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moyenne; si la quantité est insuffisante, les hommes en souffrent et prisent plus haut (achètent plus chèrement) l'objet qui leur manque; s'il y a surabondance, c'est le sentiment opposé, le dédain (et le bas prix) qui se manifeste. Or, les quantités des différents objets nécessaires à l'homme sont loin d'être identiques et c'est le rapport comparé des quantités aux besoins qui, abstraitement parlant, détermine et gradue les valeurs. Un exemple est nécessaire ici à la clarté. Supposons que chaque homme ait besoin (résultat du milieu, de l'expérience, etc.) de 1 gramme d'or, de 1,000 grammes de pain, 1 litre de vin et de 1 mètre de toile et que ce gramme d'or suffise pour obtenir en échange les trois autres objets, nous dirions alors que les choses ont leur valeur normale. On prendrait l'habitude d'évaluer 1,000 grammes de pain à l'égal d'un tiers de gramme d'or, mais si l'un des deux objets (l'une des deux marchandises), mettons le blé, doublait de quantité, le possesseur du blé en offrirait, et le possesseur de l'or en demanderait davantage, c'est-à-dire plus de 1,000 grammes pour un tiers de gramme d'or. Cela est dans la nature humaine (nous l'expliquons ailleurs). Maintenant, ces rapports entre les valeurs se fixent quelquefois d'instinct, par suite d'un concours de circonstances, d'autres fois les chiffres sont calculés, le plus souvent il y a lutte et transaction, mais toujours l'utilité comparative de la chose et les quantités disponibles sont les principaux déterminants de la valeur, et pour la commodité des échanges, on énonce la valeur en unité de la marchandise universelle élevée à l'état de monnaie.

C'est par la comparaison, la mise en regard des évaluations énoncées en unités de valeur (ou en unités monétaires) que les échanges se concluent, mais faciliter les échanges n'est pas l'unique fonction de la monnaie. Elle sert aussi à conserver, à emmagasiner la valeur, et nous ne comprenons pas comment MM. F.-A. Walker et

Sidgwick aient pu songer à contester une chose aussi évidente. Le cultivateur qui a 100 hectolitres de blé à vendre, fera souvent bien de les envoyer au marché, le prix en espèces étant d'une meilleure garde, car il ne court aucun danger d'être mangé par les rats ou les vers ou gâté par T'humidité, puis le grenier devient disponible pour un autre emploi. Dans le tiroir, les 2,000 francs (prix du blé) ne cessent pas d'être de l'argent, ou du capital disponible, on peut le remettre en circulation à chaque instant. Est-ce qu'un cheval cesse d'être un cheval pendant qu'on le laisse reposer dans l'écurie? La forme monnaie de cette valeur de 2,000 francs est en outre d'un transport bien plus facile que la forme 100 hectolitres de blé. Nous avons déjà signalé la facilité de la transmission d'une valeur sous la forme de numéraire; c'est aussi celle qu'on emploie pour les payements, pour l'évaluation de dommages, pour la fixation d'amendes et dans nombre d'autres cas.

On s'est demandé qu'est-ce qui détermine la valeur (commerciale) des monnaies? C'était pour répondre que leur matière subit les mêmes influences que les autres marchandises, savoir: 1° celle des frais de production, et 2o celle de l'offre et de la demande (1). Les frais de production varient selon l'abondance des mines et des placers, selon la perfection des procédés d'extraction et selon les facilités ou les difficultés locales, les mines les moins productives encore exploitables, ayant une influence prépondérante sur les prix; les mines assez pauvres pour que leur

(1)« L'or et l'argent, dit Ricardo (édit. Guill., 1882, p. 289), ainsi que toutes les autres marchandises, n'ont de valeur qu'en proportion de la quantité de travail nécessaire pour les produire et les faire arriver au marché. L'or est environ 15 fois plus cher que l'argent, non pas que la demande en soit plus forte (?), ni que l'argent soit 15 fois plus abondant que l'or, mais uniquement en raison de ce qu'il faut 15 fois plus de travail pour obtenir une quantité déterminée d'or. »

Ricardo fait ici de l'a priori, les faits lui donnent tort, car souvent l'offre et la demande modifient visiblement les résultats des frais de production.

rendement ne couvre pas les frais au prix le plus élevé que le commerce consent à payer pour le métal, sont délaissées. L'offre de monnaies ou de lingots vient en premier lieu des pays qui produisent le métal, les autres contrées ne peuvent que donner des marchandises en échange, mais les transactions sont souvent plus compliquées qu'on le croit, parce que des tiers s'interposent et font dévier les courants pour satisfaire à des besoins divers.

Constatons d'abord que l'offre ou la demande de numéraire est la conséquence du rapport qui existe dans un pays entre l'ensemble des marchandises à vendre et les monnaies (réelles ou fictives) qui peuvent servir de moyen d'échange. Les marchandises sont en quelque sorte dans l'un des plateaux de la balance, le numéraire dans l'autre. Quelques auteurs mettent dans ce dernier le stock entier du numéraire du pays (les Allemands appelle cette manière de voir la Quantitätstheorie, la théorie du stock monétaire), mais la plupart des économistes n'opposent aux marchandises que les monnaies employées à la faire circuler; on néglige l'argent oisif ou caché. Plus il y a d'argent en présence des marchandises, moins on l'estime, plus aussi la concurrence des acheteurs sera vive. Le vendeur demandera davantage, l'acheteur sera plus coulant. La rareté aura l'effet contraire; on connaît l'action ordinaire de l'abondance et de la rareté sur l'esprit humain. Lorsque les affaires sont très actives et la circulation rapide, une moindre quantité d'argent fait l'effet d'une quantité plus grande, la même pièce de monnaie faisant plus souvent son office d'instrument d'échange. Quoi qu'on en ait dit, il n'est pas impossible que le numéraire oisif n'exerce lui-même une certaine influence. (Cela dépend où il est oisif, dans une banque ou chez un particulier.)

Voici maintenant comment l'abondance ou la rareté de la monnaie se traduit en offre ou en demande. De nos

jours surtout, tous les pays font partie du marché universel, les prix du monde entier tendent à se niveler, autant que le permettent les frais de transport, les droits de douane et autres obstacles. Or, si dans le pays A le numéraire est rare, le prix des marchandises baissera, au lieu de 10 grammes d'or, 5 grammes suffiront pour acheter un objet, par conséquent, les pays où ce même objet coûte beaucoup plus de 5 grammes se fourniront dans la contrée A et y apporteront leur or. De cette façon, un certain équilibre se rétablira entre la valeur de l'or et celle de la marchandise, celle-ci deviendra plus rare, celui-là plus abondant. Supposons maintenant que les métaux précieux sont devenus abondants dans la contrée B, les marchandises y augmenteront de prix, on en achètera moins et l'or devenu disponible s'exportera dans des contrées ou il est plus rare et où les denrées sont à meilleur marché. Les prix tendent à l'équilibre et les métaux précieux les aident à s'en rapprocher.

Nous avons supposé, ce qui est d'ailleurs le cas ordinaire, que les prix se forment par l'action naturelle du mouvement des affaires; mais certaines influences extérieures ou perturbatrices peuvent se faire sentir. Par exemple si le gouvernement ne frappait que peu de monnaie, la valeur de celle qui circule pourrait s'élever plus ou moins au-dessus du prix du métal en lingot. En fait, la frappe des monnaies libératoires est partout, sinon libre, du moins illimitée. Tout particulier peut apporter à la monnaie autant de lingots d'or qu'il veut, on lui donne en échange la somme correspondante en espèces (1). La monnaie libératoire existera donc toujours en quantité suffisante. Il y a cependant une distinction à faire. En Angle

(1) Quand l'or afflue en trop grandes quantités, le gouvernement a la ressource de prendre un délai pour effectuer le monnayage. Si ce délai est un peu long, le propriétaire du lingot perd les intérêts de son capital, les espèces sont renchéries d'autant. C'est un frein.

terre et en Russie la frappe est gratis; en France et dans quelques autres États on paye les frais de monnayage (en France 6 fr. 70 par kilogramme d'or (1879), autrefois 9 fr.); il y a encore quelques contrées où la frappe est chargée d'un léger impôt appelé seigneuriage (voy. le chap. Banque). On voit que, selon le cas, le kilogramme d'or monnayé peut devenir un peu plus cher que le kilogramme de lingot, en pareille occurence ce sont les lingots qu'on exporte de préférence, car c'est le métal qui possède la valeur internationale (l'étranger ne vous paye ni frais, ni impôt). C'est le cours du change qui indique les procédés les plus avantageux, et le change est le résultat de l'état du stock (abondance ou rareté). Quand le stock diminue, sa valeur relative s'élève.

Nous parlions de la monnaie libératoire, mais il y a aussi des monnaies qui, en principe, ont dans un pays

une valeur légale et même marchande supérieure à leur valeur intrinsèque (celle des lingots); ce sont des monnaies d'appoint ou de billon, les Anglais disent quelquefois tokenmoney (jetons), les Allemands Creditgeld (monnaie de crédit), que l'État a seul le droit d'émettre et dans d'étroites limites que le législateur fixe avec soin (1). Ces monnaies-là ne sont pas une marchandise internationale, ce sont des signes conventionnels nationaux, qu'on accepte volontiers par petites sommes dans le pays on ne peut pas sans passer, mais qui n'est reçu que comme appoint, en quantités limitées.

Mais il arrive aussi que la bonne monnaie se détériore.

(1) La monnaie d'argent de l'Union latine de 2 fr.ct au-dessous est devenue une simple monnaie d'appoint, en fait et légalement (voy. la législation dans Block, Dict. de l'admin. française, Monnaie). La pièce de 5 fr est restée légalement libératoire, car l'argent y est au titre de neuf dixièmes de fin; mais comme le prix du lingot d'argent a subi une grande baisse, l'étranger ne l'accepte plus, comme autrefois, pour sa valeur nominale. Cette pièce ne circule plus qu'en France (ou l'Union latine) où on lui fait d'ailleurs assez mauvaise mine à cause de sa lourdeur, c'est à qui s'en débarrassera.

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