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Pendant cinq siècles, la royauté française avait combattu la féodalité et les résistances provinciales. Au XIIe siècle, elle avait vaincu les vassaux du duché de France. Au XIIIe, elle avait triomphé de cette multitude de seigneurs qui étaient les véritables souverains du royaume. Philippe-Auguste, par les armes et les conquêtes; Louis IX, par ses lois et par la sainteté de son caractère; Philippe-leBel, par ses institutions et par son despotisme, avaient établi sur des bases solides l'autorité monarchique1; ils avaient étendu leur domination de la Lys aux Pyrénées, du Rhône à l'Océan. Dès le XIVe siècle, l'autorité du Roi était reconnue dans toute la France. Mais des branches mêmes de la race capétienne naquit une nouvelle féodalité. Les maisons apanagées de Bourgogne, de Bourbon, d'Anjou, d'Orléans, morcelèrent le royaume. Les chefs

Philippe de Beaumanoir, Coutume de Beauvoisis, ch. 34.

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de cette aristocratie aimaient tant la France, comme disait l'un d'eux, qu'au lieu d'un royaume ils en eussent voulu six. Pour vaincre cette féodalité apanagée, il fallut l'astuce, l'activité, la politique habile et terrible de Louis XI. Dès la fin du XVe siècle, il n'y avait plus en France qu'un seul souverain '. Mais, dans les provinces, subsistait toujours l'opposition de mœurs, de lois, d'institutions. Au commencement du XVIe siècle, la royauté, quoique détournée des affaires intérieures par les guerres d'Italie, s'occupa cependant d'imposer à la France une administration plus homogène. Douze gouverneurs furent chargés du commandement militaire; huit parlements, de la justice; autant de chambres des comptes et de cours des aides, de la juridiction financière; les bureaux de finances, de la répartition des impôts et de la gestion domaniale; enfin, dix-sept receveurs généraux furent institués pour percevoir les taxes et les verser dans une caisse centrale, nommée Épargne. Dès cette époque la France arrive à une unité qui étonne les étrangers. «Il y a des pays plus fertiles et plus riches que la France, écrivait en 4546 l'ambassadeur vénitien Marino Cavalli, tels que la Hongrie et l'Italie; il y en a de plus grands et de plus puissants, tels que l'Allemagne et l'Espagne; mais nul n'est aussi uni (tanto unito) 2. »

Voyez, sur la puissance des Rois de France à cette époque, Machiavel, le Prince, chap. 19; Claude de Seyssel, Louanges de Louis XII, édit. Godefroy, p. 169, et les Relations des ambassadeurs vénitiens, dans les Documents inédits de l'Histoire de France. On lit dans ce dernier ouvrage : « Quant au Roi très chrétien, je crois sa puissance plus considérable que celle d'aucun de ses devanciers. Ses états se sont agrandis, et ils lui sont plus soumis que jamais.» Tome Ier, p. 91. Voyez encore p. 177, 269 et 273 du même recueil. 2 Relations des ambassadeurs vénitiens, dans les Documents inédits de l'Histoire de France, tome Ier, p. 271.

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ADMINISTRATION DE LOUIS XIV.

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Les guerres de religion entravèrent de nouveau le développement de l'autorité monarchique en France; les pouvoirs, que la royauté avait créés comme instruments d'administration, se tournèrent souvent contre elle. Ainsi, vers la fin du XVIe siècle, les gouverneurs et les parlements se mirent à la tête de l'opposition provinciale. Il fallut que Richelieu abattît l'autorité des gouverneurs et confiât l'administration locale à des agents plus dociles aux intendants, institués en 1635. La Fronde, coalition de grands seigneurs, de gouverneurs de province et de parlements, fut vaincue par Mazarin, et avec elle succomba la dernière tentative de résistance à l'autorité absolue.

Au milieu de ces luttes sans cesse renaissantes, la royauté avait accompli une œuvre immense. Avec un duché, elle avait fait un royaume; avec une population de quelques milliers de serfs et de vassaux, une monarchie de près de vingt millions d'habitants. Mais elle n'avait pu qu'à de rares intervalles féconder les richesses naturelles de la France, creuser des canaux et des ports, ouvrir des voies de communication, créer une marine, développer le commerce et l'industrie, travailler au bonheur du peuple et à son amélioration morale et intellectuelle. Pour une œuvre de cette nature, il faut un calme qui avait presque toujours manqué, et, quoique d'utiles tentatives eussent signalé le gouvernement de Louis IX, de Philippe-le-Bel, de Charles V, de Louis XI, de Louis XII, de François Ier,

1 OEconomies royales de Sully, ch. 60; conversation de Henri IV et du duc de Montpensier.-Voyez aussi Palma-Cayet, Chronologie novennaire, ann. 1591, coll. Petitot, 1re série, tome XXXIX, p. 269.- Les gouvernements étaient à vie, comme le dit Büsbeck, lettre du 20 mai 1585 : « Præfecturæ hujusmodi » nullis terminis definiri, sed vitæ æquales esse solent. »

de Sully et de Richelieu, la royauté avait beaucoup à créer ou à régénérer en fait d'administration, au moment où Louis XIV commença à gouverner par lui-même (1664). Les onze premières années du gouvernement personnel de ce monarque, depuis la mort de Mazarin jusqu'à la guerre de Hollande (1661-1672), furent les plus fécondes. Secondé par Colbert et Louvois, il imprima à tous les services publics une merveilleuse activité, et mérita le nom de ROI ADMINISTRATEUR, que Lemontey regarde comme le plus beau de ses titres. Un historien moderne d'une grande autorité a comparé l'ardeur que montrèrent, à cette époque, le Roi et la nation, au zèle que déployèrent, après les tourmentes révolutionnaires, le premier consul et ses conseillers. Lois, finances, hiérarchie administrative, tout semblait sortir du chaos pour s'organiser sous l'œil du génie. L'héritier des rois, comme le soldat couronné, allait s'asseoir dans le conseil des légistes et discutait avec eux les articles du code. Tous deux descendaient aux plus petits détails de l'administration, sans crainte de déroger: mais l'un dirigé par d'habiles ministres, l'autre guidé surtout par l'inspiration du génie; Louis, au sein d'une paix glorieuse, due aux négociations de Mazarin; Napoléon, en face d'une coalition européenne. On ne doit jamais perdre de vue, en parlant des premières années du gouvernement de Louis XIV, l'appréciation si juste de Saint-Simon : « Sa première entrée dans le monde fut heureuse en esprits distingués de toute espèce. Ses ministres au dedans et au dehors étaient alors les plus forts de l'Europe; ses généraux, les

Guizot, Histoire de la Civilisation générale en Europe, dernière leçon. 2 Saint-Simon, Mémoires, tom. XIII, p. 2-3, édit. in-8°.

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