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treprise », M. Howell a raison de dire : voilà la vraie participation. Il sait cependant qu'on en a essayé une autre, celle qui consiste à faire purement et simplement un cadeau à la fin de l'année. Mais il ne fait pas grand cas de ce moyen trop vanté et qui ne résiste à aucune des difficultés qui se présentent dans la vie industrielle. Hélas! la passion ne tient pas compte de l'expérience.

SECTION V

INTERVENTION DE L'ÉTAT DANS LES RAPPORTS ENTRE PATRONS ET OUVRIERS.

L'intervention de l'État, il serait plus correct de dire l'intervention du gouvernement, peut s'opérer de différentes façons. Le gouvernement étant chargé de la police, et l'on sait combien le sens de ce mot est large, il peut avoir mainte occasion d'intervenir très légitimement, très utilement dans les matières qui sont du domaine économique. Ainsi, en vertu de ses pouvoirs de police, il tient la main à ce que les ateliers soient rendus salubres, à ce que des précautions soient prises contre les accidents, à ce que l'organisation des manufactures ne facilite pas l'immoralité dans les rapports entre les deux sexes.

C'est encore en vertu des mêmes pouvoirs que les divers gouvernements ont promulgué des lois sur le travail des femmes et des enfants dans les manufactures, et ont institué des Inspecteurs de fabriques pour veiller à la santé et à la sécurité des travailleurs. Si, au début, quelques économistes se sont opposés à ces créations, c'est qu'ils ignoraient l'étendue des abus, mais surtout, c'est qu'ils craignaient que, le premier pas franchi, on ne sût plus s'arrêter; car il n'y a que le premier pas qui coûte, et c'est la mission spéciale des économistes de mettre un frein aux abus de l'esprit autoritaire (1). Il peut leur arriver, en pareil cas,

(1) Au fond, ce sont les parents qui ont abusé de leurs pouvoirs sur les enfants, et la police doit l'empêcher.

d'abonder un peu dans leur propre sens, celui de la liberté; quand on veut redresser un arc, il faut le courber un moment dans l'autre sens, les deux tendances opposées se neutralisent et l'on arrête entre les deux extrêmes.

Après les affaires de pure police viennent les questions où les solutions sont plus délicates, et où l'économiste a un devoir strict de défendre la liberté. De cet ordre est, par exemple, la fixation de la durée de la journée de travail. Cette journée était autrefois excessive, mais elle s'est sensiblement raccourcie, tout en restant encore assez longue. Dans quelques pays le législateur a cru devoir fixer un maximum, en n'accordant aux ouvriers adultes que onze heures ou douze heures par jour et pas davantage. Cette mesure laissait à désirer, puisque les lois qui la prescrivaient, prévoyant qu'elle aurait beaucoup d'inconvénients, indiquaient elles-mêmes les autorités qui pourraient donner la permission de ne pas obéir à la loi, car il fallait éviter à l'industrie les trop grosses pertes et aux consommateurs des souffrances inutiles. Peut-être voulait-on aussi adoucir ce qu'avait de dur cet empiètement sur les droits d'un homme libre, qui consistait à lui interdire de travailler au delà d'une certaine heure.

Limiter les heures de travail, c'est influer directement ou indirectement, selon les cas, sur les salaires. Sans doute, jusqu'à présent, la limitation de la journée de travail, comme elle est restée assez longue, n'a pratiquement fait aucun mal, le plus souvent la journée réelle n'atteint pas la journée légale; la limitation ne peut gêner que dans certains cas déterminés. Mais on a le droit de craindre que la mesure ne soit considérée comme un précédent, et que, les intérêts électoraux aidant, on ne se mette à raccourcir la journée en vue d'intérêts particuliers plutôt que de la justice. Soit dit en passant, on a quelquefois parlé d'ouvrir des négociations internationales pour faire égaliser la journée

dans les différents pays et pour convenir d'autres mesures protectrices des ouvriers. La Suisse l'a essayé deux fois, mais sans succès. Malgré la brochure écrite avec talent sur la matière par M. G. Adler (1), nous ne croyons pas que ces efforts aient des chances pour aboutir; mais si un traité pouvait intervenir, c'est le pays qui a la plus courte journée qui servirăit de modèle, et dans ce cas les pays dont les ouvriers sont les plus lents, les moins habiles (et les moins bien nourris) pâtiraient (2). Et nous supposons que les divers États tiendront ou pourront tenir leurs conventions dans

l'ardente lutte des concurrences internationales.

En dehors des matières économiques que la police peut revendiquer, il en est à laquelle elle ne doit pas toucher. Telle est la question des salaires. Il y eut un temps, sans doute, où l'autorité ne se gênait pas de fixer les prix et les salaires; mais c'était au temps du servage, au temps où les rois s'imaginaient que personne n'avait le droit d'exercer un métier sans leur permission, au temps aussi où l'on brûlait les hérétiques et noyait les sorcières, où l'on commettait des horreurs sans nombre. Cette époque-là ne peut pas nous servir de modèle. On dira qu'il est resté des vestiges de cette époque ennemie des lumières, on citera, par exemple, la prétention de taxer le pain. Hàtons-nous de faire remarquer que la taxe du pain est considérée comme une mesure de police plutôt que comme une mesure économique. La police, objectera-t-on, n'a pas tous les droits qu'elle s'attribue; c'est ainsi que la police de Pierre ler de Russie faisait couper à ses sujets incomplètement civilisés les cheveux et les pans des pardessus qui dépassaient une certaine longueur (afin de les mettre au niveau de la civili

(1) Die Frage des internationalen Arbeiterschutzes, Munich et Leipzig, G. Hirth, 1888.

(2) Sur la valeur inégale du travail des ouvriers, voy. Work and Wages, par Th. Brassey, Londres, Bell and Daldy, 1877; Young, Labor in Europe, etc., page 368, et d'autres ouvrages,

sation occidentale), et l'on pourrait citer d'autres exemples analogues. Or, en taxant le pain, on limite le taux du salaire des boulangers, car le salaire entre dans les frais de production, et l'autorité qui fixe le prix du pain n'admet comme variable que le prix de la farine, tout le reste est censé immuable.

De nos jours, en taxant le pain, la police a le tort d'attribuer à une dépense de 10 à 20 centimes par jour (c'est le maximun de ce qu'elle peut avoir à réduire sur le prix que le boulanger établirait librement) un effet assez grand sur les ouvriers pour les croire capables de causer des émeutes. L'argent n'a plus la même valeur qu'autrefois, et on ne mange pas que du pain. D'un autre côté, que diraient messieurs les conseillers municipaux qui traitent ainsi les boulangers, si on voulait taxer les produits qu'ils fabriquent eux-mêmes: ils crieraient à la violence et au scandale. Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit.

La question de l'intervention gouvernementale, on le voit, est devenue de plus en plus une question de sentiment et non de raisonnement, et nous devons d'autant moins insister ici sur ce point, que nous avons déjà traité la matière à un autre endroit (ch. xvi). Il suffit de dire que l'industrie actuelle, surtout la grande, est si différente de celle du moyen âge, qu'il ne viendra à l'idée d'aucun gouvernement de fixer les salaires; s'il arrivait qu'un gouvernement, poussé par le socialisme, passât outre, il ne pourrait qu'arrêter le travail. Même si les droits des gouvernements étaient illimités, ce qu'ils ne sont pas, ils ne seraient jamais en état de venir à bout de tous les calculs compliqués nécessaires pour fixer les prix et les salaires, qui sont influencés par tant de choses. Ces calculs dépassent même les facultés des mathématiciens les plus célèbres; il faut pour atteindre un résultat approximativement

satisfaisant le concours persévérant de tous les intéressés... et leur bonne volonté. Sans transaction il n'y a pas d'accord.

De nombreux écrits ont paru sur les matières effleurées dans cette section, et en effet, plusieurs exigeraient des monographies étendues pour être exposées convenablement et discutées. Aucun des auteurs que nous avons consultés ne nous a fourni la matière d'une citation à la fois courte et instructive. Nous trouvons cependant une bonne page à emprunter à M. Cauwès (Précis, 2o, édit. II, p. 55) : « La fixation légale des salaires a rencontré des défenseurs parmi les socialistes. Dans le système social exposé au Luxembourg, en 1848, par Louis Blanc, le droit au travail avait pour corollaire l'égalité des salaires; or, l'égalité des salaires imposée par la loi ne serait autre chose que le communisme avec toutes ses injustices et ses abus (1). »

« Une autre solution a été mise en avant, celle d'un minimum légal, afin d'éviter l'insuffisance des salaires; on abandonnerait à la concurrence les variations qui pourraient se produire audessus de ce minimum; mais l'État assumerait l'obligation de payer une subvention si le minimum n'était pas atteint. Ce système exposait l'État à un double risque 1° l'extension indéfinie des charges dues à l'accroissement de la population, qui ne serait plus contenu par le sentiment de la prévoyance; 2o l'improductivité d'un travail accompli en dehors de l'aiguillon de la nécessité et du sentiment de la responsabilité. En France, l'expérience des ateliers nationaux a été faite en temps de révolution; mais, en Suisse, à Genève, elle a continué depuis 1846 jusqu'en ces derniers temps. Chaque fois que les vicissitudes du marché industriel mettaient en souffrance la fabrique genevoise, les ateliers nationaux étaient ouverts. Depuis 1873 surtout, la stagnation des affaires avait peuplé les ateliers d'ouvriers sans travail, parmi lesquels les oisifs volontaires étaient en majorité. L'État y dépensait beaucoup et les travaux se faisaient peu et mal. Comme en France, en 1848, les habi

(1) Chez les socialistes postérieurs, les « collectivistes », il n'y aurait pas lieu à fixation de salaire, une heure de travail normal valant une heure de travail de même nature. Toutefois les heures d'un travail qualifié vaudront des multiples de l'heure ordinaire; mais qui formulera le tarif de ces multiples?

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