbsthülfe, cela a l'air d'être autre chose (comme gardien de la paix est autre chose que sergent de ville), et on l'accepte avec joie. Eh bien, moi, économiste libéral, je me permets de déclarer que « l'aide de soi raisonnable » et « l'aide de soi » tout court, c'est tout à fait la même chose. (Si nous sommes sévère pour M. Wagner, c'est parce qu'il est un esprit éminent qui a beaucoup de chauds partisans: il leur offrirait du poison qu'ils le prendraient pour du sucre.)

il peut en résulter que des hommes se laissent tenter par des occupations sans travail. Il arrive aussi que l'assisté dédaigne un bienfait qu'il a eu sans peine (l'enseignement gratuit a été dans ce cas). Sans doute, tous ces dangers peuvent être évités si l'on sait bien individualiser (examiner chaque cas); mais l'expérience prouve qu'en cette matière on n'évite pas les fautes, et avec le temps ces fautes augmentent plutôt qu'elles ne diminuent. C'est ainsi que les choses se passent, notamment dans les fondations, lorsque aux fondateurs succèdent des administrateurs ordinaires, qui se contentent de faire mécaniquement leur besogne. Tels sont les dangers qui menacent toutes les administrations du système caritatif fondées sur des idées religieuses, des mœurs ecclésiastiques, ou sur les sentiments d'une époque d'enthousiasme. »>

Il faut dire que M. Ad. Wagner a été très sobre sur l'assistance publique, qui a été mentionnée en passant comme une chose qui va sans dire; c'était, ce nous semble, trop peu. C'est la bienfaisance privée qui semble seule avoir des défauts.

M. G. Boccardo, Economia politica, Turin, 7° édit. 1885, après avoir développé cette belle pensée, que la charité a une action plus bienfaisante sur le cœur du donateur que sur les sentiments de l'assisté, dit (t. III, p. 123) : « Mais bien plus graves sont les effets de l'assistance écrite dans les lois, surtout lorsqu'elle s'oublie à faire paraître plus désirable le lot du pauvre assisté que celui de l'ouvrier gagnant sa vie par le travail. L'assistance libre et volontaire a le grand avantage de laisser toujours planer une salutaire incertitude sur la réalité et la portée des bienfaits espérés, tandis que l'assistance assure les aliments, non comme le prix d'un effort sérieux, mais comme une rétribution strictement due par la société à tous ses membres. C'est ainsi que la loi crée le paupérisme qu'elle prétendait supprimer; et, par une conséquence inévitable, le nombre des besogneux croît fatalement et sans interruption. »>

M. le professeur A. Ciccone, Principj di economia politica, Naples, 1882-83, 3o éd., t. III, traite longuement de la misère, et naturellement aussi de la bienfaisance et de la prévoyance. P. 319, il dit : « La misère est, en premier lieu, une question de morale et de charité fraternelle, puis elle devient une question sociale et politique. On ne s'occupe bientôt plus de trouver des moyens de secourir ceux qui sont tombés dans la misère,

mais on cherche des moyens d'améliorer la condition de la classe ouvrière, pour l'empêcher de devenir une proie à la misère. L'auteur insiste sur la prédominance que gagnent bientôt l'utopie et la politique sur les bonnes aspirations et les efforts pratiques pour la réalisation du bien, qui devraient seuls entrer en jeu en cette matière.

LIVRE V

CONSOMMATION (1)

CHAPITRE XXXIII

LA CONSOMMATION EN GÉNÉRAL

Un assez grand nombre d'économistes définissent le mot consommer par détruire, mais nous n'avons jamais pu accepter cette définition. Pour nous, la consommation a toujours été l'usage, l'emploi, l'utilisation de la chose consommée, ou sa transformation. Si nous consultons les dictionnaires de l'Académie et de Littré, nous apprenons que la consommation est l'achèvement, l'accomplissement, la perfection d'une affaire ou d'une autre chose. Le vrai sens du mot, et il va parfaitement à l'économie politique, mieux que celui que Littré rappelle sous 5° (nous donnons cette acception en note) (2). La production exis

(1) Quelques économistes, surtout les Anglais, sont d'avis que la consommation ne fait pas partie de l'économie politique; quelques Français et quelques Allemands semblent du même avis, s'étant bornés à de courtes observations. Nous sommes de ceux qui, considérant la consommation comme la fin et l'accomplissement de l'oeuvre de la production, croient devoir suivre les produits jusqu'au bout, admettant que ce bout est encore dans les limites du domaine économique.

(2) 5o Terme d'économie politique. Action de détruire l'utilité d'un produit, utilité que la production a créée. Entretenir perpétuellement dans une ville telle que Paris une consommation immense dont une infinité d'accidents peuvent toujours tarir quelques sources (FONTEN. Argenson). Remplacez donc ici consommation par destruction, et voyez quel sens cela ferait. Nous aurons

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