Page images
PDF
EPUB

aussi mieux compte des changements divers qui s'introduisent dans le pays. >>

M. Roscher, System der Finanzwissenschaft, 1886, § 42, s'occupe plus particulièrement de l'influence des capacités individuelles sur l'incidence de l'impôt. La chose, en effet, ne va pas toujours toute seule; il y a souvent lutte entre vendeur et acheteur, et c'est le plus fort (souvent le plus fort dans l'intelligence des affaires) qui l'emporte. Sans doute le genre d'affaires a son influence, on débarrasse moins aisément un champ qu'une pièce d'étoffe des impôts qu'on met à leur charge. Il est évident aussi que celui des deux, de l'acheteur ou du vendeur, qui est le plus pressé de vendre ou d'acheter, est économiquement le plus faible et ne peut rien répercuter. Ce sont les ouvriers les moins rétribués qui sont le moins en état de faire hausser le salaire pour se débarrasser d'un impôt. Du reste, le goût populaire, la mode, ont, en matière de répercussion, une influence très grande et souvent imprévue si l'on veut acheter quand même! Et § 43. Un des modes les moins gênants de la répercussion, c'est qu'un objet de luxe ne change pas de prix par suite de l'impôt, mais devient plus petit (mesure réduite, ou aussi il perd en qualité s'il est d'un usage fréquent)... Cependant, en général, la répercussion doit être considérée comme une chose fâcheuse, qui augmente les désagréments causés par le nouvel impôt; en tout cas, la modification de l'incidence est une opération lente et souvent accompagnée de maux très sensibles.

M. Wagner passe pour celui qui, dans son Traité des finances, t. II, § 389 et suiv., a le mieux et le plus complètement exposé la théorie de l'incidence de l'impôt, sans innover autant que d'habitude, ce qui est, dans l'espèce, plutôt un éloge qu'une critique. J'aurais une réserve à faire relativement au mot qui échappe à l'auteur, au § 388, où il suppose que le législateur ne se préoccupe pas de l'incidence, laissant la charge tomber où elle veut. C'est une grave erreur, dans la plupart des cas le législateur cherche à maintenir le fardeau sur l'épaule où il a été posé par la loi, mais neuf fois sur dix il ne réussit pas. Il désire réussir, mais la force des choses l'emporte toujours sur les sentiments.

L'exposé de la théorie de M. le professeur Ad. Wagner ne nous fournira guère du nouveau, aussi résumerons-nous autant que possible. L'auteur adopte la terminologie de

Hock (1), et comme nous venons de l'expliquer, nous pouvons nous en servir, il y a quelque utilité à employer ici ces termes techniques, ils contribuent à faire ressortir les nuances.

(§ 390 du Traité de M. W.) Règles de la « Ueberwälzung » (ce not comprend tous les genres de répercussions ou Wälzung).

A. Abwälzung (évasion de l'impôt). La seule sorte d'évasion que l'auteur envisage est celle où le contribuable sait tellement perfectionner sa production qu'il sent moins la charge: 100 francs d'impôts sur mille objets sont moins sentis que 100 francs sur cinq cents objets. Lorsque l'impôt a cet effet, il est bienfaisant (§ 391).

B. Fortwälzung (le vendeur passe l'impôt à l'acheteur). M. Wagner pose ici cette règle que le premier contribuable peut d'autant plus facilement répercuter, passer à un autre l'impôt, qu'il peut réduire l'offre, de sorte qu'une offre moindre se trouvera en face d'une demande qui est restée la même. Il ne faut pas prendre trop à la lettre cette réduction de l'offre, il ne s'agit, au fond, que d'une hausse de prix; mais l'acheteur, on le sait, ne veut pas en entendre parler, et pour le forcer, il faut pouvoir lui dire : Si vous ne voulez pas, je ferme boutique. D'un autre côté, la hausse du prix réduit aussi le nombre des acheteurs, et pour pouvoir soutenir les prix, il faut pouvoir réduire la production, ou menacer de la réduction (I me semble que la rédaction de M. W. n'a pas, cette fois, sa clarté habituelle) (§ 392).

C. Rückwälzung (l'impôt reste à la charge du vendeur). Ce mode de répercussion a lieu lorsque l'impôt cause une réduction de la demande, sans que l'offre ait diminué. L'étendue de l'abstention du consommateur dépend de différentes circonstances, avant tout du degré de nécessité attribuable à la denrée (on ne peut guère se passer de pain, il faut l'acheter à tout prix), puis pour les objets de moindre nécessité ou de luxe, le consommateur jouit d'une certaine latitude s'il existe des succédanés. L'auteur entre dans quelques détails, mais pas assez pour que sa pensée soit toujours claire.

D. Weiterwälzung (répercussion aux deuxième ou troisième degrés). Par exemple : l'importateur d'une marchandise paye un droit d'entrée, et vend sa marchandise en gros, en majorant

(1) Hock a été directeur au ministère des finances et ensuite président de la Cour des comptes en Autriche.

le prix du montant des droits. Le négociant revend les produits à des détaillants en se faisant rembourser le droit; le détaillant vend au consommateur, qui de son côté le rembourse à son tour. M. Wagner n'admet cependant pas, avec M. L. de Stein, que tous les impôts se répercutent; il insiste sur la différence qu'il y a entre les différents cas et les nombreuses circonstances qui peuvent se présenter (§ 393).

Il résume ainsi l'étude que nous venons d'analyser succinctement (§ 395): « La répercussion a, en effet, fréquemment lieu, mais non sans difficultés quelquefois invincibles. Il n'est pas possible de prévoir à l'avance les effets de cette tendance, ni de les déterminer toujours après coup. Il n'est donc pas possible de garantir qu'une mauvaise répartition de l'impôt se corrigera toute seule avec le temps. On ne saurait donner la préférence à de vieux impôts relativement à des nouveaux, en soutenant que ces vieux impôts ont eu le temps de se régulariser, car on ne serait pas en état de faire la preuve de cette régularisation. Il ne faut pas être trop optimiste sous ce rapport, on doit toujours s'efforcer, dès le début, de donner aux impôts la forme la plus conforme à la justice et aux principes de l'économie politique » (cela va sans dire, personne ne compte sur l'incidence, puisqu'on ne peut pas la prévoir avec certitude, mais l'habitude atténue bien des maux).

Pour terminer, nous allons donner les titres de trois monographies sur l'incidence des impôts; nous ne croyons pas devoir les analyser, quelque intéressantes qu'elles soient, chacune dans son genre, nous serions dans la nécessité de nous répéter sans utilité, et en tout cas de trop étendre le chapitre. Deux de ces écrits sont en allemand, l'un est en italien :

Josef Kaizl Die Lehre von der Ueberwälzung der Steuern (Théorie de l'incidence des impôts). Leipzig, Duncker et Humblot, 1882.

G. von Falck Kritische Rückblicke auf die Entwickelung der Lehre von der Steuerüberwälzung (Coup d'œil critique sur le développement de la théorie de l'incidence des impôts depuis Ad. Smith). Dorpat, Schnackenburg, 1882.

Maffeo Pantaleoni: Teoria della traslazione dei tributi (Théorie de l'incidence des impôts). Rome, A. Paolini, 1882.

CHAPITRE XXXII

L'ASSISTANCE ET LA PRÉVOYANCE

L'assistance publique et privée - est du domaine de l'économie politique parce qu'elle est un mode d'acquisition d'objets nécessaires à la vie. L'immense majorité des hommes se procurent ces objets par le travail ou par l'échange, c'est-à-dire d'une manière onéreuse, en payant, mais un nombre assez grand de personnes les obtiennent gratuitement, par pur don. Une partie de ces personnes, femmes, enfants, vieillards, sont les membres d'une famille dont le chef produit des biens ou jouit de rentes, celles-là nous devons les considérer comme prenant part à la production, car le chef de la famille travaille pour elles; mais il en est d'autres pour lesquelles nul ne travaille, et qui ne travaillent pas elles-mêmes, nous parlons des malades, des infirmes et des individus sans ressources; ces personnes-là ne pourraient pas vivre si elles ne recevaient l'assistance publique, ou des secours privés, en un mot, si la charité n'avait soin d'elles.

Sur l'obligation de cette assistance, comme sur toute chose relativement à laquelle le sentiment et la raison peuvent entrer en conflit, les opinions diffèrent; les gens qui se laissent guider par leur sentiment soutiennent l'affirmative, ceux qui consultent de préférence la raison, la négative. Ces derniers sont d'avis qu'en dehors des préceptes de la religion, rien, sinon notre bon cœur, ne nous

oblige à venir en aide à notre prochain. Nous devons faire abstraction ici des préceptes religieux, parce que les personnes qui leur accordent de l'autorité les considerent comme des prescriptions émanant d'une puissance supérieure qui est hors et au-dessus de l'humanité, prescriptions qui ne peuvent agir que sur le sentiment, tandis que nous désirons connaître et nous avons la tâche de communiquer ici les enseignements de la science, qui sont ceux de la raison. Or, aucun de ceux qui se sont prononcé d'une manière générale en faveur de l'assistance obligatoire n'ont pu donner des arguments scientifiques à l'appui de leur doctrine, ils se sont contentés d'affirmer, en y ajoutant parfois quelques phrases éloquentes qui n'émeuvent que leurs partisans.

[ocr errors]

Au fond, nous nous demandons s'il vaut la peine d'entrer en discussion sur l'obligation de l'assistance, puisque nous sommes sûr d'avance de conclure en faveur de sa nécessité, comme l'ont fait presque tous ceux qui ont abordé la matière; mais si les hommes de cœur en viennent toujours là, il est très utile pour celui qui enseigne c'est même un devoir strict d'écouter aussi la raison, quitte à ne pas prendre ses enseignements à la lettre, car le sentiment ne le permettrait pas. Or la raison démontre que si notre voisin commet des fautes dont les conséquences le font souffrir, aucune loi naturelle, divine, humaine, ne peut nous obliger à souffrir à sa place. Pierre s'est amusé à séduire Pierrette, et l'abandonne ensuite: sommes-nous tous tenus d'avoir soin de son enfant? La raison dirait nettement non, mais le sentiment lui met la main sur la bouche pour l'empêcher de parler. Nous ne croyons pas que cette intervention sociale, certaine et prévue, soit salutaire à l'humanité ; il faut toujours laisser parler la raison, le sentiment n'en fera pas moins à sa tête, il est coutumier du fait, seulement, il y mettera un certain ordre, une

« PreviousContinue »