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opinion, longuement et fortement motivée, obtint l'assentiment général. Je n'invoquerai pas le témoignage de Mme de Sévigné, qui pourrait paraître suspect; mais on ne récusera pas celui de Gui Patin, qu'on ne peut accuser de sympathie pour les financiers. « M. d'Ormesson, écrit-il à son ami Falconet ',,a dit son avis, et, après de belles choses, a conclu à un bannissement perpétuel et à la confiscation de tous les biens. » Quelques jours après, il écrit encore à Falconet : « On dit que M. Fouquet est sauvé, et que, de vingt-deux juges, il n'y en a que neuf à la mort; les treize autres au bannissement et à la confiscation de ses biens. On en donne le premier honneur à celui qui a parlé le premier, qui étoit le premier rapporteur, M. d'Ormesson, qui est un homme d'une intégrité parfaite 2. »

Olivier d'Ormesson lui-même a résumé tout le procès dans le passage suivant de son Journal: « Ainsi voilà ce grand procès finy, qui a esté l'entretien de toute la France, du jour qu'il a esté commencé jusques au jour qu'il a esté terminé ; il a esté grand, bien moins par la qualité de l'accusé et l'importance de l'affaire, que par l'interest des subalternes, et principalement de Berryer, qui y a faict entrer mil choses inutiles et tous les proces-verbaux de l'Espargne pour se rendre necessaire, le maistre de toute cette intrigue et avoir le temps d'establir sa fortune; et comme par cette conduite il agissoit contre les interests de M. Colbert, qui ne demandoit que la fin et la conclusion, et qu'il le trompoit dans le detail de tout ce qui se faisoit,

Edit. de M. Reveillé-Parise, tome III, p. 499. Lettre du 16 décembre 1664. 2 Ibid., p. 501.

3 Journal d'Oliv. d'Ormesson, 2e partie, fo 85 recto.

4 Commis de Colbert. Voyez Hist, de Colbert, par M. Pierre Clément, p. 50.

PROCÈS DE FOUQUET (4661-1664).

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il ne manquoit pas de rejetter les fautes sur quelqu'un de la Chambre ; d'abord, ce fut contre les plus honnestes gens de la Chambre, qu'il rendit tous suspects et les fit maltraicter par des reproches publics du Roy; ensuite, il attaqua M. le Premier President, et le fit retirer de la Chambre et mettre en sa place M. le Chancelier. Apres, il fit imputer toute la mauvaise conduitte de cette affaire à M. Talon 2, qu'on osta de la place de procureur general avec injure, et enfin, la mauvaise conduitte augmentant, les longueurs affectées par luy continuant, il en rejetta tout le mal sur moy; il me fit oster l'intendance de Soissons, il.. obligea M. Colbert à venir faire à mon pere des plaintes de ma conduitte, et enfin, l'experience ayant faict connoistre qu'il estoit la veritable cause de toutes les fautes, et les recusations ayant faict veoir ses faussetés, les procureurs generaux Hotman et Chamillard luy firent oster insensiblement tout le soin de cette affaire, et dans les derniers moys il ne s'en mesloit plus: et, pour conclusion, il est devenu fol, et ainsi le procès s'est terminé, et je puis dire que les fautes importantes dans les inventaires, les coups de haine et d'auctorité qui ont paru dans tous les incidens du procès, les faussetés de Berryer et les mauvais traictements que tout le monde, et mesme les juges, recevoient dans leur fortune particuliere, ont esté de grands motifs pour sauver M. Fouquet de la peine capi

Guillaume de Lamoignon, né en 1617, premier président en 1658, mort en 1677.

2 Denis Talon, fils d'Omer Talon, avocat-général au Parlement de Paris, né en 1628 et mort en 1698.

3 Comparez une lettre dé Me de Sévigné du 17 décembre 1664.

4 D'Ormesson fait allusion à la réduction des rentes opérée par Colbert en 1664. Voyez plus loin le chapitre relatif à l'administration financière.

tale, et la disposition des esprits sur cette affaire a paru par la joie publicque, que les plus grands et les plus petits ont faict paroistre du salut de M. Fouquet, jusques à un tel excès qu'on ne le peut exprimer, tout le monde donnant des benedictions aux juges qui l'ont sauvé, et à tous les autres des maledictions et toutes les marques de hayne et de mespris, les chansons contre eux commenceant à paroistre, et je suis surpris qu'y ayant quinze jours passés que cette histoire est finie, le discours n'en finit poinct encore, et l'on en parle par toutes les compagnies, comme le premier jour. »

La résistance d'Olivier d'Ormesson aux volontés hautement manifestées de la Cour entraîna sa disgrâce. Lorsque son père, André d'Ormesson, mourut, en 1665', il sollicita vainement sa place au Conseil d'État. Je ne trouve cependant rien, dans ses Mémoires, qui puisse justifier une anecdote racontée par La Hode 2 et répétée par M. de Sismondi. D'après ces écrivains, Louis XIV aurait personnellement sollicité d'Ormesson pour ce qu'il appelait son affaire, et d'Ormesson lui aurait répondu: «Sire, je ferai ce que mon honneur et ma conscience me suggéreront.» Dans la suite, d'Ormesson sollicitant pour son fils le titre de maître des requêtes, Louis lui aurait dit : «Je ferai ce que mon honneur et ma conscience me suggéreront. » Rien n'est moins vraisemblable que ce récit. Il n'était pas dans le caractère de Louis XIV de descendre à des sollicitations personnelles, ni dans celui d'Olivier d'Ormesson de répondre au Roi avec une hauteur inso

'Journal d'Olivier d'Ormesson, 2e partie, f 94 recto.

2 Hist. de Louis XIV, livre LXXVII, p. 162.

3 Hist. des Français, tome XXV, p. 75.

DISGRACE D'OLIVIER D'ORMESSON.

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lente. Au lieu de ces anecdotes, le Journal d'Olivier d'Ormesson donne un récit détaillé de la démarche qu'il fit près du Roi quelques jours avant la mort de son père, et lorsque déjà l'on désespérait de sa vie1. « M. Pelletier m'escrivit qu'il estoit bon d'aller veoir le Roy et M. Colbert. A midy, je monté en carosse pour aller veoir M. Colbert; je ne le trouvé pas, et l'on me dict qu'il disneroit au Louvre. Je fis escrire mon nom. De là, je fus au Louvre. Estant monté par la petite montée, à cause que la Reyne loge dans l'appartement du Roy, je demeuré quelque temps dans un petit cabinet par où le Roy debvoit passer, sortant du Conseil. Mais, ayant pensé que M. Colbert me verroit, en sortant, je descendis dans l'appartement de la Reyne mere, où je receu accueil de tous ses officiers, et l'huissier ayant dict mon nom, Madame de Beauvais me vint

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querir où j'estois pour me presenter à la Reyne mere. J'entré dans la chambre et lui fis une profonde reverence. Elle me fit bon visage, me demanda des nouvelles de mon pere, me dict qu'elle se souvenoit tousjours de Calais quand elle me voioit: que j'y servois fort bien; me parla du feu des Halles, et enfin me tesmoigna beaucoup de bonté. M. le Prince estoit au coin de la cheminée, qui me fit, des yeux, bien de l'amitié, et enfin coula le long du paravent pour s'aprocher de moy et me dict: « Je vous >> ay faict faire compliment de ma part et je suis bien

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1 Journal d'Olivier d'Ormesson, 2we partie, fo 91 verso.

2 Mme de Beauvais était première femme de chambre de la reine Anne d'Autriche. Voyez Mae de Motteville, Mémoires, année 1649, 5 janvier.

3 Louis de Bourbon, prince de Condé. Le vainqueur de Rocroy, de Fribourg, de Nordlingen et de Lens, était dans un état de disgrâce et d'abaissement que prouve assez sa conduité en cette circonstance.

» ayse de vous asseurer moy-mesme de mes services et de » l'estime que j'ay pour vous. » Je luy respondis par une profonde reverence. Je sortis incontinent, crainte de perdre l'occasion de parler au Roy. Estant dans le cabinet, le Roy vint; je me presenté à lui. Il me demanda: «Com»ment se porte vostre pere?» Je luy dis qu'il n'avoit point de mauvais accident; mais son grand aage et son mal nous donnoient bien de la crainte 1. Il me demanda encore, marchant toujours, s'il avoit de la fiebvre. Luy ayant dict qu'il en avoit peu, voiant que je suivois il s'arresta sur la porte de la chambre de la Reyne mere; je luy dis que mon pere m'avoit commandé d'avoir l'honneur de remercier Sa Majesté de la bonté avec laquelle il avoit receu la tres humble priere qui luy avoit esté faicte par M. l'evesque d'Agen, de me conserver la grace qu'il luy avoit accordée et dont il avoit trouvé bon qu'il le remerciast; que je supliois en mon particulier Sa Majesté de me continüer l'honneur de ses bonnes graces. Le Roy me replicqua : « Quand vous les meriterés, je vous les accorderay volon>> tiers. » Et aussi tost entra dans la chambre, et moy je me retiré. »

La sécheresse de cette réponse laissait peu d'espoir à d'Ormesson, et, en effet, la place de son père fut donnée à M. de Caumartin. Il sollicita, avec aussi peu de succès, plusieurs autres places qui devinrent vacantes au Conseil d'État. D'après le président Hénault' et la Biographie

Journal d'Oliv. d'Ormesson, 2me partie, fo 92 recto.

2 Claude Joly, prédicateur célèbre de cette époque, d'abord curé de SaintNicolas-des-Champs, à Paris, et ensuite évêque d'Agen.

3 Voyez Appendice, no II.

♦ Abrégé chronologique de l'Histoire de France, année 1667. Cette erreur ne se trouve pas dans les premières éditions.

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