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est vrai dans bien des cas, car elle n'a pas le bras assez long. L'établissement d'une voie de communication n'est le plus souvent avantageuse que si l'entrepreneur jouit d'un monopole. Or, M. Sax craint, p. 524, que l'entrepreneur n'abuse de son monopole (en faisant des avantages à l'un ou en gênant l'autre, cette crainte ne me paraît pas fondée, le gouvernement sera toujours assez fort pour assurer l'égalité de traitement à tous les expéditeurs. Du reste l'auteur oppose d'une manière trop tranchée l'État aux particuliers, et de cette façon on trouvera bien des choses à dire en faveur de l'État qui ne sont que des arguments de procureurs, par exemple, des particuliers n'entreprendraient que les bonnes lignes, sans plan d'ensemble, tandis que l'État aura un plan d'ensemble; mais qui empêche l'État de ne conférer une autorisation qu'aux conditions inspirées par l'intérêt général? On l'a d'ailleurs fait en France. Ona de nos jours une tendance à conférer plus de droits à l'État, par la seule raison que la génération qui nous a précédé avait une tendance à lui en accorder moins. Il est malheureusement difficile de trouver des esprits dégagés de toute influence politique ou sociale.

L'auteur consacre ensuite une division étendue à l'administration des voies de communication, à leur organisation, leur police, aux principes qui doivent inspirer l'État. Ces principes sont au nombre de trois : 1° Le principe de la communauté, les voies de communication étant établis aux frais du budget et mis à la disposition de tous (par ex., les routes); 2° Le principe individualiste, selon lequel la voie est établie comme entreprise publique, et tous ceux qui s'en servent doivent payer à leur valeur le service qu'ils en obtiennent (p. ex., les chemins de fer); 3o Le principe mixte, où la voie est un service ou un éta blissement public qui se fait payer un simple droit, mais non une rémunération complète (p. ex., sur un canal). Nous avons cru devoir ajouter les exemples entre parenthèses. L'auteur n'explique pas assez clairement dans quel cas l'un ou l'autre principe doit être appliqué de préférence, c'est qu'il n'y a pas de règle générale à suivre sur ce point; chaque cas doit être examiné à part et parmi les causes décisives il faut compter outre les circonstances géographiques, politiques et économiques... l'état présent de l'opinion. Il va sans dire qu'il y a des règles particulières pour les différentes voies de communica

tion, l'auteur les passe en revue, mais ses observations n'entrent pas dans notre cadre.

La question de l'exploitation des voies de communication par des compagnies est soumise ensuite par l'auteur à une étude spéciale. Il les considère comme des administrations déléguées par l'État et nullement comme des entreprises purement privées, ce en quoi il est difficile de lui donner tort. Mais M. Sax est d'avis qu'il y a cependant des cas où il convient de charger une compagnie de l'entreprise, seulement cette compagnie ne devra l'exploiter que selon les règles quel État lui aura prescrit. Les cas dans lesquel une pareille délégation peut avoir lieu sont des questions de faits et sur ce point, c'est l'histoire qu'il faut consulter, car rien n'est plus instructif que les solutions qu'elle enregistre, les mauvaises solutions étant presque aussi instructives que les bonnes.

On aura deviné que ce sont surtout les chemins de fer qu'on a en vue ici, l'auteur traite des rapports entre l'État et les compagnies, des subventions, des garanties, de la réglementation et divers autres points analogues sans rien ajouter de nouveau. Les arguments présentés en faveur ou contre l'exploitation par l'État ont été réunis, p. 564 et suivantes, où l'on peut les lire mais il ne semble pas utile de nous y arrêter, car, si la question n'est pas encore résolue partout, ce ne sera pas la théorie qui lui donnera sa solution finale, ce sera une lutte d'intérêts, ou la pression de l'opinion.

La dernière partie du travail de M. Sax s'applique à la tarification et se borne à un coup d'œil d'ensemble. Les généralités ne sont pas très instructives en ces matières compliquées; on ne peut pas, surtout dans un chemin de fer, tout fonder sur le prix de revient du transport, et dès qu'on songe à répartir les charges d'après les services rendus, ou d'après les facultés de ceux qui auraient à les supporter, ou d'après des circonstances, des intérêts ou d'autres données spéciales on entre dans les questions pratiques et ce sont des cas particuliers qu'il faut examiner. En tout cas, le tarif exige une étude approfondie, et les solutions ne peuvent pas être improvisées.

LIVRE IV

DISTRIBUTION OU RÉPARTITION DES REVENUS

ÉCONOMIQUES

CHAPITRE XXVI

RÈGLES GÉNÉRALES DE LA RÉPARTITION, LES REVENUS

La science a toujours soutenu que les produits (ou la valeur des produits) tendent à se distribuer entre leurs producteurs dans la proportion où chacun d'eux y a contribué. C'est naturellement une pure tendance, car ces collaborateurs sont de natures si variées, que leur action est souvent incommensurable. Est-ce celui qui a élevé les moutons, celui qui a filé la laine, celui qui a cousu le vêtement, ou celui qui est parvenu à le vendre qui a rendu le plus grand service? Et nous sommes loin d'avoir mentionné tous les collaborateurs.

L'absence de moyens certains de fixer la part exacte des collaborateurs fait dire et croire, et non sans raison, que chacun tire à soi, par conséquent, que le fort prend plus que sa part. Toutefois nous aurons à montrer qu'il existe dans la société et dans la nature des choses des freins puissants qui réduisent l'injustice à un minimum. Quant à la faire cesser tout à fait entre les hommes, cela sera impos

sible aussi longtemps que nous ne pourrons pas peser les impondérables, ou lire sans nous tromper les uns dans la pensée des autres. Nous verrons du reste bientôt comment les choses s'arrangent pour que généralement la rémunération réponde au service rendu, quoi qu'en disent ceux qui prétendent nier le rapport de cause à effet (1).

La production industrielle, nous l'avons vu, a généralement lieu avec le concours d'une intelligence initiatrice ou directrice, et celui du capital, du travail, de la nature, ce qui fait quatre agents mais le même individu peut réunir dans sa personne les attributions de plusieurs agents, il peut être capitaliste et entrepreneur et même ouvrier pardessus le marché. L'usage, inspiré par la nature des choses, a donné un nom particulier à la rémunération attribuée à chacun de ces agents de la production: celle du capital s'appelle intérêt; celle du travail, salaire; celle de la nature, rente, loyer (parfois autrement encore); celle de l'intelligence directrice (2) dit habituellement l'entrepreneur, bénéfices. Ces noms prouvent qu'on distingue les différents services et qu'on trouve nécessaire de les rémunérer séparément et d'après d'autres principes, ce qui n'empêche pas le même individu de recevoir plusieurs rémunérations s'il rend plusieurs services, seulement on ne les distingue pas toujours par des noms spéciaux. — Mais quelle est la part proportionnelle de chacun des collaborateurs ?

Il y ici, deux sortes de difficultés à vaincre 1o Les différents mérites ou services n'ont pas de mesure com

(1) Il y a une cause de perturbation dans ce fait que les hommes, presque sans exception, payent plus richement ceux qui leur sont agréables que ceux qui leur sont utiles. Le sentiment l'emporte donc ici, hélas! sur la raison.

(2) Ou mieux encore peut-être initiatrice. C'est pour avoir inventé l'entreprise, pour y avoir risqué son temps, sa peine, peut-être son honneur (faillite) et avoir rendu service, que l'entrepreneur est parfois bien rétribué. Son bénéfice est souvent proportionnel à l'étendue du service. L'humanité récompense le succès.

mune, ils sont incommensurables, et 2° le nombre des ayants droit ou des participants est, pour chaque produit, assez considérable.

Prenons un produit achevé, par exemple, un habit, on le vend 100 francs, c'est la manière d'exprimer sa valeur actuelle. Ce produit a passé par beaucoup de mains avant d'être acquit par le consommateur, il faut que par ce prix final tous les services soient rémunérés. Qui nous dira. combien en revient au berger australien qui a élevé le mouton, aux marins qui ont transporté la laine, puis au filateur, au tisserand, au teinturier-apprêteur, au marchand, au tailleur, au fabricant d'aiguilles, de fil à coudre, de boutons, de doublure, etc.? Et quelles sont les parts de l'intelligence, du risque, de l'impôt? - La science est muette sur ce point, car comment répondrait-elle, elle qui vit d'expérience, à une question que la pratique n'a pu résoudre qu'en tâtonnant et par parties. Si les producteurs d'objets aussi compliqués devaient attendre leur rémunération jusqu'à la fin de la liquidation définitive de l'affaire, jusqu'à la consommation proprement dite, la répartition deviendrait bien difficile, sinon pratiquement impossible. Aussi la liquidation a-t-elle lieu successivement à mesure que les services se rendent. Elle se fonde, pour chaque degré de la production, et pour chacun des auxiliaires de la production sur une longue expérience dont la société a tiré des règles pour bien des cas, et des indications pour d'autres, on connaît le taux de l'intérêt, les loyers sc discutent dans chaque cas, les salaires pour chaque profession sont connus d'avance, les fluctuations donnent lieu à des conventions. Quant à l'entrepreneur, il connaît toutes ces données et court, pour ses bénéfices, la chance des conjonctures et des effets de son savoir-faire. Il est presque le seul à courir ces chances, le capitaliste, l'ouvrier, le propriétaire connaissent presque toujours leur part d'avance;

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